Au sommaire de la Critique, de la musique :
le disque "Chopin Études Op. 25 4 Scherzi" gravé par la pianiste italienne Beatrice Rana (Warner Classics)
"Don Giovann" de Mozart dirigé par Teodor Currentzis et mis en scène par Romeo Castellucci visible sur arte.tv jusqu'au 5 novembre (production du festival de Salzbourg 2021).
"Iconoclastie" fut pour nous un mot important et maternel. Mot puissant, pour nous qui éprouvions pour l'art la même aversion que Platon. Il pensait que, comparée à la vérité incorruptible des idées, la réalité optique était trompeuse. Au lieu d'éliminer la tromperie de la réalité optique, l'art la reproduisait, tentant en vain de la dépasser. Mais comment était-il possible de dépasser la réalité en faisant abstraction de ses phénomènes? Comment était-il possible de refaire le monde sans avoir entre les mains les éléments du monde, y compris nos propres mains? C'est ce paradoxe qui étranglait dans une contradiction l'art en tout point semblable à l'existence: le théâtre, art de l'imitation par excellence. Alors notre première préoccupation fut de détruire ce qui existait, non pas par besoin d'espace vide, mais par besoin de rupture de la représentation du monde telle qu'elle nous était proposée. Nous avions besoin de recommencer quelque chose de zéro. En effet, même si l'iconoclastie aborde la diminution des images, le mot n'est pas du tout négatif, il est positif. Il ne possède pas de "a" privatif qui nie la manifestation d'un phénomène: "iconoclastie" ne signifie pas "an-icône", ni "sans-icône", mais "je casse l'icône". C'est-à-dire qu'il faut faire quelque chose qui reste visible. C'est pourquoi l'iconoclastie est toujours figurative.
La poésie au théâtre a l'air d'une idiote. Ce n'est pas beau. Il s'agit d'un exercice démonstratif, à tâtons, de l'alphabet. [...]
L'écriture dramatique doit être, à mon avis, pauvre et maternelle. Pauvre dans le sens classique du terme, c'est-à-dire dotée d'une richesse intérieure copieuse qu'elle se suffise à elle-même et qu'elle ne soit vêtue de rien d'autre: nue. Et maternelle dans un sens lié à sa racine: la mère qui, par la force de son immobilité - l'assise architecturale - déclenche le mouvement de l'entrée et de la sortie.
Le théâtre cherche de l'inconditionné et se met en compétition avec le destin.
Le thème de la Genèse montre de façon complètement mégalomane le problème du début, mais prise à un niveau de simple lecture, on s'aperçoit que la Genèse est faite d'éléments finaux. Lorsque j'élabore un spectacle, un travail, je pars d'un petit carnet de notes que je recueille chaque jour. C'est un exercice quotidien. Je note sur ces pages toutes les sensations que la journée m'offre. Ce carnet plein de notes, de sensations et d'idées, constitue la matière fondamentale du travail qui va suivre.
En le feuilletant on s'aperçoit tout de suite que c'est un chaos, que c'est un vrai carnet de déchets, quelque chose qui a été jeté dans ce carnet. Donc chaque fois je me retrouve dans la même situation génératrice que Dieu: élaborer ce chaos pour pouvoir le faire sortir, pour pouvoir réunir ces possibilités.
Le pont est toujours le même : une haine sèche, dénuée de passion, pour l'idolâtrie du style. Mettre le feu aux immenses archives vides de la tradition est le fondement productif de la genèse blindée de ce théâtre.
Le théâtre que je connais, que j'ai étudié et qui me renferme, est le théâtre occidental. Le théâtre que j'ai connu n'est pas religieux, n'est pas miraculeux, n'est pas politique ; Aristote lui-même suggère scandaleusement que le noyau le plus intime de la tragédie ne soit pas fait de tout cela : il n'es pas éthique, il est esthétique. Et c'est précisément le fait d'avoir en son sein un problème esthétique, qui précipite tout le théâtre occidental dans une dimension de violence substantielle.
Le geste est suspendu, congelé par le doute, et pourtant il continue dans le bras mécanique qu'Oreste, pour pouvoir frapper, est obligé de porter. C'est le mécanisme qui, en dehors de lui-même, pousse à la volonté, à la décision qui a manqué à Hamlet. Oreste, hésitant, s'adresse à Pylade, préfiguration d'Horatio. Oreste frappe, mais à ce moment-là, il a déjà dilué dans l'ami et dans l'automatisme du bras, la faute du matricule.
On perçoit alors la scène, ici, comme ce lieu - unique au monde - où celui qui parle enlève, creuse et aveugle le mot qu'il vient de prononcer ; ce lieu où celui qui parle, enfin, vient pour se retirer au travers de la voix.
Mais nous savons tous parfaitement que la tragédie n'est pas la poésie ! Le noyau de la tragédie n'est pas tragique : il est pré-tragique, et se soustrait continuellement à lui-même comme l'oeil de la limace.