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Critiques de Roland Gori (25)
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La Dignité de penser

Voilà un essai qui est loin d’être facile à chroniquer. Les notions, les idées s’y bousculent et ce n’est pas toujours évident de suivre le raisonnement de l’auteur. Sa pensée est dense et complexe. Enfin je parle pour moi, bien sûr … Je vais quand même essayer de synthétiser cet essai si riche, si foisonnant. Tant bien que mal.



Déjà le titre est très séduisant, je trouve. Et puis si je m’attarde un peu à la bibliographie du bonhomme, je ne peux qu’être pour le moins curieuse: « La santé totalitaire », « L’empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social », « Exilés de l’intime. La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique ». Voilà des titres très alléchants, et qui annoncent une pensée originale, voire subversive. Et c’est vrai que je n’ai pas été déçue …



Le constat principal de Gori, c’est la prédominance de la « technique » dans tous les domaines de notre vie. Bien sûr nous ne pouvons nier son omniprésence dans nos vies de tous les jours, mais là où ça devient plus insidieux, et plus inquiétant aussi, c’est son influence sur notre langage, notre façon de raconter, de nous raconter, et par là même sur nos rêves.



La machine (numérique ou non) et tous ses corollaires (comme l’utilisation des statistiques à outrance, des algorithmes de décision, la surabondance des informations brutes – exactes ou fausses- livrées sans recul et sans analyse, leur durée de vie extrêmement limitées, …) font de nous des hommes numériques, bientôt limités à nos capacités de production. Et rien de plus. On fait fi de la faculté de penser des hommes, de leur bon sens, de leur jugement, de leur pouvoir de création. L’homme est devenu un moyen de production comme un autre qu’il faut pouvoir contrôler et évaluer. Un moyen de production qui doit entrer en communication avec la machine, et par cela même utiliser un langage compris par la machine. Donc un langage purement objectif, sans aucune équivocité, aucune subjectivité, aucune poésie. Avec à terme un appauvrissement du langage et des schémas linguistiques, et tout ce que cela entraine. En fait là où la machine aurait dû permettre à l’homme de s’affranchir en quelque sorte de sa condition, elle l’aliène. L’homme est devenu l’esclave de la machine. Et un nouveau totalitarisme est en train de naître sous nos yeux.



La parole est peu à peu dévalorisée pour être limitée à l’information qu’elle véhicule. Rien de plus. Ce langage (mais peut-on encore parler de langage ?) et cette façon d’aborder la vie, uniquement basés sur des informations objectives, quantifiables, que l’on voudrait exactes, envahissent tout notre quotidien. Même les domaines très éloignés de la technique, tel le monde de la psychiatrie. A titre personnel, j’en ai fait les frais il y a quelque temps. J’étais dans une période de doute et de désespoir, une période de crise existentielle comme je crois tout le monde traverse un jour ou l’autre, et j’ai éprouvé le besoin de trouver une aide extérieure. J’ai contacté une psychologue, qui m’a écoutée pendant une heure. Puis elle m’a fait passer toute une batterie de tests, test d’orientation, test de QI, qui ont livré leur verdict … Ouais, bon … Je n’étais pas plus avancée, mes doutes étaient toujours là, et j’ai compris que la psy ne pouvait rien de plus pour moi. Sauf me prescrire quelques pilules, quelques drogues légales. Peut-être aurai-je dû m’adresser à un prêtre. Quel dommage que je ne crois pas en Dieu …



D’autres domaines aussi sont touchés. Et non des moindres. Ainsi en Amérique pour accéder aux meilleures universités, les parents imposent à leurs enfants les loisirs qui ont le plus de poids dans les algorithmes qui décideront ou non de l’inscription ou non du chérubin dans la tant convoitée université. Pauvre gosse !



Bref c’est toute notre société qui est atteinte de cette folie normative, de ce tout-à-la-machine, sans plus aucun contrôle humain, sans aucun recours au sens critique. Même nos processus mentaux sont formalisés par les sciences cognitives qui sont une écriture du monde. Et non le monde lui-même. D’ailleurs parfois, (souvent ?) la machine se trompe. Rappelons-nous des erreurs d’estimation des sociétés de cotation lors de la crise financière de 2008.



Peu à peu, c’est la parole qui disparait alors qu’elle est le fondement des démocraties et du sens de notre vie aussi : en racontant sa vie on l’éclaire, on l’explicite on lui donne du sens. D’où difficulté de trouver du sens à nos vies.



En conclusion, voilà un essai très intéressant, truffé de références (Freud, Lacan, Hanna Arendt, Weil, Walter Benjamin, Bourdieu, pour les plus connus), où je me suis parfois perdue, mais où j’ai trouvé beaucoup de réflexions intéressantes, qui m’ont interpellée et ont apporté un nouvel éclairage sur mon expérience personnelle et sur notre époque actuelle. Un éclairage original, intelligent, très réaliste et malheureusement très déprimant. Mais tellement nécessaire.

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Homo Drogus

C'est un livre coup de poing que Roland Gori et Hélène Fresnel lancent dans la fourmilière de notre société de consommation de produits médicamenteux. Ce livre nous met face au miroir de la surconsommation de ces produits, pour bon nombre d'entre nous.



Le DSM (manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux) est un ouvrage de référence créé en 1952 aux Etats-Unis. Troubles mentaux... vous allez dire que cela ne vous concerne pas. Et bien détrompez-vous !

Parce que cet ouvrage est revu et corrigé régulièrement. De 60 pathologies répertoriées à son origine, le DSM-5, la dernière version de 2013, en répertorie plus de 400 ! Cet ouvrage est aujourd'hui utilisé dans le monde entier, par les chercheurs, les médecins, psychiatres, experts, les mutuelles et même les compagnies d'assurance.



Mais à quoi sert-il ? Initialement, c'était pour aider le médecin à poser un diagnostic. Désormais, c'est beaucoup plus que cela. Il répertorie, il étiquette, il subdivise monsieur tout le monde et les conséquences en sont désastreuses. Tout ce qui fait notre différence, notre singularité devient une pathologie.



Le DSM-III de 1980 a "détricoté" le système qui organisait les maladies psychiques en trois grandes catégories qui laissaient au médecin la liberté d'établir son diagnostic "en s'appuyant sur la relation avec son patient." Tous les comportements de l'individu sont désormais anormaux, depuis que sont apparus ,dans cet ouvrage, les termes de "trouble" et de "dys".



