Raymond Bellour

On se trouve devant une écriture qui est de la pensée mais ne perd aucun pouvoir de suggestion, un vocabulaire d'une grande précision qui possède la sévérité du concept et le charme du mot, c'est la relation d'une expérience, presque une description philosophique, mais aussi l'histoire des harmonies sensibles d'une subjectivité ; l'auteur, conscient de cette double vocation, fait de la langue une médiation perpétuelle d'un extrême de l'expression à l'autre, jusqu'à ce que ce voyage du sens ne puisse plus se démêler des rythmes les plus secrets de l'être. Ce n'est pas juste même de parler d'intention, tellement tout tient ici à une réalité première, avant le dilemme de la pensée et de la parole. On a le sentiment très fort d'une langue d'origine.

Cette impossibilité pour le corps d'accéder à lui-même, de fonder une harmonie qui conjure son infini déchirement, elle trouve son sens dans un abîme ouvert entre soi et autrui, entre soi et le monde. Il y a chez Michaux un sentiment originel de la séparation, quelque chose comme le péché d'être.