Romy Schneider au micro de Jacques Chancel : Radioscopie [1970]
14 décembre 1954
C'est une sensation curieuse, quand je sors dans la rue maintenant. Parfois les gens se poussent du coude en disant : "N'est-ce pas Romy Schneider ?"
Et ils me dévisagent.
C'est agréable et agaçant à la fois. Je me sens tiraillée. Une fois je suis fière, une autre fois j'aimerais m'asseoir dans un bistrot et manger une saucisse sans que personne ne me regarde et ne m'examine pour voir comment je m'y prends et si je me tiens bien à table. Ou si au contraire je me tiens mal et pourquoi.
20 mai 1954
A vrai dire c'est un sale métier d'être actrice de cinéma.
Actrice ! Il faut s'y donner de tout son cœur. Et, à un autre moment, il ne faut pas. On est assis ou debout, on crie, on pleure. Il faut se laisser aller, vivre la situation si on veut bien la rendre. En même temps, il faut garder ses distances, ne pas perdre la tête.
Je sais que je peux m'identifier au personnage que j'interprète.
C'est comme un poison qu'on avale, auquel on s'habitue et qu'on maudit en même temps.
J'ai quinze ans. J'ai vécu chez Mamie à Berchtesgaden, j'ai été à l'école primaire, puis en pension. Et me voilà soudain à faire du cinéma. Et je dois jouer pour la première fois des choses dont je n'ai aucune idée.
Le talent, c'est une question d'amour.
1957 : Eh bien, je suis une enfant bien sage.
Quand je suis à ces stupides soirées et que je ne dis rien, les gens pensent sûrement que je ne suis qu'une oie sotte et fade. Mais que dire ? Comment allez-vous ? Very glad to see you?
Il faut que j'y réfléchisse.
Tu as de la chance. Tu es tranquillement assise devant ta cheminée. Tu as encore ton fils. Mais moi ? Je suis une femme fichue. A quarante-trois ans.
C'était une face de la médaille : amour, passion, et un sentiment de liberté indomptable.
J'ai découvert l'autre face plus tard. Quand la première ivresse fut passée.
J'avais surestimé mes forces. Extérieurement, j'étais libre, naturellement. J'avais coupé les ponts derrière moi, j'étais partie pour Paris contre la volonté de ma mère et de mon beau-père, je vivais avec un homme auquel je n'étais pas mariée. Mais intérieurement ?
On dit trop facilement : "Je me moque de ma famille. Je vis enfin ma vie."
On ne peut espérer tout avoir. Le succès a un prix qu'il faut payer.
16 juillet 1953
Si je le pouvais je sauterais au plafond de joie ! Je ferai du cinéma, je ferai du cinéma ! C'est à dire, si tout va bien... Quelle journée !
En bas de l'escalier se tenait un jeune homme trop beau, trop jeune, trop bien coiffé, habillé comme un gentleman, cravate et costume trop à la mode. Alain Delon.
Même le bouquet de roses qu'il avait à la main était trop rouge.
J'ai trouvé l'ensemble de mauvais goût et le garçon sans intérêt. Lui m'a trouvée à vomir. C'est ainsi qu'il s'en est exprimé plus tard.
Il avait touché mon point faible. Je ne suis pas peureuse. Je tiens le manque de courage pour un crime.