Exemples : votre enfant a peur des araignées ou du tonnerre ? Il souffre de "phobie spécifique". Il se grattouille la peau trop souvent ? C'est la "dermatillomanie". Il fait des cauchemars ? il faudra traiter sa "parasomnie". Il simule une maladie pour rester au chaud dans son lit ? il est atteint de "trouble factice auto-induit". Il pique des colères ? Attention, là, il devient anti-social et il faudra régler le problème de "trouble explosif intermittent". Et j'en passe ! La timidité, la distraction, la rêverie, le narcissisme, l'envie de solitude, les humeurs... Tout est désormais un "trouble de la personnalité multiple".

"Ce qui n'est pas jugé normal devient maladif."

Effarant, non ?



Il faut nous formater !

Tant que l'on s'occupe de notre santé mentale et celle de nos enfants, on n'a plus le temps de s'intéresser à autre chose, notamment de politique.

Il faut être apte à s'engager dans la société du futur; il faut faire du chiffre, atteindre des objectifs, aller plus vite. Et là, merci les somnifères, tranquillisants, antidépresseurs et psychostimulants.



Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, les laboratoires financent en grandes parties les psychiatres qui participent à la nouvelle édition du DSM (cela peut aller jusqu'à plusieurs millions de dollars). Pour vous dire comme tout cela juteux...



Lisez de livre ! il ne vous prendra pas beaucoup de temps (102 pages), il est accessible à tous et il développe beaucoup plus que ce que je viens d'écrire, mais ce serait trop long.

Alors je termine par cette citation qui vous fera entrevoir l'autre fond du problème décrit dans cet ouvrage :

"Nos enfants ne se sentent plus autorisés à être fragiles et incomplets. Non, ils fuient leur besoin des autres en se réfugiant dans la grande maladie de l'époque : l'addiction."



Merci à Babelio et aux éditions Harper Collins !
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Peut-on vraiment se passer du secret ? L'il..

C’est bien de la psychanalyse ça : tout ce qu’on arrive à en dire, de la question portée par le titre de l’ouvrage, c’est qu’en définitive, on n’en sait trop rien. Parfois le secret ça sert et parfois ça sert pas ; parfois le secret c’est bien et parfois c’est pas bien. Ce qui peut être intéressant, c’est de voir comment chacun s’en sort pour défendre sa chapelle puisque plusieurs contributeurs ont été sonnés pour tresser leur petit chapitre.





Comment que j’en suis venu à ce bouquin, moi qui n’en ait rien à foutre du secret puisque je connais déjà depuis longtemps ses bénéfices voire sa nécessité, souvent vitale en certaines conditions ? Eh bien voilà t’y pas que l’année dernière, je faisais mon stage chez Eric Dudoit et nous étions là, avec un autre stagiaire, dans son bureau, à se faire un peu chier tous ensemble parce qu’on avait plus envie d’aller écouter les malades de la Timone. Ça arrive. Pour nous occuper, il nous sort alors ce bouquin de derrière les fagots et il nous dit : Ecoutez les gosses, j’ai écrit ça au cours d’une nuit dans un état de transe, je me suis emballé et certains passages ne veulent strictement rien dire. Dites-moi, vous comprenez ça, vous ? Et il commence à nous lire le truc :





« La nature même du secret implique une solitude, qui est la pierre angulaire de la singularité de la rencontre entre médecin et patient. Cette nature du secret est la marque de l'engagement éthique d'un professionnel envers un tiers semblable et différent qu'est le patient. Cette nature est de l'ordre de la solitude, « l'ordre de la solitude » est différent de la solitude, à l'instar de « l'ordre symbolique » et du symbolique. « L'ordre de la solitude » est la condition de possibilité du secret, non en tant que non-dévoilement d'un contenu donné, mais par la fonction de cet ordre qui implique le secret en tant que mode de « discours au sujet de ». Pour éclairer cette notion, revenons là où possiblement naît un secret dans une relation, là où ça parle, à savoir dans la dimension du sacré (c’est-à-dire celle de l'inconscient). »





Etc., etc., je vous en passe des flamboyantes et des piquées du vermisseau, un truc à se la palucher pendant des heures sous l’étincelle vacillante d’une chandelle moyenâgeuse. Et on se marrait, à s’en taper la tête contre la pile de dossiers, sans doute assommés par la fatigue aussi et les vapeurs éthyliques des produits désinfectants. Quelle poésie ! On peut se laisser transporter et vaciller par le rythme ondulant d’une logorrhée qui ne fait sens qu’en état de transe.





Je conseille également l’essai de Roland Gori qui, dans une veine très foucaldienne, reproche au secret médical d’être bientôt dévasté par les technologies de surveillance virtuelles. D’ailleurs, la réforme récente sur la collecte des données ne fait que confirmer cette analyse puisque, la semaine dernière, alors que je me connectais sur facebook, on me demandait si j’acceptais leurs nouvelles dispositions. Bien sûr, le choix était plutôt restreint et mon acceptation ne fut que contrainte puisque, si je refusais, je n’avais tout simplement plus le droit de venir perdre mon temps à espionner les individus de mon entourage, espérant combler le territoire infini d’inconnaissance d’un autre à l’autre qui me séparera d’eux à tout jamais.





Vous l’aurez compris, nous ne parlons ici de secret que dans le contexte médical. Désolée si vous croyiez que c’était autre chose, il vous faudra régler vos problèmes de couple avec un autre bouquin.





A bon entendeur, salut.

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La folie Evaluation. Le malaise social cont..

Apologue: l'horloge parlante donne l'heure exacte, mais elle ne donne que l'heure exacte.

Au moins elle ne cherche pas à nous faire croire qu'elle oriente nos métiers, nos compétences, et nos vies.

Commentaire

L'évaluation, elle, veut nous faire croire que ce qui est exact est de même essence que ce qui est vrai.

L'évaluation prétend établir un constat exact des insuffisances de chacun de nos métiers, pratiques, compétences.Au nom de principes implacables d'économie et de performances, à partir de postulats discutables et le plus souvent non justifiés, mais présentés comme "mathématiques" et "scientifiques",

Elle fétichise le chiffre et dénie l'humain.

Elle prolifère.Elle crée l'évaluation de l'évaluation, etc,

Elle est toujours à refaire.

Elle coüte plus cher que les économies qu'elle prétend faire réaliser.

