Où situez vous Kalisky dans le théâtre français aujourd’hui ? : Il faudrait d’abord qu’il y en ai un, de théâtre français contemporain. C’est une catégorie qui n’existe pas: il y a quelques auteurs épars et pas formidables. Même dans ce contexte très imprécis, Kalisky prends figure d’OVNI. Il est inclassable. En peu d’années il a relativement beaucoup écrit. On comprendra peu à peu ce que tout cela représente. Moi, je suis seulement au seuil de pouvoir comprendre ce qu’il a voulu écrire. Dans le théâtre moderne en général ; non exclusivement français, il apparaît comme totalement étranger au Théâtre de l'absurde, et dans une curieuse relation vis-à-vis de Brecht . Quand j’ai monté sa pièce le Pique Nique de Claretta, Robert Abirached m’a dit : « C’est la première voie ouverte depuis Brecht pour dire l’histoire contemporaine ».
En 1981, en réaction à sa disparition précoce dans Le Monde:
René Kalisky est mort, et nous sommes vivants. On dit il n'aura pas été longtemps malade ; c'est ce qu'on dit. Mais moi je dis-nous ne le verrons plus, il ne nous parlera plus, nous n'entendrons plus sa belle voix, nous n'admirerons plus sa démarche élégante, il ne nous écrira plus. Voici un homme exemplaire. Si exemplaire qu'on ne pouvait y croire : on doutait que cette naïveté fût entière et cet émerveillement, sincère. Rarement un écrivain aura montré plus d'insistance, d'acharnement, d'entêtement même, à poursuivre une œuvre qui est comme un défi perpétuel : l'affirmation que le théâtre existe, qu'il est bien un genre de la littérature et qu'il sert à résoudre les contradictions du monde. René Kalisky croyait à l'utilité du théâtre. Il ne se posait pas là-dessus de question. Sa mort nous prive de ses progrès. Souvent l'artiste déplie, déploie, tout au long de sa vie une œuvre qu'il a conçue dans sa jeunesse ; il ne fait qu'en tirer le fil. Kalisky, au contraire, se perfectionnait sans cesse, comme un écolier. Cette image de l'écolier devrait demeurer attachée à lui, jeune mort plein de grâce - comme l'écolier de Gœthe, avide de tout apprendre. Son théâtre résiste aux classements sommaires. Il met en scène insolemment l'histoire, le destin des hommes, les mythes de notre vie, les grands mots ne l'effraient pas, les grands personnages non plus, et moins encore la dérision des grands personnages. Le chemin était long depuis Brecht ; il fallait quelqu'un pour nous parler à nouveau du monde, et pour notre bonheur, Kalisky était là. Qui retrouvera cette parole prophétique ? Prophète d'Israël, un des derniers en date, invectivant son peuple pour l'aider à vivre, il riait aussi de la prophétie - tout est ironie, clownerie, grand concert métaphysique dans cette œuvre inachevée qu'il nous laisse, haussée par l'ironie même à la lecture universelle. Ni seulement juif, ni seulement belge et ni seulement de langue française, jamais prisonnier de son essence, véritable cosmopolite, homme des temps à venir, civilisé, nous avions bien besoin de lui, contre les barbares. Les barbares, à vrai dire le savaient : que d’insultes subies, de crachats reçus. Maintenant Kalisky est mort : il faut le lire, jouer son œuvre, il gagnera.
Paul Aron : Théâtre difficile et vertigineux, l'œuvre de Kalisky est construite pour échapper à l’analyse. La multiplicité des niveaux d'interprétation, la complexité du rapport entre les acteurs et leur rôle, la subtilité des références qu'elle implique en font un défi permanent pour la mise an scène