La lecture s'est avérée être un refuge essentiel en temps de pandémie. La littérature, art parmi tant d'autres, est thérapeutique. C'est un outil pour notre santé mentale. Dans son essai Service essentiel, Émilie Perreault plaide pour une plus grande place des arts et de la culture dans nos vies en adoptant «de saines habitudes de vie culturelle». L'animatrice s'entoure des écrivain·e·s Émilie Monnet, Sophie Faucher et Robert Lalonde lors d'une table ronde pour discuter de la fonction sociale de l'art et de l'accès à la culture, entre autres.
Avec:
Émilie Monnet, Auteur·rice
Sophie Faucher, Auteur·rice
Robert Lalonde, Auteur·rice
Émilie Perreault, Animateurrice
Livres:
Okinum
La vie, ma Muse
SERVICE ESSENTIEL
Pas un jour sans un train
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#slm2021
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Je vais écrire. J'aime vouloir écrire, attendre, désirer m'y mettre, tourner autour de la table où tout est à la fois pêle-mêle et ordonné, mes livres, les pages, le bol de café froid, le tabac, le briquet, les crayons taillés au couteau de cuisine, les dictionnaires qui m'intimident toujours autant, comme la Bible j'imagine, en impose aux apprentis théologiens. Je réchauffe le café, savoure mon envie inquiète, comme on se régale un peu amèrement du commencement d'un amour. Les plus beaux fruits, les plus mûrs, relâchent une certaine âpreté avec leur saveur. C'est que, comme l'écrit Giono, certaines odeurs donnent de merveilleuses et terribles illusions.
Tout à coup, un magnolia, toutes fleurs dehors, opalescentes et rosées comme des mouchoirs ensanglantés qu'on a mis à tremper dans l'eau claire d'un bol, m'arrête et m'éblouit un long moment, me plonge dans l'une de ces extases orientales et peu ordinaires, où l'on croit déceler, et même ressentir, la présence vibrante et solennelle d'une vérité. On sent alors que quelque chose en nous lutte avec détermination pour pactiser avec l'existence. Il n'y a pas de sens, il n'y a qu'un déroulement, alternativement terne et scintillant, hivernal, printanier, une passion qui cherche à mettre au moins la moitié du monde entre notre cœur et sa honte.
J'ai humé l'air sapineux des hauteurs, la gentiane de roche et le sable mouillé où la pluie a encore le goût du ciel, de la foudre et du jonc frais. J'ai ri pour mourir, de nos maladresses, à Claude et moi, de nos sortilèges de fous lâchés dans le bois. Nous avons passé huit heures d'affilé sur un radeau qui glissait lentement sur une huile d'argent où les arbres à l'envers étaient plus immobiles encore que nous deux.
Ces contentements là se racontent mal. Nous étions dans un grand rêve furieux et doux, au fond duquel se débat peut-être une imagination de gens qui lui refusent un essor quotidien ? ...Lumière des lacs, des ciels tombés dans leurs miroirs, reptations dans l'herbe mouillée, longs ébats d'une joie violente où l'on retrouve l'ancien guerrier, l'ancien chasseur, le néolithique névralgique, le doux monstre sorti du dédale. Ce fut une exceptionnelle félicité d'air et d'eau, de soleil et de mouches féroces, de rires et de quelques truites molles, qui pesaient comme des roches au bout du fil, et qu'on a mangées sans leur ôter la tête, dans des jus savoureux.
Il tombe une pluie si fine qu'on ne la voit pas, à moins de lancer le regard vers les pins, au fond de l'horizon, ou sur le mur du hangar, et alors on aperçoit comme une neige de fines perles, oblique et continue, un voilage qui glisse, luisant, tout ajouré et que promène à son gré le vent qui ne nous quitte plus. Il décoche, sur l'eau du lac, tranquille et noire comme du thé, des rafales de flèches invisibles, qui font frissonner le miroir où les herbes réfléchies s'embrouillent, se mêlent aux nuages et aux sapins, et ce n'est plus qu'une simagrée remuante de vert, de paille et d'argent, semblable à ce grouillement chamarré, à cette bouillie de couleurs et de lumière qu'aperçoivent tout d'abord, parait-il, les aveugles qui recouvrent la vue.
D'où me vient cette rage de vivre, rage à vivre ? Rage contre le monde tel qu'il est, tel qu'on le laisse devenir, tel qu'on l'endure ? Rage contre la publicité, l'argent, l'indifférence du cœur, la disparition de la compassion ? Rage de l'adolescent de cinquante-six ans qui perd son souffle à clamer l'inachèvement de l'homme et de la nature, la nécessité du regard lucide, cordial ? Rage de l'homme qui s'essaie à la sagesse, dans un monde qui méprise les livres et se pâme devant la télévision, tolère la violence, la bêtise et traite les sages d'illuminés ? Rage de survivre à ma rage, de ne pas savoir frapper, pour défendre les faibles et remettre les prétentieux, les imbéciles et les profiteurs à leur place ? Rage de tolérer l'intolérable ?
Qu'est-ce au juste que l'identité? L'hérédité, la passion et l'expérience emmêlées. C'est avoir non pas son âge, mais tous les âges en même temps
Le temps perdu, le temps retrouvé. La fameuse madeleine de Proust. Il n'y a peut-être pas de vrai mystère là-dessous. Il s'agit plutôt d'un chemin - un sentier de traverse, une sorte d'échappée belle.
Nous ne regardons pas, n'écoutons pas assez. C'est-à-dire pas assez longtemps. Je me lève et marche sous la pluie douce, tranquille, le coeur cognant comme après une course que j'aurais faite en rêve.
C'est un soir calme, doux, qui me donne envie de réciter tout haut ce petit quatrain d'Emily Dickinson, qui dit le mystère et la simplicité de la tendresse :
"Je suis personne ! Qui es-tu ?
Es-tu personne, toi aussi ?
Nous sommes donc deux - n'en dis rien !
On nous chasserait , tu le sais !"
Le coeur n'est-il pas d'abord un muscle? Et un muscle, ça se tend, se détend, se retend. Ce muscle-là doit être bien assez futé pour tenir ses promesses.