En Pologne, les nuits d'automne sont d'un noir d'encre. Ciel et terre, étroitement enlacés, se livrent à des actes secrets, énigmes du monde crée.
Dans la grisaille du petit matin, le ciel se sépare de la terre, laissant les champs et les prés couverts d'une gelée blanche, immaculée. De mystérieuses gouttes perlent des arbres. Tout est silencieux : pas un cri d'animal, le monde n'appartient encore à personne et, comme un nouveau-né abandonné, il vient à peine d'éclore sous la rosée fraîche et le ciel qui s'élève.
Semblables au clapotis d'invisibles rigoles retentit quelque part dans les champs un cliquetis métallique.Emergeant des brumes matinales, les premières voitures sortent de Praga par la route empierrée. les bidons de lait s'entrechoquent dans l'aube naissante et réveillent le monde endormi.
Chargés de choux, de pommes de terre, de caisses d'oeufs, de volailles, de tonneaux de prunes, de baquets de poires, une procession de chariots cahotant sur les pavés inégaux se détache de l'obscurité. Juifs et paysans viennent des campagnes et des villages environnants nourrir la grande ville. Sur les bottes de foin sont juchés de robustes jeunes filles, bien en chair, le visage rougi par le vent, la chevelure cachée sous des foulards multicolores.
Car être russe signifie : porter en soi la claire conscience qui exige constamment des comptes de nos actions. Cette claire conscience, nulle nation au monde ne la possède sinon nous. Etre russe signifie sacrifier constamment son bonheur au bien de ses frères. Etre russe, c’est vivre en fièvre perpétuelle.
Qui pouvait prétendre qu’il existait de grandes et de petites tâches ? Il n’y avait rien de « grand » ni de « petit » dans notre action. Il n’y avait que des travaux et leur exécution. Chacun devait se tenir à sa place et exécuter ce qui lui était prescrit. Les effets convergeaient vers un seul résultat, la progression de tous, étape par étape, vers les plus hauts sommets. (…) Mirkin se disait : « Je ne suis pas un héros et je n’aspire pas à en devenir un. Je veux être un simple bâtisseur, un porteur de briques, un manœuvre, un dévideur de fil. L’essentiel est de tisser, d’être fidèle derrière le métier. Car, en somme, nous tissons tous le même vêtement.
Ici vivent des gens harassés et persécutés, dans la crasse, l’ignorance, la dérision, abandonnés de tous. Ils s’entassent à dix, douze et même quinze par pièce. Des cours comme celle-ci, il y en a des rues entières, des villes entières. Il n’y a pas d’autre peuple juif que celui-là. C’est cela, notre pauvreté et notre richesse. C’est ici qu’il faut commencer. Ce sont ces gens-là qu’il faut aider, c’est pour eux qu’il faut sacrifier sa vie.
La tendresse enfantine qu’il éprouvait pour Olga Mikhaïlovna semblait épurer le trouble sentiment qu’il nourrissait à l’égard de sa fiancée.
Mais de quoi ai-je commencé à douter ? De l'idéal ? Non, ce ne sont pas les idées qui sont bonnes ou mauvaises, c'est l'homme qui les met en pratique. J'ai commencé à douter des méthodes
La vie n'est pas faite d'idées, mais d'actes quotidiens. Les idées retournent au ciel comme des âmes, et sur la vie pèse le poids des actions. Ma faute fut de commencer à croire au système au lieu de croire en l'homme. Le système fait toujours ses comptes avec le principal intéressé, sans l'homme. Il passe par-dessus la tête de l'homme et se transforme en instrument de torture, en dogme figé qui au lieu de libérer, asservit, au lieu de consoler et d'aider, apporte larmes et souffrances......