Elle destitue les savoirs et les compétences, elle installe une bureaucratie qui dit que les moyens justifient la fin, et même se justifient tout seuls.

Au nom de la régulation, elle dérégule et pulvérise les échanges collaboratifs entre pairs en instaurant une concurrence digne du struggle for life.

Elle est chronophage.

Elle ne reconnaît pas les compétences, mais elle sanctionne nécessairement puisqu'elle définit un "toujours plus" .

Elle traque l'insoumission.

Elle promeut toutes les servitudes volontaires.

Elle attaque l'individu qui s'oriente dans son être à partir d'une éthique

Elle installe une régulation par la norme et non plus par la Loi.

Elle est humanicide

Elle amène à créer des néologismes plus hideux que celui-ci
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La fabrique des imposteurs

Cinquante pages lues, et impossibles d'aller plus loin. Je suis dans l'incapacité de juger le fond, étant donné l'état catastrophique de la forme.



Première remarque, je ne sais toujours pas au quart du livre de quoi on parle exactement. Dès la première phrase, l'auteur se lance dans son raisonnement, mais il ne prend jamais la peine de définir ce qu'il entend par « imposteur ». Une pathologie semblable à la mythomanie ? Des troubles psychologiques qui se développent depuis peu à cause du fonctionnement de notre société ? Un phénomène sociologique universel ? Je n'en ai toujours pas la moindre idée.



Deuxième critique, l'utilisation abusive des guillemets, présents dans chaque paragraphe, sans que l'on devine leur usage : est-ce que l'auteur cite quelqu'un ? Et dans ce cas-ci, qui ? Est-ce qu'il utilise des termes approximatifs ? Dans ce cas, j'aurais préféré qu'il travaille un peu plus son texte avant d'en livrer un rempli d'approximations. Quant aux notes de bas de page qui suivent un terme ou une expression particulière, elles renvoient simplement aux titres des ouvrages dont ils proviennent, sans aucune explication supplémentaire. Si vous les avez lus, tant mieux pour vous, sinon, vous pouvez aller vous gratter.



C'est le premier livre que je lis de cet auteur, et je ne peux donc pas juger de sa qualité, mais le côté très fouillis de cet ouvrage laisse à penser qu'il s'agit d'un livre promotionnel, uniquement destiné à se faire inviter en série à la radio ou à la télévision.
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La Santé totalitaire : Essai sur la médicalisat..

Grande lectrice et passionnée par les sciences, notamment par la médecine et le corps humain, j'avoue ne pas avoir lu ce livre en entier. J'ai lu environ la moitié de l'ouvrage à grand-peine, puis j'ai un peu survolé certains passages.

Peut-être que cet ouvrage, érudit et très sérieux, aurait gagné à être mis en valeur par un travail éditorial différent ? Un essai en format un peu plus grand, un texte plus aéré, illustré ... Le propos aurait été tout aussi fort, mais plus lisible et digeste, me semble-t-il.

Un livre intéressant, mais sans doute pensé plutôt pour les professionnels de santé et de bioéthique.
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L'individu ingouvernable

Je ne résiste pas à ce qui me semble être une nécessité : Proposer une version courte et autonome de mon billet et une version plus développée. Chacun choisira celle qui lui convient.

1. Pour faire court. Publié aux Editions Babel, « L’individu ingouvernable » (2015) est un essai intéressant mais pas toujours aisé à lire.

Cet essai, on le doit à la plume de Roland GORI. Psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie à l’Université de Aix-Marseille, cet auteur fait partie de ces quêteurs d’Humanité qui se battent dans notre époque de l’immédiateté pour se donner un peu de temps, un peu de recul pour lire notre Monde et y redécouvrir des voies, des pistes à suivre sur le chemin du futur.

Roland GORI se pose trois questions. La première : Pourquoi les Sociétés occidentales traversent-elles depuis plus d’un siècle des crises morales, économiques, politiques et symboliques ? Et, dans la foulée, pourquoi, semble-t-il ne pas tenir compte de la répétition de l’Histoire pour anticiper les crises à venir et les éviter ? La deuxième est celle que pose une gouvernance qui s’appuie sur une technicité toujours plus grande. La troisième relève de la pertinence à reconnaître un parallélisme entre le développement du monde à gouverner, instruire et soigner et celui de la psychanalyse qui s’attelle à repositionner l’individu en tant que sujet porteur d’un besoin de liberté et de reconnaissance.

Le livre, dans son entièreté, à la fois défilera l’histoire des gouvernances et des crises du libéralisme, il la fera entrer en résonnance avec les grandes avancées psychanalytiques et tâchera de pointer les apports positifs sur lesquels une gouvernance du Monde peut s’établir en tenant compte des unicités et des multitudes complexes. Mais il pointera aussi, avec exemples et références, les dysfonctionnements politiques qui laissent la part belle à la perte des traditions, à l’immédiateté des résultats exigés, à l’évaluation formatée et à la suprématie des experts qui s’autoproclament les seuls sages capables de juger. GORI soulignera aussi le triste refus de nos sociétés de relire le passé pour en comprendre les messages pour le futur. Il invitera sans cesse les individus comme les sociétés, les gouvernants comme les gouvernés à entretenir un rapport de dialogue dans le mélange des singularités plurielles. La recherche du bien commun, dira GORI, ne peut être l’apanage d’une gouvernance. Il émane d’un partage de la base, exprimé, harmonisé, consenti, expérimenté et évalué, relu, réfléchi qui donne au Politique, lorsqu’il s’en montre le garant, la possibilité alors, et seulement alors, de se prétendre le serviteur du bien commun.

Un livre de notre temps, un livre qui nous aide à préparer le futur … qui est déjà là. Las, peut-être !



2. Pour m’étendre quelque peu sur les sujets traités. Publié aux Editions Babel, « L’individu ingouvernable » (2015) est un essai intéressant mais pas toujours aisé à lire. Malgré – ou peut-être à cause des nombreuses notes qui référencent de manière précise les dires de l’auteur ou ses emprunts à la littérature, la psychologie, la psychanalyse et à quelques grands Maîtres, chercheurs d’Humanité, et qui se nomment Hanna Arendt, Michel foucault, Freud, Herman Hesse, Véronique Ranouil, Marcel Gauchet, Pierre Bourdieu ou encore Freud, Nietzsche, Pasolini, Baudelaire et bien d’autres.

