Retour sur l'entretien du 4 novembre 2004 à Radio-France : https://youtu.be/TDzTUYNWhFM
1. Rumeurs journalistiques
2. Attente
3. Première caméra vidéo de Godard
4. Nomenclatures
5. Réaction de Godard aux invectives
6. Principes nietzschéens de la polémique
7. Neutralité et confusion
8. Renoncements du cinéma
9. Amis et ennemis
10. Répondre toujours
11. Conseil à de jeunes cinéastes
12. le nom "Américains"
13. Parler des films
14. Puzzles
15. Bible, Talmud et Mallarmé
16. Platon socratisé, Kafka et Max Brod
17. Adapter ou pas
18. Cinéphiles, imbéciles
19. Argent du cinéma, gratuité de la Bible
20. Cinéma et Domination
21. Écriture du mouvement
22. Trinités
23. Images des Palestiniens
24. Production, distribution, exploitation
25. Image et son
26. Habiter son nom
27. Dire, montrer, critiquer la critique
28. Camp de la Mort
29. le montage n'existe pas
30. Domination du "Je sais" et mensonge total
31. Dire et faire
32. Faussetés
33. Juifs exterminés, suicidaires palestiniens
34. L'auteur
35. Contrechamp et directives
36. Métaphore et idée
37. Autour de Serge Daney
38. Méchanceté?
39. Calculs de la Technique
40. Timbres de voix et histoire nationale
41. Malédiction de la vidéo et de Marguerite Duras
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Lorsque, dans l'étrangeté du samedi après-midi, le zappeur tombe sur un gros plan de murène ou sur un plongeur téméraire en train de voler à sa mère un bébé requin (lequel se débat), il sent que, sur ces images-là, il va poser le regard (et reposer, pour un temps, la télécommande). Et il n'est pas certain qu'il faille avoir la fibre animalière et aimer, comme Bardot, les bêtes, pour tomber sous le charme de ces images qui ne veulent rien. Images sans look, images cool, images à prendre ou à laisser. C'est parce qu'elles ne veulent rien que nous pouvons les vouloir. C'est parce que leurs acteurs sont muets qu'il nous vient le désir de parler d'eux (et non pas pour eux). Combien de crabes perplexes, de bancs de maquereaux étonnés, de petits poissons colorés et de grandes raies enterrées vivantes dans le sable ne nous ont pas fait "signe" un jour? Signe de vie et preuve que la vie va.
LA TÉLÉVISION AU FOND DU BOCAL (5 octobre 1987)
La ville est le lieu où le jeune homme perd ses idéaux et la jeune fille sa vertu.
Le cinéphile est celui qui sait que ce qu'il regarde est en train de disparaître.
Le visuel (qui est l'essence de la télé) est le spectacle qu'un seul camp se donne de lui-même tandis que l'image (qui fut l'horizon du cinéma) est ce qui naît d'une rencontre avec l'autre, fût-il l'ennemi.
(...)
Il est clair que nous sommes trop loin de la ligne droite avant le sprint présidentiel pour avoir droit à autre chose qu'au spectacle des seconds couteaux (Méhaignerie, Lajoinie déjà), lesquels, aussi coupants soient-ils, ont le tort d'être seconds. Nous sommes dans le pré-générique d'un film d'action à venir.
(...)
Le speaker vedette n'était (...) venu de Paris que pour essayer d'être dans la même image qu'un Scud et il ne courrait qu'un risque : qu'il n'y en ait pas de tiré à ce moment-là (ou que, tiré, il lui tombe dessus). (...) Qu'il n'y ait rien de plus humain que de vouloir "être dans l'image" est une chose, qu'on profite d'une guerre pour se "faire tirer le portrait" en faisant écran à tout le reste en est une autre. Jamais le double sens du mot "écran" n'a été autant d'actualité.
(...)
