Personne ne sait vraiment ce qu'il est dans la tête ou dans le coeur des autres.
Bien avoir en tête qu'ils ne sont rien d'autre que les premiers arrivés d'une très commune giclée de foutre. Voilà tout le mystère de la création, c'est d'une trivialité... pas de quoi pavoiser.
On n'est rien qu'un trou de douleur et qui gueule à qui n'y peut rien faire. Rien que du bruit lâché dans l'impuissante consternation des autres.
Je ne nie pas qu'il y ait une sorte de plaisir canaille à se bannir soi-même, à rejoindre le maquis des malséants, des prends-ça-dans-ta-face plutôt que rester dans les rangs. Mais la sensibilité du lecteur n'est pas une maladie : c'est précisément mon rôle de l'exploiter, si possible de la devancer, de m'en servir comme d'un levier, et non de la ménager.
Les humains c'est tellement de bruit, leur bouche c'est si bavard mon dieu. Si on pouvait mettre bout à bout tout ce qui se dit à chaque instant ce ne serait qu'une longue cacophonie, un hurlement continu.
Il fait partie des gens qui se vantent (au lieu de regretter, ou même de n'avoir aucun avis sur la question) de ne jamais ouvrir un bouquin tout contrairement à vous, et qui vous jugent de haut, comme si le fait que vous vous y adonniez faisait forcément de vous un type très chiant, "prise de tête", ennemi de la bagatelle et de la rigolade, suspect d'arrogance à l'égard des autres, d'eux-mêmes-comme si leur ignorance était un motif de haute lutte contre la tentation de se cultiver, de se "prendre la tête", eux aussi.
J'ai une propension certaine à l'expérimentation, et cela depuis tout gamin. Par exemple j'ai gardé le souvenir, vers l'âge de huit ou neuf ans, de m'être entaillé la jambe sur toute la longueur du tibia en cherchant à passer, à la suite d'Alice, de l'autre côté du miroir dans la chambre de mes parents, avec casque, corde, sac de couchage et lampe torche, que je me représentais être la panoplie idéale de l'explorateur.
Travail du type qui se prétend écrivain : du griffonnage à pleins cahiers, et après recopier au propre. C'est ça, la blague : au propre.
Et ce pauvre lieu commun selon quoi la littérature serait source d'évasion; bien au contraire elle nous recentre. C'est nous-même, lecteur, qu'elle éclaire et sonde au plus profond.
- Si je violente mon lecteur, c'est pour lui faire sentir que me lire n'est pas un acte gratuit; qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'un passe-temps. Qu'il y faut de sa part, aussi, un engagement. Et que me donner à lire m'autorise en retour à fourrager en lui, que j'userai et abuserai à ma guise de ce pouvoir.
- Ils peuvent s'en sentir agressés.
- Ils peuvent aussi lire Anna Gavalda.