Cet essai, on le doit à la plume de Roland GORI. Psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie à l’Université de Aix-Marseille, cet auteur a aussi publié « La dignité de penser » (2011), « La fabrique des imposteurs » (2013), « Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux » (2014) ou encore « Un monde sans esprit » (2017). Nul doute, il fait partie de ces quêteurs d’Humanité qui se battent dans notre époque de l’immédiateté pour se donner un peu de temps, un peu de recul pour lire notre Monde et y redécouvrir des voies, des pistes à suivre sur le chemin du futur.

Chez Roland GORI, les titres de ses publications en témoignent, on retrouve la volonté, quasi obsessionnelle, de poser aux lecteurs trois questions. La première est une évidence qui, à ses yeux, n’est pas suffisamment pas prise en compte : Pourquoi les Sociétés occidentales traversent-elles depuis plus d’un siècle des crises morales, économiques, politiques et symboliques ? Et, dans la foulée, pourquoi, semble-t-il ne pas tenir compte de la répétition de l’Histoire pour anticiper les crises à venir et les éviter ? La deuxième question, fondamentale, est celle que pose la technicité toujours plus grande alors que la gestion politico-économique libérale du monde tente à s’affranchir de l’humain qui a ses faiblesses, ses manques de réponses toujours identiques et donc son imprévisibilité face aux stimuli provoqués par une économie de fabrication à outrance et non de création. La troisième, centre de son essai, relève de la pertinence à reconnaître un parallélisme mis en évidence par le chercheur entre le développement du monde à gouverner, instruire et soigner et celui de la psychanalyse qui s’attelle à repositionner l’individu en tant que sujet porteur d’un besoin de liberté et de reconnaissance.

Le modèle libéral, argumente-t-il, est un modèle fasciste si on entend, à la suite de Roland Barthes, le fascisme comme étant un mode de gouvernance, non qui empêche de dire ce que l’on pense mais qui impose d’affirmer notre adhésion totale au modèle utilisé par les gouvernants du régime ! Or, selon Roland GORI, la pensée libérale qui domine le monde « se fonde sur l’intérêt que ‘chacun’, individu ou gouvernement, peut attendre des actions qu’il entreprend. La rationalité utilisatrice du gouvernement des individus repose dès lors sur le calcul des retours sur investissement que peuvent procurer les actions économiques, culturelles, politiques, philosophique, morales et psychologiques. Le pouvoir ne cherche pas à régler ses actions sur la sagesse, la vertu, la foi, la gloire ou l’idéal. Il ne gouverne que sur les calculs : calculs des richesses, calcul des facteurs de risque, calcul des relations et des opinions, de leur optimalisation. »

On le sent, l’Homme-libre, l’Individu porteur d’une pensée, d’une vie à vivre ne peut rivaliser en efficience avec les robots, les cyborgs, les machines que la technologie dote déjà d’une « pensée autonome » leur permettant de disqualifier l’Être dans ses choix et réactions au nom d’un calcul d’efficience, de fiabilité et de retour sur investissement plus grand. L’option libérale ne gouvernant que par calcul, elle se doit de tout mettre en œuvre, non pour empêcher l’homme d’avoir un avis, mais pour lui imposer de marquer son accord, son ralliement à la pensée unique que l’intérêt privé, y compris ceux des gouvernants, prime sur l’intérêt de la société.

Par toutes les techniques de communication, de gouvernance, d’instruction et de prise en charge dont il dispose, le dirigeant politique s’impose à l’individu, surtout si ce dernier se révèle faible, sans moyen d’investir et de faire entendre sa voix. A ce titre, l’impérialisme toujours plus grande d’un langage techniciste, codé et loin de toute expérience humaine propre à l’individu est un des moyens forts pour affaiblir celui-ci et lui ôter toute parole échangeable avec le système ! Et même si, en paroles, chacun sera proclamé unique et digne d’intérêt, dans les faits, l’individu massifié par le mode de gouvernance sera disqualifié et tenu pour zéro à moins de proclamer haut et fort son attachement prosélytiste au pouvoir. Dans ce seul cas, il sera servi à concurrence des services qu’il rend lui-même aux gouvernants. Tel est le modèle de gouvernance libéral ou néo-libéral qui cherche à régir le monde depuis la fin du 19 siècle, au moins.



Mais avec la psychanalyse, révolution copernicienne dans l’approche du sujet pensant régi, le plus souvent, par l’inconscient, l’individu apparaît comme n’étant libre qu’à condition de pouvoir prendre le temps de dire au présent ce qu’il peut retrouver de constituant dans son passé et, de ce fait, pouvoir anticiper des actions créatrices d’un futur tenant compte de la concordance des temps qui a mené l’individu du passé au présent, porte d’un futur. Que ce soit dans la recherche de sa propre authenticité ou dans la gouvernance de la société où il est plongé, si l’individu ne peut jouir de ce temps de conjugaison de ses singularités plurielles et de son rapport au temps, il ne pourra que se situer continuellement en porte-à-faux avec un modèle de gestion, d’instruction et de soin à prodiguer à la Société qui le pousse, le force à poser des choix sans conscience. L’homme relié à lui-même et donc aux autres (la solitude à besoin des autres !), l’homme donc ne peut se satisfaire et adhérer à une culture exclusivement centrée sur les calculs d’intérêts, calculs qui sont le fondement même de toute politique libérale. L’individu, s’il n’est avant tout relié à lui-même et aux autres, est donc ingouvernable !

Le livre, dans son entièreté, à la fois défilera l’histoire des gouvernances et des crises du libéralisme, il la fera entrer en résonnance avec les grandes avancées psychanalytiques et tâchera de pointer les apports positifs sur lesquels une gouvernance du Monde peut s’établir en tenant compte des unicités et des multitudes complexes. Mais il pointera aussi, avec exemples et références, les dysfonctionnements politiques qui laissent la part belle à la perte des traditions, à l’immédiateté des résultats exigés, à l’évaluation formatée et à la suprématie des experts qui s’autoproclament les seuls sages capables de juger. GORI soulignera aussi le triste refus de nos sociétés de relire le passé pour en comprendre les messages pour le futur. Il invitera sans cesse les individus comme les sociétés, les gouvernants comme les gouvernés à entretenir un rapport de dialogue dans le mélange des singularités plurielles. La recherche du bien commun, dira GORI, ne peut être l’apanage d’une gouvernance. Il émane d’un partage de la base, exprimé, harmonisé, consenti, expérimenté et évalué, relu, réfléchi qui donne au Politique, lorsqu’il s’en montre le garant, la possibilité alors, et seulement alors, de se prétendre le serviteur du bien commun.

