Citations de Romain Gary (5283)
Un jour, mon valet de chambre, Maurice, qui ne pardonne rien à la poussière, soulèvera délicatement mon sourire, lui donnera quelques coups de plumeau et le déposera sur l'étagère de la salle de bains parmi mes autres articles d’hygiène.
[A propos des Américains blancs et ségrégationnistes:]
Je ne devrais pourtant pas leur en vouloir: ils ont des siècles d'esclavage derrière eux. Je ne parle pas des Noirs. Je parle des Blancs. Ça fait deux siècles qu'ils sont esclaves des idées reçues, des préjugés sacro-saints pieusement transmis de père en fils, et qu'ils ont pieds et poings liés par le grand cérémonial des idées reçues, moules qui enserrent les cerveaux, pareils à ces sabots qui déformaient jadis dès l'enfance les pieds des femmes chinoises. J'essaie de me dominer, pendant qu'on m'explique une fois de plus que "vous ne pouvez pas comprendre, vous n'avez pas dix-sept millions de Noirs en France". C'est vrai: mais nous avons cinquante millions de Français, ce qui n'est pas jojo non plus.
- Vous n'avez jamais rencontré une autre femme ?
- Jamais, dit-il. On ne vit qu'une fois.
Je suis allé dire à Madame Rosa qu'il y avait un type avec une sale gueule qui venait chercher s'il avait un fils et elle a tout de suite eu une peur bleue.
- Mon Dieu, Momo, mais il n'y a que toi et Moïse.
- Alors, c'est Moïse, que je lui ai dit, parce que c'était lui ou moi, c'est la légitime défense.
... elle possédait au plus haut point cette qualité naturelle de "mystère" grâce à laquelle certaines femmes savent si bien cacher ce qui leur manque, permettant ainsi aux hommes de deviner en elles toutes les vertus qu'ils leur prêtent...
J’allai à la porte. Nous nous regardâmes encore une fois en souriant.
Quelque chose de son courage était passé en moi et y est resté pour toujours. Aujourd’hui encore sa volonté et son courage continuent à m’habiter et me rendent la vie bien difficile, me défendant de désespérer
J'ai conservé une très grande tendresse pour les croissants. Je trouve que leur forme, leur croustillance, leur bonne chaleur, ont quelque chose de sympathique et d'amical. Je ne les digère plus aussi bien qu'autrefois et nos rapports sont devenus plus ou moins platoniques. Mais j'aime les savoir là, dans leurs corbeilles, sur le comptoir. Ils ont fait plus pour la jeunesse estudiantine que la Troisième République. Comme dirait le général de Gaulle, ce sont de bons Français.
La provocation est ma forme de légitime défense préférée.
Donc, comme j'ai eu l'honneur, quand je suis rentré avec Madame Rosa, après cette visite chez le docteur Katz, nous avons trouvé à la maison Monsieur N'Da Amédée, qui est l'homme le mieux habillé que vous pouvez imaginer. C'est le plus grand proxynète et maquereau de tous les noirs de Paris et il vient voir Madame Rosa pour qu'elle lui écrive des lettres à sa famille. Il ne veut dire à personne d'autre qu'il ne sait pas écrire. Il portait un costume en soie rose qu'on pouvait toucher et un chapeau rose avec une chemise rose. La cravate était rose aussi et cette tenue le rendait remarquable. Il nous venait du NIger qui est un des nombreux pays qu'ils ont en Afrique et il s'était fait lui-même. Il le répétait tout le temps, "Je me suis fait moi-même", avec son costume et ses bagues diamantaires aux doigts. Il en avait une à chaque doigt, et quand il a été tué dans la Seine on lui a coupé les doigts pour avoir les bagues parce que c'était un règlement de comptes. Je vous dis ca tout de suite pour vous épargner les émotions plus tard.
(p.45)
Elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis.
Quel que soit leur pays d'origine, tous les cerfs-volants sont nés de l'imagerie populaire, ce qui leur donne toujours un côté un peu naïf.
J'ai toujours éprouvé une insurmontable répugnance à faire de la peine à autrui, ce qui doit être chez moi un signe de faiblesse et un manque de caractère.
