Un jour, une personne que vous aperceviez quotidiennement était là, et le lendemain elle ne l'était plus. Frankie n'avait rien trouvé de mieux pour rendre compte du Blitz. Le policier à l'angle de la rue, l'épicier malvoyant, les gens que l'on croisait en allant au travail, dans les boutiques, dans le bus, des gens qu'on ne connaissait pas, mais qui suivaient le même itinéraire que vous, qui constituaient le tissu anonyme de votre vie. Les bâtiments, les jardins, les toits... on pouvait décrire leur absence. Mais pour la disparition d'un homme, ou d'un petit garçon, ou de la femme qui attendait le bus à la même heure qu'elle, Frankie n'avait que peu de mots: avant, ils étaient là. Et avant je les voyais.
Voilà ce que je veux te dire : lève les yeux, maintenant. Cesse de fixer cette page et lève les yeux. Je pense que Mlle James est près de toi. Elle t'a donné cette lettre et, telle que je la connais, elle attendra que tu la lises. Elle attendra. Elle veillera sur toi. Et d'autres aussi le feront. Tu n'es pas seule. Nous sommes tous autour de toi, les morts comme les vivants.
Lève les yeux.
La manière désinvolte dont une chose avait mené à une autre, comme une corde qui se déroulait et tombait sans bruit dans la mer, prouvait clairement que la Mort - si vous pouviez la saisir - était souriante. Après tout, la question n'était pas "pourquoi ?" mais "c'est tout ?".
Voici l'histoire que je n'ai jamais révélée. Je l'ai commencée à la in des années quarante, quand elle était encore fraîche dans ma mémoire, et durant tout ce temps je me suis donné pour mission de bien la reconstituer, de bien l'affûter. (...)
Et celle que j'étais alors - Frankie Bard, la fille de la radio- vit dans ces pages comme une personne que j'aurais connue autrefois.