Un livre de notre temps, un livre qui nous aide à préparer le futur … qui est déjà là. Déjà las, peut-être !

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L'individu ingouvernable

L’histoire nous le prouve : la théorie a toujours un temps de retard sur l’expérience. Dans cet ouvrage, Roland Gori analyse le contexte d’apparition de la psychanalyse. Il considère que son invention serait comme une réponse qui s’ignore au sein d’une crise larvée dans le libéralisme. Le libéralisme, du peu que j’en connaisse (je ne fais ici que résumer ce que je pense en avoir compris d’après le bouquin, d’ailleurs cette question m’ennuie), prônerait la liberté individuelle et revendiquerait la rationalité de chacun, ceci afin que chacun se dépêche évidemment d’honorer la supposée pleine efficience du marché. Cette promesse s’appuiera de plus en plus sur les progrès techniques et scientifiques qui sont censés aider l’homme à devenir toujours plus autonome et responsable – le paradoxe semble ici naturel.



On voit, à la fin du 19e siècle, concomitamment au déploiement croissant du délire libéral, le phénomène hystérique prendre sa pleine ampleur. Or, qu’est-ce que l’hystérie, sinon la démonstration de ce qu’il y a d’irréductible en l’être humain ? L’autonomie et la raison, idéaux du libéralisme, sont sans cesse menacés par ce qui reste de sauvage et d’ingouvernable chez l’individu. C’est ce que Freud appellera l’inconscient.





Le but (inconscient) de Freud aurait donc été de créer (épistémiquement parlant) un nouveau sujet éthique dans une démarche « qui n’ignore ni les illusions de la raison, ni les contraintes sociales, mais pas davantage le libre arbitre d’un sujet qui décide dans un lieu auquel paradoxalement il n’aurait pas directement accès. Freud déplace sur la scène psychique, concept d’un nouveau champ, les contradictions du champ social ». La psychanalyse serait donc née dans un mouvement (inconscient) de délégitimation de la pensée libérale dans ce qu’elle a d’impensé. Ce qui n’avait pas été prévu, c’est que l’hypothèse de l’inconscient allait se retrouver embrigadée à d’autres périls politiques de la manipulation des masses.





L’idée que l’homme n’est pas tout entièrement en lui-même et que son inconscient le rend ingouvernable s’est très bien arrimée à l’explication de la terreur nazie – une explication somme toute assez maigre car la critique des pensées et actes du nazisme ne dépasse que très rarement le constat selon lequel « ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient » (comme nous tous, du reste, mais c’est une autre histoire et nous attendons avec impatience nos juges du futur – quoi, ils sont déjà là ?!). C’est ainsi que nous serions progressivement passés d’une société libérale à une société de contrôle libérale. Le truc inconscient un peu tordu dans l’esprit de chaque être humain ne fait plus rire personne : il faut désormais l’encadrer. Remarquons que les terrorismes arrivent à point nommé pour justifier l’établissement d’un état d’urgence permanent, transformant la démocratie en démocratie sécuritaire : « Nous serions donc en train d’inventer, avec la complicité des terrorismes internationaux, une nouvelle forme de démocratie, la démocratie sécuritaire ».





Si la démocratie sécuritaire s’est progressivement installée dans l’espoir d’empêcher la résurgence de phénomènes sanglants, elle ne tient qu’en vertu des bénéfices secondaires inconscients qu’elle procure. En nous proposant sans cesse de nouvelles peurs, elle masque l’angoisse et nous dispense de voir le vide structurel sur lequel reposent nos existences (mais le sens d’une existence, nous dit parfois la psychanalyse, serait justement de faire de ce vide une joie en le remplissant des agréments qui nous semblent à nous-mêmes les plus merveilleux). Pour illustrer ce propos, Lacan intervient à point nommé :





« La liaison étroite de la peur avec la sécurité devrait vous être rendue manifeste par la phénoménologie de la phobie. Vous vous apercevriez que, chez le phobique, ses moments d’angoisse se produisent quand il s’aperçoit qu’il a perdu sa peur, lorsque vous commencez à lui lever un peu sa phobie. C’est à ce moment-là qu’il se dit – Oh là là ! ça ne va pas. Je ne sais plus les endroits où il faut que je m’arrête. En perdant ma peur, j’ai perdu ma sécurité. »





Ce que Roland Gori propose comme solution à son jeu de mots croisés, c’est de réinventer l’humanisme. Le problème c’est que pour réinventer un truc, il faut qu’il ait déjà été inventé avant. Roland (que je vais appeler par son petit prénom maintenant qu’on est bien potes après 300 pages) sort de la psychanalyse et passe directement aux solutions politiques, ce qui n’est pas sans m’importuner sérieusement :





« Il convient de réhabiliter la parole et le récit dans un partage du sensible qui fonde l’expérience ordinaire autant que la décision démocratique. Sans concession, nous devons objecter par le rêve et le récit à cette curatelle technico-financière sous la fourche de laquelle le pouvoir « financier » place les citoyens autant que les politiques et finit par menacer notre liberté. »





Voilà, je ne suis personnellement pas certaine qu’il y ait de solutions au problème de la gouvernance de l’homme par l’homme (et au problème plus fondamental encore de la passion générale pour la servitude volontaire, dont je suis moi-même très friande), mais c’est bien que certaines personnes ne soient pas trop pessimistes.

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L'empire des coachs : Une nouvelle forme de..

Le coaching très en vogue consiste à mobiliser les ressources intérieures d'une personne pour atteindre des objectifs. Venu du sport, il s'est étendu à tous les domaines, professionnel et santé. Proche de la psychologie positive et au service du libéralisme, il empêche de se rebeller, incite à la résignation, à adhérer aux valeurs ambiantes qu'il empêche de remettre en cause.

Les auteurs invitent à s'en détacher et critiquent sa vision réductrice, trop pragmatique et manipulatrice de l'Homme.

Dans nos sociétés contemporaines sans repères, les coachs sont là selon les auteurs pour adapter l'homme à la société. La dépression n'est plus liée à une faute mais à une inadaptation. Le coaching favorise la normalisation conformiste des masses au détriment de l'intériorité.

