Le site internet de Salah Stétié : http://salahstetie.net
Photographie : Portrait de Salah Stétié réalisé en 2011 par Stéphane Barbery (tous droits réservés)
En raison des événements tragiques que nous vivons, l'équipe des Racines du Ciel (émission diffusée sur France Culture tous les dimanches) a décidé de changer le programme de ce dimanche 11 janvier 2015. Lors d'une rencontre avec Salah Stétié ce jeudi 8 janvier 2015, grande figure intellectuelle qui s'est toujours engagé contre toutes les formes de fanatisme, Frédéric Lenoir et Leili Anvar lui ont demandé de réagir comme intellectuel et ancien ambassadeur du Liban, comme homme de culture qui a consacré plusieurs ouvrages à l'islam spirituel, comme amoureux de la France aussi, au drame qui se déroule en ce moment même dans notre pays.
Écrivain et poète de réputation internationale, homme d'action et diplomate, Salah Stétié est un intellectuel d'origine libanaise et de culture musulmane, devenu une figure incontournable de la poésie de langue française. Ses mémoires, L'extravagance (Robert Laffont), retracent son parcours exceptionnel, ses passions, ses combats et ses engagements.
Invité :
Salah Stétié, poète, diplomate
Thèmes : Idées| Poésie| Proche Orient| Salah Stétié| Charlie Hebdo
Source : France Culture
+ Lire la suite
Le sens n'est nulle part. Nous le traçons avec de la fumée et le vent n'est jamais loin.
LA NUIT DU COEUR FLAMBANT
II
Sur les chemins de l'être et de la nuit
Il y a un arbre illuné par la lune
Arbre si seul et si d'antique terre
Qu'il dort ainsi que poupée endormie
Près des fontaines vives
Libres de vent dans la lumière nue
Libre de vent...ô biche de pensée
Sanglante aussi près de ce cœur qui rêve
Et rode et rêve et sa lueur est pluie
En pluie tombée sur les dormantes choses
Très longues choses, roses désencombrées
Par le parfum de leur immense nuit
Qui, nue, sera aussi vêtue de nuit
Chacun de sa larme secrète, arrose une fleur connue de lui seul.
La vie est le seul médicament puissant contre la mort. Et comme tous les puissants médicaments, par effet secondaire, elle tue.
Extrait LXXV, L’être poupée
Ma lumineuse ma liée mon adorante
Dans tes rectangles nuageux une bougie
Par forme et par façon de nuit tremblante
Voilant ton nom d’embrasement nocturne
Et tout le sang qui fait briller ton corps en blé
Comme une neige endormie dans la neige
Au carrefour de toute lampe divisée
Non frontalière de l’esprit ni des fragments
Un homme avance vers la fin des choses
Comme on avance avec un jardin d'arbres
Vers la beauté d'un fleuve oublié par la neige
Près de l'éternité. La fille jeune
Est là dans la flambée de l'eau comme une rose
L'homme s'arrête et la regarde et ses yeux pleurent
Soleil étranglé par la pluie est son amour
Et de ses mains tombe le fruit des choses
Et de ses mains comme un peu d'eau qui s'ouvre
Tombe la palpitation d'une étoile
Brûlante et seule au-dessus des labours
Qui sont plus purs d'être fils des nuages
Allumés ainsi que statues de l'esprit
Et c'est dans ses rosées la Terre et c'est
La terre avec l'étrangeté des morts
Dormant chacun sa lampe dans les feuilles
Début du poème STATUE DU FEU
Il n'y a pas d'enfant qu'on ait privé
De tirer de sa tête et de son cœur merveille
Adultes malheureux, inventez vos prisons
L'enfant qui est en moi saura toujours sortir
Jouant dehors entre les murs des pires préaux
Le jeu de celui-là qui n'a jamais grandi
Et dont le cœur est dans un arbre enrubanné
Aux couleurs de la vie, du ciel et d'un jardin
(extrait de "L'inconcessible") - p. 44
Etre suffisamment distrait pour rencontrer l'inespéré.
Toutes ces chambres en soi-même qu'on n'habitera jamais, dont on n'aura jamais eu la clé.
À la fin il dit : ange ! Il murmura
Le nom de l'ange de personne et s'endormit
Avec les fleuves, avec la femme nue
L'Isis qui fut sa mère et son enfant
Et son enfant jamais ne fut et nul enfant
Jamais ne vint lire avec lui le livre
Qui n'est le livre de personne un peu de vent (TO, 33)
Comme une larme est l'enfant d'une autre larme
À la fin une libellule inouïe pure
S'échappe à la pointe de l'être, et tremble (AC, 68)
Cet enfant qui a regardé la lune
Il est de rien aveugle
Une libellule arquée au-dessus de son oeil
Mon fils, mon bien-aimé
As-tu choisi de déshabiller le soleil
Pour aider les rivières à remonter leurs cours
Jusqu'à ce point de neige où ta main a fleuri ?
Mon arbre, mon arbuste,
Combustion sont tous ces aveux d'étoile
On voudrait s'en aller vers une bergerie
En suivant le troupeau fatigué de ces astres
Ô mon enfant, et s'endormir dans leur Lait (EGN, 15)
«La terre avec l'oubli», Éditions des Moires, 1994.
«L'Autre Côté brûlé du très pur», Gallimard, 1992.
«L'Été du grand nuage», Fata Morgana, 2016.
Poèmes cités par Béatrice Bonhomme*, Article «L'enfance comme transcendance originelle dans l'œuvre de Salah Stétié» in Revue Europe, no 1091, Poésie et chanson & Dossier Salah Stétié. Mars 2020, p. 218-232.