« La confession négative » est un récit et non un roman. La mère de l’auteur a affirmé que la guerre avait un rapport avec l’écriture, Richard Millet est allé au Liban. Il nous révèle dans ce livre son passé abjecte de mercenaire et d’assassin dans les milices chrétiennes du Liban.
La mode est aux dictionnaires amoureux. Voila – extrait de « La confession négative » – ce qui pourrait être l’amorce de celui du criminel de guerre :
A gros : « Je regrettais presque qu’il ne se soit rien passé d’autre, au barrage, et que le conducteur de la 404, un homme rondouillard et tremblant, un peu ridicule aussi, s’en soi tiré à bon compte. (…) ces Palestinien, tout comme le type rondouillard, un chrétien probablement, me semblaient minables. Le bruit de l’arme automatique, en revanche, m’avait plu.
A petit : « Je l’avais regardé en silence, détestant qu’un inconnu m'adresse la parole, surtout plus petit que moi, qui suis plutôt grand, ce qui force les gens de taille moindre à lever la tête, parfois à se dresser sur la pointe de leurs pieds et à se mesurer à moi avec aigreur, et celui-là avait un air déterminé qui me déplaisait tout en me dissuadant de lui répondre avec hauteur, ce qui fait que je me suis contenté de lui dire que je ne parlais jamais à la légère. »
A paix : « Cette même solitude, lorsque je voulais plaire ou que je plaisais malgré moi, me poussait à des paroles excessives qui était une manière d’atteindre à la vérité par la violence, car j’étais persuadé que la vérité est violence. C’était la raison pour laquelle j’avais, à l’intention de l’inconnu plus que pour mon camarade d’université, qui me semblait déjà quantité négligeable, tout juste une oreille complaisante, clamé que la littérature souffrait de ce qu’il n’y avait plus de guerre, que l’écrivain n’y était plus confronté, qu’il n’y aurait plus de guerres en Europe, et que nous étions condamnés à nous regarder le nombril au sein d’une paix à la longue aussi ennuyeuse qu’un mariage de raison.
A poils ou espèce humaine : « Ces cheveux, je me les étais fait couper fort court avant de partir pour le Liban, estimant que l’allongement excessif du poil, une caractéristique de cette décennie (celle des années soixante-dix, la plus laide, assurément, sur le plan esthétique), était le propre des gens de gauche, pour l’un desquels il me répugnait d’être pris, moi qui trouvais déjà vulgaire le grand sérieux militant et dérisoire la croyance selon laquelle l’humanité est innocente, bonne, perfectible. « L’espèce humaine n’est pas digne d’estime », m’avait dit ma mère, et mon travail au cimetière de Vincennes avait achevé de me monter qu’elle n’est rien. »
« (…) décennie poilue, époque de décadence, me redisais-je, comme toutes celles où le système pileux des hommes est à la mode, la supériorité des Romains se traduisait par des cheveux courts et la rareté des barbes ; quant aux barbus de l’ère victorienne ou du second Empire, ils sont l’étrange paradoxe d’une époque qui allait conduire à la Première Guerre mondiale, et le peu de goût que j’avais pour Karl Marx, et pour Trotski par exemple venait en grande partie de l’horreur que m’inspirait la pilosité et les hémorroïde du premier et la ressemblance du second avec un méchant boutiquier des Buiges (…) »
A journalisme : « Je n’étais pas un journaliste ; je ne ferais pas puer les mots, je ne mentirais pas ; je ne donnerais pas à la démocratie sa prière quotidienne. »
« Elles demeuraient à l’entrée d’un autre domaine : celui de la violence, ma mère et ma sœur ignorant que j’allais surtout dans ces manifestations pour le moment où, après la dispersion, celles-ci dégénéraient, comme le disaient les journalistes dont je ne lisait pas plus la prose que celle des romanciers contemporains, ayant déjà compris, ou du moins eu l’intuition (quoique incapable de le formuler aussi précisément), que le journalisme n’est qu’une prodigieuse entreprise de falsification, sous couvert d’informer et d’analyser, l’information ne parlant en vérité que d’elle-même et l’analyse servant les intérêts propres à renforcer l’ignorance et la déchéance spirituelle des hommes. De là mon soucis, qui irait croissant de n’être plus informé. »
