Dans ce monde, le total global du bonheur comme du malheur ne varie pas à travers les temps. Si une vague se soulève sur l'océan, elle provoque une dépression ailleurs. Si le bonheur vient à un homme, le malheur s'abat sur un autre, ou peut-être sur quelque animal. Les hommes se multiplient et les animaux se raréfient ; nous les massacrons et prenons leur terre ; nous leur enlevons tous leurs moyens d'existence ; ceux dont nous consommons la chair en grande quantité sont conduits par centaines de millions, dans des conditions extrêmement pénibles, jusqu'aux abattoirs. Leur souffrance a autant d'intensité que celle d'un être humain traité de la même manière. Comment pouvons-nous prétendre alors que le bonheur augmente ? Les races les plus fortes exterminent les plus faibles, mais croyez-vous que la race forte doive être pour cela très heureuse ? Non ; les vainqueurs commenceront à s'entre-tuer. Je ne vois pas, dans la pratique, comment cette terre pourrait devenir un paradis. Les faits nous montrent que ce n'est pas possible.
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