Citations de Ray Bradbury (1323)
« Père Peregrine, serez-vous jamais sérieux ?
— Pas question tant que notre bon Seigneur ne l’est pas. Allez, ne prenez pas cet air scandalisé ! Notre Seigneur n’est pas sérieux. En fait, il est assez difficile de savoir au juste ce qu’il est excepté amour. Et l’amour n’est pas sans rapport avec l’humour, non ? Car pour aimer quelqu’un, il faut le supporter. Et comment supporter constamment quelqu’un sans pouvoir rire de lui, hein ? Nous ne sommes sans doute que de ridicules petits animaux qui nous vautrons dans l’absurdité, et Dieu doit nous aimer d’autant plus que nous répondons à son sens de l’humour.
— Que Dieu ait le sens de l’humour, voilà une chose à laquelle je n’avais jamais songé.
— Le Créateur de l’ornithorynque, du chameau, de l’autruche et de l’homme ? Allons donc ! » s’esclaffa Père Peregrine.
Qu'est-ce que racontent les livres ? (.../...)
Eh bien, Montag, croyez-moi sur parole, il m'a fallu en lire quelques-uns dans le temps, pour savoir de quoi il retournait : ils ne racontent rien !
Rien que l'on puisse enseigner ou croire. Ils parlent d'êtres qui n'existent pas, de produits de l'imagination, si ce sont des romans. Et dans le cas contraire, c'est pire, chaque professeur traite l'autre d'imbécile, chaque philosophe essaie de faire ravaler ses paroles à l'autre en braillant plus fort que lui. Ils courent dans tous les sens, mouchant les étoiles et éteignant le soleil. On en sort complètement déboussolé.
Elle ne voulait pas savoir le comment des choses, mais le pourquoi. Ce qui peut être gênant. On se demande le pourquoi d'un tas de choses et on finit par se rendre très malheureux, à force. Il vaut bien mieux pour cette pauvre fille qu'elle soit morte.
Vis comme si tu devais mourir dans dix secondes. Regarde le monde. Il est plus extraordinaire que tous les rêves fabriqués ou achetés en usine. Ne demande pas de garanties, cet animal-là n'a jamais existé.
Savez-vous pourquoi des livres comme celui-ci ont une telle importance ? Parce qu'ils ont de la qualité. Et que signifie le mot qualité ? Pour moi, ça veut dire texture. Ce livre a des pores. Il a des traits. Vous pouvez le regarder au microscope. Sous le verre vous trouverez la vie en son infini foisonnement. Plus il y a de pores, plus il y a de détails directement empruntés à la vie par centimètre carré de papier, plus vous êtes dans la littérature. C'est du moins ma définition. Donner des détails. Des détails pris sur le vif. Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l'effleurer. Les mauvais la violent et l'abandonnent aux mouches.
Il y est aussi et surtout question de l'impérialisme des médias, du grand décervelage auquel procèdent la publicité, les jeux, les feuilletons, les "informations" télévisées. Car, comme le dit ailleurs Bradbury, "il y a plus d'une façon de brûler un livre", l'une d'elles, peut-être la plus radicale, étant de rendre les gens incapables de lire par atrophie de tout intérêt pour la chose littéraire, paresse mentale ou simple désinformation.
Extrait de la préface du traducteur Jacques Chambon
Nous sommes trop nombreux, songea-t-il. Nous sommes des
milliards et c'est beaucoup trop. Personne ne connaît personne.
- [...] Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l’effleurer. Les mauvais la violent et l’abandonnent aux mouches.
Les trois femmes s’esclaffèrent, exposant leur langue.
Mildred resta un moment tranquille puis, voyant Montag toujours debout sur le seuil, battit des mains. « Et si nous parlions politique, pour faire plaisir à Guy ?
- Bonne idée, dit Mme Bowles. J’ai voté aux dernières élections, comme tout le monde, et je n’ai pas caché que c’était pour le Président Noble. Je crois que c’est l’un des plus beaux Présidents que nous ayons jamais eu.
- Il faut dire que celui qu’ils présentaient contre lui ....
- Ça, il n’avait rien de terrible. Le genre court sur pattes, aucun charme, l’air de ne pas savoir se raser ni se coiffer correctement.
- Quelle idée ont eue les autres de le présenter ? On ne présente pas un nabot pareil contre un grand gaillard. En plus....il parlait entre ses dents. La moitié du temps, je n’entendais pas un mot de ce qu’il disait. Et les mots que j’entendais, je ne les comprenais pas !
Après tout, on vit à l'époque du kleenex. On fait avec les gens comme avec les mouchoirs, on froisse après usage, on jette, on en prend un autre, on se mouche, on froisse, on jette.
Et j'ai pensé aux livres. Et pour la première fois je me suis rendu compte que derrière chacun de ces livres, il y avait un homme. Un homme qui les avait conçus. Un homme qui avait mis du temps pour les écrire.
On ne peut dire à quel moment nait l'amitié. Si l'on remplit d'eau une embarcation goutte à goutte, il en vient une dernière qui la fait chavirer ; ainsi quand les marques d'affection se succèdent, il en vient une dernière qui submerge le cœur.
Il faut sans cesse se jeter du haut d'une falaise et se doter d'ailes durant la chute.
"Comment ai-je pu penser que vous connaissiez ce cher Mr. Poe ? Il y a une éternité qu'il est mort - avant Lincoln. Tous ses livres ont été brûlés dans le Grand Incendie. Il y a trente ans de cela en 2006.
- Ah, fit Mr Bigelow d'un air entendu. Il faisait partie du lot !
