Ceux qui ont peur de parler écrivent.
Quitter la ville pour un village signifiait que nous allions perdre des amis. La première année, ils vinrent, l'été surtout, quand il faisait beau et à condition de pouvoir dormir chez nous. Que de barbecues cet été là ! Chaque week-end, les invités arrivaient avec leurs chiens, leurs enfants, leur nouvelle conquête et pendant qu'ils allaient faire du vélo ou une sieste au soleil, je traînais des Caddie bourrés de bouteilles de rosé, de côtelettes et de baguettes, puis je me dépêchais de rentrer à la maison pour faire les lits. C'était très sympathique, surtout quand les enfants étaient couchés et, qu'autour du feu de bois, nous évoquions les souvenirs de notre vie en ville. Mais l'été suivant, déjà, les conversations n'allaient plus de soi et puis nos amis commencèrent à nous faire des reproches : nous n'allions pas assez souvent en ville, nous ne nous intéressions plus à leur vie, à ce qu'ils faisaient, nous étions en train de nous encroûter au fin fond de notre province.
Nous les hommes, ce qui nous lie, ce n'est pas d'échanger des confidences, c'est justement de se comprendre à demi-mots. (p. 87)
Je ressentais comme de la colère et une pointe de déception. Evert jouait les troubles-fête en devenant fou. Sa crise laissait une vilaine éraflure sur notre vernis. Un mot s'imposait à moi, un mot qui, jusque-là, n'appartenait pas à mon vocabulaire. Je refusais de penser en ces termes. Avant de venir habiter dans ce village, de fréquenter ces gens-là, ce mot n'avait pour moi aucune signification. Mais une petite voix s'était insinuée dans mon esprit et elle murmurait obstinément : "Loser. Evert est un loser." C'était cette petite voix qui m'effrayait. Quel genre de femme étais-je devenue ?
"Fais-moi confiance" marmonna Simon en m'embrassant, mais je ne pouvais plus chasser le dégoût qui s'était emparé de moi. Je me dégoûtais, tout comme la façon grotesque dont j'étais allongée, jupe relevée, le chemisier à moitié déboutonné, et lui aussi me dégoûtait, ses manières, sa comédie, la façon dont je m'étais laissé abuser, manipuler, nous, deux adultes, un père, une mère, cette lamentable tromperie.
[Pays-Bas]
Proférer des menaces à l'encontre de quelqu'un constitue un délit, mais les écrire, non. Il se peut que vous perceviez ces lettres [anonymes] comme une menace, mais ce n'en est pas une à proprement parler. (p. 64)
-- [et en France, est-ce un délit ???]
Je savais comment se déroulaient ce genre de conversations [entre filles], puisque j'y avais participé pendant deux ans. Le caractère, le physique, le mariage et la famille de la personne en question étaient passés au crible et presque toujours réprouvés en bloc. J'avais toujours cru que j'étais celle qui tempérait tout ça, mais à présent, avec le recul, je me rendais compte que j'y avais participé comme les autres, tout simplement parce que c'était agréable, c'était de surcroît une façon de converser qui ne présentait aucun risque. On évitait ainsi de parler de soi, de ses angoisses, de ses doutes, de sa vie de couple. Nous étions complices et nous, nous étions du bon côté. Nous élevions bien nos enfants, elle mal. Nous buvions raisonnablement, elle était alcoolique. Notre mari était quelqu'un de bien, le sien était un sale type. Nos intérieurs étaient aménagés avec goût, elle négligeait le sien. Nous jouions bien au tennis, elle ne touchait pas une balle. Nous savions nous habiller, elle nous singeait. Nous avions de l'argent et une vie agréable, elle nous enviait. Nous étions minces, elle aurait bien fait de se prendre en main. Nos maris étaient fidèles, le sien nous tournait tout le temps autour. (p. 214)
J'ai horreur des fêtes où je ne connais personne. Je ne sais pas comment me comporter parmi ces gens qui bavardent, qui rient et qui ont l'air de s'amuser comme des fous. Dans ce genre de situation, je suis particulièrement conscient de mon incapacité à parler de tout et de rien ou à répondre de façon adéquate aux questions qui entretiennent la conversation. Je préfère me planquer derrière la sono ou le comptoir. (p. 59)
"Nous sommes une bande d'hypocrites. Nous ne cessons de nous flatter réciproquement et c'est pour cela que nous ne pouvons plus nous passer les uns des autres, mais il y a un prix à payer. Evert n'a plus voulu se prêter au jeu, alors nous l'avons rejeté. Voilà ce qui s'est passé!"
Je ressentais comme de la colère et une pointe de déception. Evert jouait les troubles-fête en devenant fou. Sa crise laissait une vilaine éraflure sur notre vernis. Un mot s'imposait à moi, un mot qui, jusque-là, n'appartenait pas à mon vocabulaire. Je refusais de penser en ces termes. Avant de venir habiter dans ce village, de fréquenter ces gens-là, ce mot n'avait pour moi aucune signification. Mais une petite voix s'était insinuée dans mon esprit et elle murmurait obstinément : "Loser. Evert est un loser." C'était cette petite voix qui m'effrayait. Quel genre de femme étais-je devenu ?