La jeune stagiaire, elle, est restée auprès de mon fils. Elle est restée avec lui jusqu'à l'arrivée des pompiers à neuf heures quinze, il n'était pas encore mort et peut-être qu'il pouvait l'entendre, oui, c'est ce que je me répète pour ne pas devenir folle, Ilan n'est pas mort comme un chien, il a entendu la voix de cette fille avant de mourir, une voix douce et fraternelle, c'est tout ce que je peux me dire.
Sa voix déraille lorsqu'il affirme qu'ici s'arrête le voyage.
Pourquoi en Israël? demande-t-il en regardant le Ciel. Parce que ce pays s'appelle aussi Eretz Haïm, "la terre des vies".
L'hébreu ne sait pas parler de la vie au singulier. Il y en a toujours au moins deux, nous apprend-il, cette vie-là et puis l'Autre.
Et si nous sommes là, c'est que nous croyons à cette autre vie qui commence pour Ilan.
Mais la haine, me semble-t-il, n'a jamais été une histoire d'intelligence. La haine au contraire viscérale, et quelle haine aura-t-il fallu à ces jeunes gens, pour séquestrer Ilan pendant trois semaines, pour l'affamer, le torturer, le battre, le brûler, et finalement l'abandonner dans un bois tel un chien... Une haine sans limite. Une haine absolue des juifs que le chef présumé du gang disait être "les rois"
Je veux que la mort d'Ilan serve à donner l'alerte.
Nous ne manquons pas de lois, nous ne manquons pas de prisons; ce dont nous souffrons, c'est d'éducation. La morale, qui a fait cruellement défaut à tous ces gens, n'est pas une affaire politique.
La morale se joue ailleurs, dans une sphère que l'on nomme "privée", elle est un ensemble de valeurs qui se découvrent en famille, avec ses camarades de classe, avec ses voisins, en regardant des films ou en lisant des livres.
Elle est l'apprentissage du bien ou du mal au quotidien, elle est une formation.
Tant que la France n'aura pas récupéré ces territoires, tant qu'elle n'aura pas dissous ces Etats illégaux, ces petits Afghanistan, ces petits Pakistan et ces petits Irak qui annexent les caves et les appartements de nos cités, nous aurons à gérer des dictatures à l'intérieur de nos frontières.
Les valeurs républicaines ne bénéficieront qu'aux Français des beaux quartiers, puis elles finiront par ne servir qu'à décorer les façades de nos institutions qui seront devenues des musées.
Mais le ravisseur continue de nous narguer… En début d’après-midi, il m’appelle une nouvelle fois au bureau. Cette fois, il me passe mon fils.
"Allô, maman…", me dit Ilan.
C’est la dernière fois que je l’entend.
Oui, je hurle. De toutes mes forces. De toute mon âme. Mais le cri d'une mère qui accouche ne ressemble en rien à celui d'une mère exhumant son fils : celui-ci est un cri sans délivrance."
"Il faut désormais tout faire pour que la nuit ne retombe jamais. Nous sommes tous responsables devant l'Histoire."
Ernest Renan
Je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Un zombie. Un fantôme. Je reste enfermée chez moi, comme le veut la tradition, prostrée dans un coin de mon salon à prier pour ne pas devenir folle. Le temps s'est arrêté. C'est tous les jours la nuit.