Instinctivement, sans influence littéraire apparente, je découvris l'humour, cette façon habile et entièrement satisfaisante de désamorcer le réel au moment même où il va vous tomber dessus.
J’ai commencé à chaparder dans les magasins, une tomate ou un melon à l’étalage. J’attendais toujours que quelqu’un regarde pour que ça se voie. Lorsque le patron sortait et me donnait une claque je me mettais à hurler, mais il y avait quand même quelqu’un qui s’intéressait à moi. (p28)
Madame Lola était une travestite du quatrième étage qui de boxe au Sénégal avant de traverser et elle avait assommé un client au Bois qui était mal tombé comme sadique, parce qu’il ne pouvait pas savoir. (p29)
Entendons-nous. J'aime les enfants.
Mais si ces deux adorables mioches pleurant à chaudes larmes leur toutou perdu me faisait si peu d'effet, c'est qu'en regardant mon sheriff je me demandais pourquoi l'âge moyen des victimes abattues par la police dans les ghettos lors des émeutes raciales se situe entre quatorze et dix-huit ans.
Lorsqu'on est bien ensemble, on n'a aucun besoin de se mentir, de se rassurer. je dirais même que l'on reconnait le bonheur au silence. Lorsque la communion est vraie et entière, sans frimes, seul le silence peut l'exprimer. (Gros-Câlin, Emile Ajar)
A onze heures et demie je fus pris d'un tel besoin de tendresse et d'amour que je suis allé chez les bonnes putes. Je suis allé rue des Pommiers, comme d'habitude. J'ai cherché Greta qui avait les bras longs mais je me suis rappelé qu'elle était allée travailler en appartement. Il y avait là cependant une grande blonde qui était moins bien sous tous rapports que les autres et je me dis qu'elle allait me témoigner plus de tendresse que les autres, par gratitude. Nous allâmes à l'hôtel des Professions libérales, au coin.
La bonne pute me dit qu'elle s'appelait Ninette et je lui dis que je m'appelait Roland, ça m'est venu comme ça. Elle me mit tout de suite à l'aise :
- Viens sur le bidet, chéri, que je te lave le cul.
C'est toujours la même musique. Je me mis à cheval sur le bidet à contrecœur. Il ne faut pas croire que les objets n'existent pas non plus. J'ai souvent pour eux des sentiments chrétiens. J'étais assis à poil sur le bidet avec mes chaussettes et je pensais que la vie d'un bidet, c'est quelque chose.
Je puis en tout cas assurer l’amateur éclairé qui hésite encore à acquérir un python que je n’ai aucun drame d’« incommunicabilité » avec Gros-Câlin. Lorsqu’on est bien ensemble, on n’a aucun besoin de se mentir, de se rassurer. Je dirais même que l’on reconnaît le bonheur au silence. Lorsque la communion est vraie et entière, sans frimes, seul le silence peut l’exprimer.
Mais c'était une erreur humaine, l'espoir.
Quand vous n'en pouvez plus, faites comme moi : pensez à des troupeaux d'éléphants en liberté en train de courir à travers l'Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien ne résiste, pas un mur, pas un barbelé, qui foncent à travers les grands espaces ouverts et qui cassent tout sur leur passage, qui renversent tout, tant qu'ils sont vivants, rien ne peut les arrêter - la liberté, quoi ! Et même quand ils ne sont plus vivants, peut-être qu'ils continuent à courir ailleurs, qui sait, tout aussi librement. Donc, quand vous commencez à souffrir de claustrophobie, des barbelés, de béton armé, du matérialisme intégral, imaginez ça, des troupeaux d'éléphants, en pleine liberté, suivez-les du regard, accrochez-vous à eux, dans leur course, vous verrez, ça ira tout de suite mieux...
Et ça allait mieux, en effet. On trouvait une exaltation étrange et secrète à vivre avec cette image de la liberté vivante et toute-puissante devant les yeux. Et on finissait par regarder les S.S. en souriant à l'idée que d'un moment à l'autre ça allait leur passer dessus, et qu'il n'en resterait rien... On sentait presque la terre trembler à l'approche de cette puissance jaillie du coeur même de la nature et que rien ne pouvait arrêter...
Il se tut un instant et parut écouter, comme s'il guettait encore dans la nuit africaine ce tremblement lointain.