Cette responsabilisation de l'individu culpabilise ceux qui ne s'adaptent pas à la société, à la vie professionnelle, voire les malades puisqu'ils sont déficients et ne parviennent à trouver en eux les ressources dont ils disposent pourtant pour surmonter leurs difficultés.

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La fabrique de nos servitudes

Cet essai érudit quasi clinique sur le langage sa place dans nos systèmes et nos sociétés nous permet d’admirer un formidable état des lieux de nos modes de pensées, des différentes technocraties et autres dictatures bureaucratiques. Mais il est aussi le reflet, à mon sens, d’une immense amertume de l’auteur. Tout est il si sombre, si mortellement ennuyeux pour plagier une de ses expressions récurrentes ? Et ces aspects terrifiants sont ils propres à notre époque ? Je ne le crois pas. Peut être suis je trop résilient pour reprendre un autre concept très tendance.
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Et si l'effondrement avait déjà eu lieu

Un texte riche, une profusion d'idées qui donnent le tournis.

C'est un livre qui est bien écrit mais qui ne se présente pas forcément comme il le devrait (ou en tous cas comme je l'imagine)

Ce livre est riche donc. Très riche en informations et en explications.

Parfois, souvent, j'ai eu l'impression d'être submergée par tant de données, d’analyses et autres citations.

Clairement ce livre n'est pas pour Monsieur ou Madame Tout Le Monde car en plus de sa richesse il est pour le moins pointu dans son domaine et peut vite perdre celui ou celle qui n'a pas l'habitude des textes et analyses psychologiques.

Loin du livre de développement personnel, on est plus dans le livre de chevet studieux d'un étudiant en psychologie.

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Un monde sans esprit

Voici un essai magistral qui fait appel à l’esprit de Gramsci, de Keynes, de Simone Weil, de Freud, de Marx, de Hanna Arendt et qui cite Aragon, Jaurès, Tolstoï, Camus, Sartre, Bourdieu, Bernard Maris... Ce n’est pas rien !

L’esprit de la France est convoqué et tellement présent dans ce livre qui dénonce des élites au pouvoir ayant tout fait pour évacuer cet esprit, préférant cajoler les marchés afin, en échange, d’en conserver leurs privilèges, préférant l’oubli du passé, la remise en cause de toutes les grandes conquêtes sociales, agitant la haine et répandant la peur, préparant ainsi la possible arrivée des monstres nihilistes qui se chargeraient de remplir le vide laissé béant… Le peuple n’est pas écouté mais mesuré de façon technocratique par des sondages d’opinion qui ne représentent que les sentiments du moment « faute d’entendre sa parole et de la prendre en considération ».



Roland Gori, professeur en psychopathologie a écrit de nombreux livres dont les titres donnent une idée du fil conducteur de cet auteur érudit :

• La dignité de penser : livre où il pose cette question : « est-ce qu’on voudrait priver le peuple de penser ? »

• La fabrique des imposteurs : avec cette question : est-ce qu’on chercherait à tromper les gens afin d’arriver au pouvoir ? L'imposteur est comme un poisson dans l'eau. Il fait prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l'apparence et à la réputation plutôt qu'au travail et à la probité. L'imposteur vit à crédit, au crédit de l'Autre. Je pense immédiatement à des gouvernants d’hier... et d’aujourd’hui. Et l’imposteur suprême est dans l’ombre qui a bien vu le créneau possible...

• L’individu ingouvernable : individualisme développé à l’extrême depuis des décennies ?



Des citations qui on fait date dans l’histoire :

« La religion est l’esprit d’un monde sans esprit, elle est l’opium du peuple » Marx

« L’effet des consolations que la religion apporte à l’homme peut être mis en parallèle avec celui des narcotiques » Freud

« La crise c’est lorsque le vieux monde est en train de mourir et que le nouveau monde tarde à naître. Dans ce clair-obscur naissent les monstres » Gramsci

« Nous serions capables d’éteindre le soleil et les étoiles parce qu’il ne nous verse pas de dividendes » John Keynes

« L’art est une forme de l’activité humaine consistant, pour un homme, à transmettre à autrui ses sentiments, consciemment et volontairement, par le moyen de certains signes extérieurs… Il est un moyen d’union entre les hommes, les rassemblant dans un même sentiment, et, par-là, indispensable pour la vie de l’humanité, et pour son progrès dans la voie du bonheur » Tolstoï



Roland Gori nous dit : ne laissons pas éteindre les étoiles. Donnons du sens collectif à ce que chacun de nous fait. La fin de cet essai est consacrée à l’art dans son sens large, englobant l’artisanat, qui avec l’éducation, la culture, « l’information non industrialisée » peut constituer une voie de sortie de crise car redonnant une symbolique. Il ajoute ne tardons pas car le temps presse… L’art fait l’homme alors que la machine seule peut avilir l’homme. La citation de Tolstoï montre que du côté de l’art (non réduit au spectacle) se trouve l’humanité si on souhaite progrès et bonheur. Mais attention les hommes peuvent par facilité se trouver des chefs charismatiques et les suivre sur les chemins nihilistes bloqués sur les traditions et la particularité supposée du clan, « fondé sur les racines géographiques, raciales et historiques ».



« Il nous faut un discours vrai, le feu sacré du politique, un récit qui enthousiasme et donne envie de se battre autant que de rêver, de s’aimer autant que de s’opposer sans se détruire. Ces catégories de l’attente nouent cette dimension du sacré que partagent la religion, la politique, le soin et l’art » Roland Gori

Notes avis bibliofeel septembre 2019, Roland Gori, Un monde sans esprit


Lien : https://clesbibliofeel.home...
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La Dignité de penser

Un sujet intéressant, des arguments convaincants et un style artificiellement savant mais compréhensible pour ceux qui s'accrochent. La thèse de l'auteur est que notre société a évolué vers une survalorisation de l'information (numérisation, protocoles standardisés dans tous les domaines, glorification de la science, développement du capitalisme, technocratie qui remplace le politique, médias...) aux dépens du langage, qui pourtant est indispensable pour donner du sens à nos vies.
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La fabrique de nos servitudes

J’ai aimé le contenu de cet essai sur « nos servitudes » du langage et de nos comportements dans la société ; j’ai découvert des nouveaux concepts, des nouveaux auteurs contemporains qui regardent la réalité de nos us et coutumes de manière différente de nous. Il permet de rester humble, petits humains coincés dans le bout de l’Europe occidentale, placée sous l’hégémonie de plus en plus prégnante de l’Amérique du Nord. Nous sommes écrasés par le poids des mots qui envahissent notre quotidien et Roland Gori montre bien une situation qui semble désespérée pour celui qui ne veut pas être englouti par ces déluges d’informations quotidiennes qui hantent nos nuits quelquefois.