- Oui, du lot en question, Mr Bigelow. En compagnie de Lovecraft, Hawthorne, Ambrose Pierce, de tous les contes fantastiques et de terreur et, tant qu'on y était, de tous les récits de science-fiction, il a été brûlé. Sans pitié. Au nom de la loi votée pour la circonstance. Oh, ça a commencé en douceur. En 1999, ce n'était qu'un grain de sable. On s'est mis à censurer les dessins humoristiques, puis les romans policiers, et naturellement, les films d'une façon ou d'une autre, sous la pression de tel ou tel groupe, au nom de telle orientation politique, tels préjugés religieux, telles revendications particulières ; il y avait toujours une minorité qui redoutait quelque chose, et une grande majorité ayant peur du noir, peur du futur, peur du passé, peur du présent, peur d'elle-même et de son ombre.
- Je vois.
- Peur du mot "politique" (qui était, paraît-il, redevenu synonyme de "communisme" dans les milieux les plus réactionnaires, un mot qu'on ne pouvait employer qu'au péril de sa vie). Et avec un tour de vis par-ci, un resserrage de boulon par là, une pression, une traction, une éradication, l'art et la littérature sont devenus une immense coulée de caramel mou, un méli-mélo de tresses et de noeuds lancés dans toutes les directions, jusqu'à en perdre toute élasticité et toute saveur. Ensuite les caméras ont cessé de tourner, les salles de spectacle se sont éteintes, et les imprimeries d'où sortait un flot niagaresque de lecture n'ont plus distillé qu'un filet inoffensif de produits "épurés". Oh, le mot "évasion" aussi était extrémiste, faites-moi confiance.
- Vraiment ?
- Et comment ! Chacun, disait-on, devait regarder la réalité en face. Se concentrer sur l'Ici et le Maintenant ! Tout ce qui ne s'y conformait pas devait disparaître. Tous les beaux mensonges littéraires, tous les transports de l'imagination devaient être abattus en plein vol ! Alors on les a alignés contre un mur de bibliothèque un dimanche matin de 2006 ; on les a tous alignés, le père Noël, le Cavalier sans Tête, Blanche-Neige, le Petit Poucet, Ma Mère l'Oie - oh, quelles lamentations ! - et on les a abattus. On a brûlé les châteaux en papier, les grenouilles enchantées, les vieux rois, tous ceux qui "vécurent toujours heureux" (car naturellement, il était bien connu que personne ne vivait toujours heureux !) et "Il était une fois" est devenu "Plus jamais". On a dispersé les cendres de Rickshaw le Fantôme ainsi que les décombres du pays d'Oz ; on a désossé Glinda la Bonne et Ozma, fait voler la polychromie en éclats dans un spectroscope, et meringué Jack Tête de Citrouille pour le servir au bal des biologistes ! La tige du haricot magique est morte étouffée sous les ronces de la bureaucratie ! La Belle au Bois dormant s'est réveillée au baiser d'un scientifique pour expirer sous la piqûre fatale de sa seringue. Ils ont fait boire à Alice une potion qui l'a fait rapetisser au point qu'elle ne pouvait plus s'écrier : "De plus-t-en plus curieux", et d'un coup de marteau ils ont fracassé le Miroir et chassé tous les Rois rouges et toutes les Huîtres !"
Il serra les poings. Dieu ! c'était encore tellement près ! Le visage congestionné, il s'efforçait de reprendre sa respiration.
(pages 210 à 212 de la nouvelle Usher II)
J'aime sentir les choses, regarder les choses et quelques fois je passe toute la nuit debout, à marcher, et je regarde le soleil se lever.
Du temps libre, oui, mais du temps pour réfléchir?
Si vous ne conduisez pas à cent cinquante à l'heure, une vitesse à laquelle vous ne pouvez pensez à rien d'autre qu'au danger , vous jouer à je ne sais quoi ou restez assis dans une pièce où il vous est impossible de discuter avec les quatre murs du téléviseur. Pourquoi ? Le téléviseur est "réel". Il est là, il a de la dimension.Il "doit" avoir raison, tant il "parait" avoir raison. Il vous précipite si vite vers ses propres conclusions que votre esprit n'a pas le temps de se récrier ."Quelle idiotie!"
Nous ne naissons pas libres et égaux comme le proclame la Constitution, on nous rend égaux. Chaque homme doit être l'image de l'autre, comme ça, tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion : Un livre est un fusil chargé dans la maison d'à côté. Brûlons-le. Déchargeons l'arme. Battons en brèche l'esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l'homme cultivé ? Moi ? Je ne le supporterai pas une minute. Ainsi, quand les maisons ont été enfin totalement ignifugées dans le monde entier, les pompiers à l'ancienne sont devenus obsolètes. Ils se sont vu assigner une tâche nouvelle, la protection de la paix de l'esprit ; ils sont devenus le centre de notre crainte aussi compréhensible que légitime d'être inférieur : censeurs, juges et bourreaux officiels. Voilà ce que vous êtes, et voilà ce que je suis.
Des livres lui dégringolaient sur les épaules, les bras, le visage. Un volume lui atterrit dans les mains, presque docilement, comme un pigeon blanc, les ailes palpitantes. Dans la pénombre tremblotante, une page resta ouverte, comme une plume neigeuse sur laquelle des mots auraient été peints avec la plus extrême délicatesse. Dans la bousculade et l'effervescence générale, Montag n'eut que le temps d'en lire une ligne, mais elle flamboya dans son esprit durant la minute suivante, comme imprimée au fer rouge. "Le temps s'est endormi dans le soleil de l'après-midi". Il lâcha le livre.
J'ai découvert trop tard qu'il est impossible d'attendre d'être parfait, qu'il faut oser tomber et se relever, comme tout le monde.
Il se vit dans les yeux de la jeune fille, suspendu au sein de deux gouttes d’eau claire étincelantes, sombre et minuscule….