A armes : « Les Palestinien, les Libanais, Les Syriens, les Israéliens, les chrétiens, les musulmans, les druzes, tout ça m’intéressait médiocrement ; si quelque chose me requérait c’était le bruit des armes, persuadé que la guerre et l’écriture sont sœurs. »
« Il fallait courir plié en deux, tout en lâchant des rafales de kalachnikov ou se poster à un carrefour et s’exposer un instant, sans bouger, pour lancer une roquette ou un RPG ou une Energa, grenade enfilée au bout d’un fusil d’assaut, armes dont la puissance donnait, plus encore que le mortier, un sentiment de souveraineté, puisqu’elles pulvérisaient quasi instantanément la cible, procurant tout à la fois la mort et le jugement dernier (…) »
A violence : « J’aimais le déclenchement de la violence, le temps d’infime silence où elle va survenir, le moment où les choses s’enclenchent : elle avait à voir avec la littérature, je le devinais, et avec la grâce créatrice, le trouble sexuel, les émotions supérieures données par les cris, l’odeur de gaz lacrymogène, le bruit des lance-grenades, des cocktails Molotov, du piétinement des chaussures lourdes (…) l’homme aime le défi, le bruit des armes, la guerre autant que l’amour, le silence ou le ciel étoilé. »
(…) je me suis demandé pourquoi la violence n’allait pas plus loi, pourquoi on n’entrait pas dans la dimension meurtrière du sacré, pourquoi un meurtre gratuit n’était pas possible, pourquoi je ne tuais pas, moi, ce gauchiste à qui me liait déjà ce meurtre potentiel, pourquoi je n’allais pas au bout de ma propre violence, par delà de toute haine idéologique ou instinctivement animale (…). »
A idéologie : « Elevé dans la haine du communisme et le mépris de tout ce qui peut ressembler à la philanthropie, soit dans ce mélange de socialisme bourgeois et de christianisme social qui s’est mis en place au XIXe siècle, je ne m’intéressais à aucune cause, pas même à ce dont on pourrait penser que j’étais partisan : je ne sais quel conservatisme, quelle catholicité momifiée. (…) j’étais, dès cette époque, persuadé que le progrès n’est qu’une version dérisoire du passé, que l’homme est ignoble, que la chute du christianisme entrainerait la fin de l’Europe, ce désenchantement serait encore, pour moi, une manière de vivre dans la lumière de l’affirmation. »
« (…) je n’étais que sérieux, moi qui ne croyais à rien, en tout cas pas à la bonté naturelle des hommes, et qui n’avais pour le moment d’autre raison de me battre que la haine du marxisme-léninisme.
(…) je n’aimais pas les discussions, les disputes, les idées générales, ce qui relève de la psychologie immédiate, de la sociologie et de la psychanalyse, lesquelles ne sont que des théologies dévoyées. Seules m’importaient la méditation, plume en main, et l’action, fût-elle la sœur douteuse du rêve, et la formidable poussée donnée par la ville qui avait enfin accouchée de sa guerre, laquelle avait la dimension idéale, humaine, joyeuse, de ce que j’aimais tant au cinéma et dans les récits que les hommes du haut Limousin me faisait de la Grande Guerre et des combats d’Indochine et d’Algérie.
A meurtre : « Qu’avais-je à faire, me redirais-je, des chrétien du Liban, et des musulmans, des Palestiniens, des progressistes, des fascistes, de tout à ce quoi la phraséologie de gauche donnait des figures séduisantes ou infâmes, au nom d’un idéal que tous trahiraient un jour ou l’autre, autant par lassitude que parce que la trahison est un principe politique majeur et l’iniquité un besoin humain fondamental, inévitable, sinistre, ou joyeux, comme le meurtre ? »
« Tout meurtre est rituel, même dans sa folie abstruse, ou dans ce que l’on appelle pudiquement le feu de l’action. C’est pourquoi, d’une certaine façon, il n’y a pas de criminel de guerre, ni de crime contre l’humanité – cette dernière étant coupable dès l’origine et ne cessant de choir, l’homme restant une abomination pour l’homme. »