Si la première partie traite de la situation actuelle de nos cerveaux en ligne et de la difficulté pour une démocratie de trouver et de faire une place aux débats sereins et constructif, il voit notre position ( non parisienne car celle-ci se croit toujours le centre du monde) actuelle comme celle d’un esclave des temps modernes, quand il évoque l’habitus, une forme de pratiques qui nous habitent depuis notre enfance par l’éducation et ce que j’appelle le bain culturel de couleur ( selon le pays dans lequel tu as passé ta vie, la couleur du bain n’est pas la même et tes idées, tes opinions, tes façons de croire de vivre de parler de bouger de te déplacer ne sera pas la même. L’habitus est particulier à la culture de chaque époque également. Le changement de génération entraine de nouveaux habitus, avec son lot de nouveaux comportements et nouvelles expressions par exemple.

La deuxième partie m’a semblé encore plus intéressante.

Si la situation semble désespérée, l’auteur entrevoit une issue dans ce monde globalisé pour un nouvel avenir à l’homme sage et bien dans son temps, bien avec son corps, avec sa tête, avec les siens et tous ses voisins immédiats ou non.

L’espoir il le voit dans la poésie, dans les arts, auprès et avec les artistes qui possèdent il est vrai une sensibilité plus forte que le commun des mortels. L’emploi du langage et des mots s’appauvrissent au fur et à mesure de leur trop grande utilisation dans l’espace médiatique où ils finissent par être dissous et s’éloigner de leur signification d’origine.

L’espoir il le voit également dans les utopies, à l’image des précurseurs de la pensée révolutionnaire française au cours du XIXe siècle. Et au XXIe siècle avec le livre de Le Tellier « L’anomalie » qui raconte une histoire dans laquelle l’espace temps est déconstruit.

Enfin il invite à lire des poèmes, à découvrir tous nos poètes du XXe et ceux d’aujourd’hui, surtout issus de la francophonie.

Sa découverte avec la lecture des ouvrages de 3 auteurs de couleur, de la forte résistance des esclaves à l’oppression des planteurs est une source pour nous les humains non ensevelis sous les couches successives laissées lors de son passage sur les ondes, dans les revues, sur les écrans du bulldozer anglo-saxon de conserver l’espoir. C’est le marronage pratiqué alors et qui doit sauver nos tètes de l’échafaud médiatique.

Il y a un auteur américain qui avait évoqué ce qui nous arrive aujourd’hui ; c’est Steinbeck

« Lorsque notre nourriture, nos vêtements, nos toits ne seront plus que le fruit exclusif de la production standardisée, ce sera le tour de notre pensée. Toute idée non conforme au gabarit devra être éliminée. »



L’essai de Roland Gori est un ouvrage savant, extrêmement bien écrit (puisque je suis arrivé à le lire entièrement) et qui va chercher des références à des auteurs de différentes disciplines avec une facilité qui me déconcerte mais me réjouisse.





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La fabrique des imposteurs

j'ai beaucoup aimé cet essai, même si j'ai dû m'accrocher à plusieurs reprises pour être sûre de bien saisir le développement de la pensée de Roland Gori. J'en retiens un éclairage essentiel sur la dimension délétère de toutes ces normes et processus d'évaluation qui encadrent nos vies dans toutes leurs dimensions (santé, loisir, travail, famille, etc), délétère tant pour la démocratie que pour le psychisme du sujet. J'en retiens également l'idée, proche de celle développée par Déjours, que c'est dans l'écart entre le prescrit et le réalisé que se situe l'authentique de l'individu : en gros que c'est quand ça dérape que ça devient intéressant, parce que singulier. La phrase de René Char citée en conclusion résume bien le tout : "ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience".
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Homo Drogus

Tout d’abord merci à Babelio et aux Editions Harper Collins qui m’ont offert la possibilité de lire ce manifeste dans lequel les auteurs expriment leur forte inquiétude face à la mise sous médication de plus en plus d’enfants et adolescents en France.

Roland Gori tire en effet la sonnette d’alarme car les chiffres sont réellement alarmants ; et plus que les chiffres (plus d’un quart d’enfants et d’adolescents sous équivalent psychotropes à un moment ou un autre de leur croissance) ce sont les comportements et visions du sujet par les parents, soignants, entourages et société qu’il veut dénoncer.

D’après lui l’usage irraisonné de la Ritaline est l’exemple d’une forme d’abandon de responsabilité et surtout d’une volonté de tout normaliser, y compris et surtout des comportements et personnalités jugées comme de plus en plus pathogènes car trop ceci (remuant, turbulent, hors norme) et pas assez cela (« sage », calme, attentif, performant). Il dénonce donc cette démarche, qui lui parait par ailleurs trop en lien avec l’industrie pharmaceutique, quitte à « créer » des maladies pour faire vendre de nouvelles molécules ou nouvelles utilisations d’un médicament.

Les chiffres donnés sont effectivement effrayants, de même que la description de certains soignants qui dégainent très et trop vite des ordonnances « miracles » pour enfants agités. Et si on suit les débats autour de la Ritaline et de son utilisation, on peut légitimement se poser des questions sur l’accélération du volume de ventes en France (même si nous sommes heureusement encore loin des données Nord-Américaines).

Là où j’ai beaucoup plus de mal à suivre les auteurs c’est quand ils mélangent les sujets. En effet, au-delà de cette dénonciation, ils semblent remettre en cause non seulement les notions d’hyperactivité et de trouble de déficit de l’attention, mais aussi tout ce qui concerne les troubles DYS (dyslexie, dysgraphie, dyspraxie, dysphasie, etc). Car autant pour les premières (TDA avec ou sans hyperactivité) le diagnostic se fait en fonction d’un questionnaire donné aux parents et enseignants, avec toute une série d’interrogations sur le comportement perçu de l’enfant concerné –avec ce qui peut être vu comme une subjectivité totale, car ce que certains considéreront comme normal sera potentiellement estimé totalement anormal par d’autres-, autant le diagnostic sur les troubles DYS est établi suite à des tests normalisés, factuels, précis, qui ne donne pas de place à la subjectivité et la sensibilité des professionnels qui les font passer. De plus, les troubles DYS ne se soignent pas à coup de médicaments (ils ne se soignent d’ailleurs pas, en tout cas pas en l’état de la science, ils se compensent juste…).

