La nuit était extraordinaire. Une grosse lune ronde illuminait tout le paysage, donnant aux arbres et aux herbes une blancheur inhabituelle. Miny se frayait un passage parmi les fleurs endormies aux corolles bien closes et elle entendait parfois, en prêtant l’oreille, ce mystérieux chuchotement que font les plantes et les choses, quand elles rêvent. En plusieurs endroits il lui fallut franchir de petits ruisseaux, tout brillants comme de l’argent liquide, dans les creux desquels somnolaient les grenouilles et les truites. Elle sautait de caillou en caillou avec adresse et légèreté. Elle était heureuse et un peu grisée par l’heure, par la lune, par les odeurs de la nuit et par la douce brise, qui soupirait de temps en temps dans les branches des grands arbres. Elle n’avait pas peur du tout. Une fois pourtant, elle fut bien surprise par le coassement soudain d’un gros crapaud, qu’elle avait dérangé dans son sommeil. Il lança deux notes de cristal si sonores qu’elle s’enfuit de là et courut de toute la vitesse de ses petites jambes. Enfin elle découvrit le géant
Rose sauvage
Jeune garçon vit une rose
Rose sur la lande éclose ;
L’était belle comme un matin,
Pour la mieux voir, vite il s’en vint,
La vit à grande joie.
Rose, rose, rouge rose,
Rose sur la lande éclose.
Garçon dit : Je te cueille,
Rose sur la lande éclose !
Rose dit : Je te pique,
Pour qu’à jamais tu penses à moi,
Je ne serai pas ta proie !
Rose, rose, rouge rose,
Rose sur la lande éclose.
Et le garçon brutal cueillit
Rose sur la lande éclose ;
Et la rose se défendit,
Piqua, blessa, las ! rien n’y fit,
L’était déjà sa proie !
Rose, rose, rouge rose,
Rose sur la lande éclose.
// Johann Wolfgang von Goethe (1749 – 1832)
/ Traduit de l’allemand par Rémi Laureillard
Alors la voix profonde et harmonieuse de Fred s'éleva sur la contrée. Et tandis qu'avec la nuit tombait une paix bienfaisante sur les êtres et les choses, le chant merveilleux du nain ouvrait la porte au rêve. (p.121)
Le soleil décline
3
Sérénité, sérénité dorée, viens !
Ô toi, de la mort
avant-goût secret et suave entre tous !
‒ Ai-je trop vite couru mon chemin ?
Ce n’est que maintenant quand mon pied s’est lassé,
que ton regard me rejoint enfin,
que ton bonheur encore me rejoint.
Alentour, vague et jeu purs,
Ce qui jadis fut lourd
a sombré dans l’oubli bleuté,
ma barque est au calme.
Tempête en traversée, comme elle a oublié !
Désir et espoirs se sont noyés,
âme et mer sont étales.
Septième solitude !
Jamais je ne sentis
plus près de moi la douce confiance,
plus chaude le regard du soleil.
‒ La glace de mes cimes ne rougeoie-t-elle pas encore ?
Léger poisson d’argent,
maintenant ma nef prend son départ
//Friedrich Nietzsche (1844 – 1900)
/ Traduit de l’allemand par Rémi Laureillard
Le soleil décline
1
Tu ne connaîtras plus la soif longtemps encore,
cœur brûlé !
Dans l’air passe une promesse,
le souffle m’en vient de bouches inconnues :
‒ la grande fraîcheur approche.
Mon soleil brûlait au-dessus de moi à midi :
salut à vous, qui venez,
vents subits,
frais génies de l’après-midi !
L’air passe, étranger et pur.
De son regard biais de séductrice,
la nuit,
ne me lorgne-t-elle pas ?...
Reste fort, ô mon cœur valeureux !
Ne demandez pas : pourquoi ?
//Friedrich Nietzsche (1844 – 1900)
/ Traduit de l’allemand par Rémi Laureillard
Le soleil décline
2
Jour de ma vie !
Le soleil décline
Déjà l’onde lisse
se dore
Le souffle du roc est chaud :
le bonheur a -t-il donc sur lui
fait sa sieste à midi ?
De verts reflets de ce bonheur
se jouent encore sur l’abîme brun.
Jour de ma vie !
Le soir tombe !
Déjà ton œil rougeoie,
mi-éteint,
déjà sourdent
les gouttes de larmes de ta rosée,
déjà court, silencieuse, par les mers blanches
la pourpre de ton amour,
ton ultime et vacillante félicité.
//Friedrich Nietzsche (1844 – 1900)
/ Traduit de l’allemand par Rémi Laureillard