« Tuer est un art, et non seulement l’apanage du bourreau ou du boucher, mais aussi du guerrier, ce qui m’a bientôt amené à penser qu’il n’y avait pas, dans le geste d’ôter la vie de différence quant au destinataire, homme ou animal (…) parce que je m’étais depuis longtemps forgé l’intime conviction que certains humains sont moins dignes de vivre que des animaux ou que bien des bêtes valent mieux que des hommes (…) de sorte que je n’ai jamais eu de religion de l’humain et que je suis capable de voir mourir des gens ou d’apprendre leur décès sans m’attrister, périraient-ils par milliers, toute considération malthusienne mise à part. »
« Le visage du guerrier n’est pas plus beau que celui du tueur ou de l’amant en train de jouir : même laideur, pourrait-on dire, puisqu’il s’agit d’exténuer en soi quelque chose d’extraordinairement ancien, et qui rend le fait de tuer aussi proche de la prière que l’acte sexuel ou de l’écriture. Je ne cherche pas à me juger ni à me disculper : pour la première fois de ma vie je ne me sentais pas coupable ; c’est pourquoi cette confession n’est pas une justification : séparée de l’espèce humaine sans appartenir à la mort ni aux puissances sataniques, je revendique une forme d’innocence que seuls les anciens guerriers, les vrais écrivains et les grandes amoureuses comprendront. La guerre m’apportait une légèreté inattendue (…) j’étais un combattant pas un meurtrier, même lors des exécutions aux barrages, ceux que nous tuions étaient eux aussi des combattants. Cette guerre avait ses lois : y manquer eu été me condamner moi-même. Et la force qui m’animait depuis le début ne relevait pas de l’individualisme ; c’était une force collective qui ne me poussait pas seulement à combattre et à muer ma peur en cruauté : elle me donnait l’assurance que j’écrirais un jour (…)
« J’ai beaucoup tiré et j’ai lancé des grenades, à la Quarantaine, et pas seulement sur des fédayins, sur des civils aussi, parce qu’il fallait aller vite et qu’ils étaient menaçants, c'est-à-dire coupables de vouloir me faire renier mon humanité. »
« Autrui, depuis la position que j’occupais, n’existe que dans la mesure où il peut être abattu, dans l’abstraction de cette intentionnalité ou de cette effectivité. La religion, la nationalité, le sexe l’âge importent-ils dès lors ? Ils ne sont que des vêtements de spectre, et pourtant il m’eût été difficile, sinon impossible, de tuer des chrétiens. »
« (…) et, puisque ma tâche était abjecte, je les ait épargnés, ce que je n’aurais pas fait si j’avais été seul, mon travail consistant à impliquer les civils dans la guerre, les blessant ou les tuant, puisqu’il n’y avait pas de civils entièrement innocents, l’ensemble d’une population étant toujours plus ou moins complice ou responsable du régime qui la gouverne. »
« Je l’ai aperçu au moment où il a décroché, ce matin là, après avoir abattu un homme qui tentait de franchir le passage en voiture d’est en ouest ; il s’était légèrement découvert pour tirer et j’avais entrevu sa silhouette juvénile, et la partie de son visage que de dissimulait pas son keffieh légèrement défait et dans un pan duquel il enveloppait son fusil afin qu’il ne jette pas d’éclat, et son coup où j’ai cru voir palpiter une veine que j’ai fait éclater au même instant : il est tombé en se tournant vers moi comme s’il me voyait enfin et qu’il voulait me laisser regarder son visage aux traits quasi féminins, à la beauté de guillotiné, ai-je pensé, puisqu’on était encore en un temps où les condamnés à mort, en France, avaient la tête tranchée. J’avais tué mon semblable, et j’en éprouvais une sorte de découragement, de tristesse qu’il m’a fallu faire passer en tuant ou en blessant, dans les minutes qui ont suivi, d’anonymes civils qui s’étaient crus oubliés ou protégés par ce combat d’hommes invisibles.