Dès lors, avec ce pèle mêle que j’ai trouvé franchement peu subtil, les auteurs m’ont perdue en cours de démonstration : en effet que veulent-ils dénoncer exactement? La volonté de rendre pathologiques le plus possibles de comportements différents pour ensuite faire vendre un maximum de pilules de « normalisation » ? Dans ce cas, il aurait fallu rester concentré sur ce sujet central !

Il aurait fallu aussi aller au-delà de ces 100 pages, proposer plus d’analyses, s’appuyer plus largement sur les études scientifiques, sur les débats sur le sujet, repréciser des définitions, expliquer plus. Il aurait aussi fallu étayer en proposant quelques solutions valables, et pas simplement celles qui consistent à remettre en cause le rôle de parents dont le portrait brossé ici est tout de même peu flatteur (parents absents, peu intéressés, et qui cherchent la solution rapide et simple : la pilule « magique » qui transformera leur zébulon en image).

Bref, au terme de ma lecture je suis frustrée ! Frustrée car il met (avec une certaine justesse pour le coup) en avant certaines déviances de notre société du rabotage (tous pareils, tous identiques, tous à la fois performants ET dans la norme) sans aller jusqu’au bout de son propos. Frustrée car il alimente un débat sans proposer de solutions claires. Frustrée car j’ai le sentiment d’avoir lu un texte fourre-tout qui pose des bases, effleure le sujet, mais perd en force par son manque de subtilité, de nuance, de recherche, et avec en plus pour moi un certain nombre de méconnaissances (j’en ai parlé sur les troubles DYS).

Ce manifeste peut donc être vu et lu comme une première approche du thème, et une alerte qui pousse à se poser des questions, mais sa seule lecture est pour moi insuffisante pour entrer vraiment dans le débat et se construire un point de vue suffisamment argumenté. En tout cas c’est mon humble avis !


Lien : http://desmotssurunepage.ekl..
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Manifeste des oeuvriers

« Manifeste des œuvriers » : Roland Gori, B Lubat, C Silvestre (Actes Sud, 75p)

Roland Gori, psychanalyste, est l’un des initiateurs de « l’Appel des appels », qui lutte contre les dérives normatives et de rentabilité absolue du travail social, éducatif, soignant, toute une politique qui se traduit par des codifications en vue d’évaluations quantitatives des tâches qu’on morcelle à l’infini… en même temps que les usagers. C’est ce qu’il reprend en partie dans ce petit texte, avec un artiste et un journaliste de « L’Humanité ». C’est donc la dénonciation de la généralisation du taylorisme déshumanisant, qui ne touche plus seulement les ouvriers de l’industrie, mais aussi les paysans, et, chose plus récente, le monde des services à la personne au sens le plus large (éducation, culture, soins…)

Les œuvriers, ce sont ceux qui font œuvre dans leur travail, et donc qui résistent avec leurs moyens individuels ou collectifs. Ceux dont l'éthique professionnelle leur impose de prendre le temps, et parfois le risque de la rencontre, ce qu'on leur refuse de plus en plus. Il y a un cri du cœur révolté, généreux et sincère dans ce petit écrit, une volonté de résistance qui touche, que je partage. Et un appel aux solidarités actives, constatées ici ou là dans des mouvements sociaux comme « « Les Nuits debout », ou à mettre en œuvre. Même si le texte fait la part belle au mythe du programme du CNR, qui a certes permis des avancées sociales, mais dont le but était surtout d’endormir et museler la classe ouvrière à la sortie de la guerre. Et si le titre fait écho à un « Manifeste des ouvriers », on lit en filigrane une sorte de « manifeste du parti communiste », pas celui de Marx en 1848, mais celui du PCF d’aujourd’hui dont les auteurs se font les porte-voix. Ce qui n’empêche pas de partager ce cri d’alarme et de révolte, tant la lucidité sur le constat de l’état des relations sociales très durement affectées par cette politique qui écrase les vrais producteurs (de biens ou de services) est difficilement contestable.

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La nudité du pouvoir

Roland Gori nous éclaire , une fois de plus, dans un langage simple et limpide, illustré de contes et références littéraires, sur notre société qui va de mal en pis. Société ultra-libérale, technocrate qui perd chaque jour un peu de notre humanité. Le constat est effrayant mais teinté d'espoir. Celui du temps de l'éveil, de la réflexion, et de l'intelligence....
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La fabrique de nos servitudes

Le parti pris de ce livre est risqué, il prend la forme d’une compa­raison discutable dont l’auteur s’explique à plusieurs reprises, comme s’il craignait un malentendu. Il s’agit pour lui de montrer l’asservissement de l’homme contemporain.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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La fabrique des imposteurs

Dans cet essai de psychanalyse sociétale sur

•le respect de la (des) norme(s) et son contraire, l’imposture

•la faillite du Politique

où le monde est une comédie sociale des mœurs et fabrique des identifications sur lesquelles nous construisons notre propre singularité, l'Imposteur joue le rôle du caméléon et

1.trouve sa substance/consistance dans le semblant du discours social

2.est mis sur cette voie par un autre dont il attend la reconnaissance



L'Imposteur dénoncé dans le livre est donc une victime consentante qui s’adresse à un public de victimes dont la subjectivité « naufragée dans les tempêtes du social (…) prédispose au(x) jeu(x) de l’illusion. » par le biais

• du Paradigme de Ash (tendance à se ranger sans réflexion critique aux normes du groupe majoritaire)

• de l’apathie (résultat de pressions normatives des influences sociales auxquelles nous sommes soumis)

qui participent à la faillite de la démocratie au profit

1.du néolibéralisme

2.de la globalisation marchande et financière



Cependant, dans une société où les coupables (les imposteurs) sont aussi des victimes, qui la Justice doit-elle punir ? La société elle-même ? Comment, quels moyens juridiques mettre en place ?

La solution ne serait-elle pas en notre propre effort individuel d’éducation (parcours scolaire et formation(s) à vie par DIF, CIF, etc …) ?

Autour de moi, j’en vois peu prêts à suivre ce chemin, même si le monde politique (qui n’y voit que des avantages (désengagement de l’Etat Providence …)) suit ce virage depuis un certain temps …


Lien : https://mesmadeleines.wordpr..
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