Je ne me sentais pas pour autant un tueur : la souffrance et la mort d’autrui ne me donnaient aucun plaisir. J’étais tout simplement indifférent, y compris à ma propre existence, m’attendant sans cesse à être tué et l’acceptant pourvu que je ne souffre pas. »
A guerre : « (…) le monde entier avait les yeux fixés sur nous ; on voulait voir la mort à distance et en direct, en se rappelant que la guerre est une fonction sacrée, excessive, en tout cas nécessaire, parce que terrible, comme l’impossible, gouverne nos vies. Qu’elle n’existe plus aujourd’hui qu’en tant que divertissement spectaculaire, en tant que lointain même et pour les peuples démocratisés de l’Occident, comme impensable nostalgie, voilà bien le signe d’un dérèglement de toutes les valeurs (…) »
A (achever les) blessés : « Mais l’homme ne pouvait pas se taire ni cesser de pleurer, laid, presque chauve, bedonnant, mal rasé, sentant la peur, et musulman, d’après sa carte d’identité, peut-être un espion, selon Elias ; et plus il nous suppliait, plus la colère de ce dernier grandissait : d’abord feinte, elle était devenue bien réelle et serait sans doute allée jusqu’à la fureur si, à la suite de mots que lui avait adressé Hadi en arabe, l’homme ne s’était agenouillé, les mains levées à mis corps, certain qu’il allait mourir. (…) Elias (…) n’avait rien fait pour empêcher Hadi de désactiver le mode rafale de sa kalachnikov puis de tirer plusieurs balles dans ses cuisses, ce qui sur le moment m’a paru une inutile cruauté. (…) Le marchand, lui, se tordait à terre en gémissant, comme s’il continuait d’avoir peur et qu’il ne souffrît pas, alors qu’il devait endurer quelque chose de si atroce qu’un supplicié agonisant sur la roue. Il ne me quittait pas des yeux. Peut-être espérait-il que son silence le sauverait. (…) « Tire ! » a ordonné Nabil. (…) Puis il m’a regardé avec indulgence ; c’était sans doute que j’avais achevé le marchand.
A musulmans : « L’Armée secrète de libération de l’Arménie m’a d’emblée été sympathique, parce que l’Arménie est un pays chrétien et que ses cibles étaient des Turcs, c'est-à-dire des musulmans qui, on le verrait dans les années à venir, avec le développement de l’islamisme, se feraient un devoir de tuer des chrétiens ; »
« (…) les chrétien n’ont pas profané une seule mosquée, pas même l’unique mosquée d’Achrafiyé, la mosquée Beydoun, celle de la Quarantaine ayant été détruite avec le bidonville pour des raisons de sécurité (…)
A racisme : « Donner la mort n’était rien, dans ces circonstances ; je n’avais nulle estime pour les Palestiniens, non plus que pour les romanichels ou les Indiens d’Amériques, mais je ne les haïssais pas : c’est pourquoi je pouvais les tuer. J’avais été élevé dans cette distance, sinon ce mépris, et ce que je voyais à Beyrouth ne me convainquait pas que les choses puissent changer ; bien au contraire, mon indifférence pour ces peuples vaincus ou sortis de l’Histoire avait moins son origine dans mon enfance que dans le dégoût que m’inspirait déjà, le genre humain, aucun peuple ne trouvant grâce à mes yeux, en fin de compte. Tuer était tout à la fois exaltant et banal, voire fastidieux ; on participait à l’envers à la beauté générale, faite de bruit et de fureur, surtout la nuit (…) »
Ce qui m’indignait c’était l’existence même des taudis, non parce que des gens pouvait vivre là (la misère du monde ne m’a jamais touché, comme tous ceux qui ont été dès l’enfance enfermés en eux-mêmes), mais parce que c’est laid – une grotesque imitation d’urbanisme – et que ces gens là me semblaient aussi déplacés, sinon répugnants, que les romanichels qui rodaient autour de Siom, voleurs de poules plus que d’enfants, mais assurément inquiétants. »
« « Les races doivent rester chez elles ; leur mélange, du moins à grande échelle, serait une abomination, ou un suicide. Le monde entier ne saurait être l’Amérique » disait Mme Malrieu, une des personnes les plus sensées qu’il m’ait été donné de connaître, qui aimait l’espèce humaine, elle, et respectait les races, les religions, mais qui aurait été horrifiée de voir, moins de trente ans après sa mort, l’Europe envahie par ce qu’elle eût appelé de nouveaux barbares, les indigènes devenant à leur tour des barbares, et des mosquées, des temples bouddhistes, des officines sectaires s’élevant dans les villes des vieux pays chrétiens. »
« (…) comment être musulman, comment vivre dans ce qui n’était pas la vraie religion, et surtout comment on pouvait baiser une musulmane, Skandar m’ayant assuré que les musulmans avaient une odeur spéciale (…) »
La place de Richard Millet est bien évidemment derrière des barreaux car, contrairement à ce qu’il affirme dans son livre, les crimes contre l’humanité existent bel et bien et ils sont imprescriptibles. « Indignez-vous ! » clame justement Stéphane Hessel. Je suis sous le choc. Un tel ouvrage a pu être édité ? Des critiques ont pu trouver des qualités à cet ignoble bréviaire de haine ? Les associations humanitaires n’ont pas poursuivi en justice cet assassin ?
Commenter  J’apprécie         111