Comme si Spielberg, après avoir filmé du point de vue d'un enfant voué à rencontrer E.T, s'était mis à filmer du point de vue d'un E.T. Un E.T. qui aurait mis tout son savoir dans un ordinateur afin de se refaire, de là-bas, une simulation émue de "comment c'est", chez les humains.
"ça nous intéresse, Monsieur le président", disait Mourousi (debout) à Mitterand (assis), lequel (toujours assis) a vu récemment défiler (chez Ockrent) deux ou trois "phénomènes de société" plutôt rudes. Mais tout cela - démocratisation des rôle oblige - est normal puisqu'au même moment, on demande aux "stars" du showbiz de se prononcer sur la vie politique. Que, dans les deux cas, les réponses n'aient pas grand intérêt est secondaire puisque ce qu'on teste, ce n'est pas la réponse (avoir quelque chose à dire) mais la capacité à ne pas faire de lapsus trop voyants. Il en va pour le téléspectateur comme il en va pour le cinéphile : il va moins voir un film (expérience qui prend du temps) que vérifier qu'il correspond bien à son image. C'est ainsi que se constitue un public amateur de symptômes plus que de "messages", de plus en plus sophistiqué et de moins en moins exigeant.
Pourquoi ai-je aimé ce cinéma-là? Parce qu'au cinéma permanent s'est ajoutée l'idée de la vie permanente, d'un fond disponible sur lequel "s'enlevaient" les images. Parce que ce cinéma-là est le plus engagé socialement et qu'il me permettait de rendre au César du social ce qui lui revenait et auquel j'avais si peu d'accès. Accompagner le flux du temps, de la vie, mais aussi bien les contradictions dans leur devenir commun, un bout de temps. En finir avec ce qui ne finit pas, d'où les fins-miracles, les coups de force, les larmes à la fin. Partager du temps avec des personnages qui partagent l'image et son hors-champ. Passer le temps à le voir passer.
La parenthèse (morale) du cinéma moderne étant finie, le cinéma (ou ce qu'il en reste) redécouvre une question de fond: d'ou viennent les corps de reve? Comme si les hommes et les femmes (et les enfants) des spots publicitaires, une fois décrochés du "social" et libérés des histoires "communes", flottaient dans un éther sans histoire et qu'il fallait, héritant d'eux, leur inventer une génèse, un mythe, une origine. Ce serait le sens du plongeur du "Grand Bleu", bien beau garçon incapable de partager une histoire avec qui que ce soit et à qui il faut, du coup, trouver un mythe-programme, celui qui le départage d'avec les dauphins.
De tout temps, il a existé un étrange plaisir à dire que la télé était nulle. Une façon de sous-entendre que d'une télé meilleure nous ne saurions pas trop quoi faire. Qu'il n'y a pas de raison pour que, médium du quotidien, elle l'emporte en intérêt sur le quotidien de nos vies. Que la télé, c'est toujours mieux ailleurs (en Angleterre, par exemple) et que, de toute façon, on n'ira pas y voir de plus près. La télé est mauvaise comme la météo peut être mauvaise, c'est-à-dire naturellement, comme un environnement météorologique de plus.
Croyance désespérée que le cinéma transcende les gouts personnels, que je préfèrerai un film hétéro-hétéro de Rossellini à un film homo mais complaisant de Reisenbach. Espoir qu'il y a dans le cinéma plus que la reconnaissance de "ses" objets. Morale: que les films servent à se coltiner ce qu'il n'est pas question de fréquenter dans la vie.
L'élégance a donc disparu à mesure que, du tennis, l'oeil du téléspectateur attendait antre chose que de l'élégance. C'est ainsi que l'infernal Connors et l'aberrant MacEnroe furent aimés en raison même de leurs mauvaises manières, parce qu'elles étaient finalement plus intéressantes que la classe guindée des derniers stylistes (de Clerc à Gomez). Tout cela, au demeurant très humain, creusait la scénographie du tennis d'une dimension supplémentaire, celle du gros plan après l'échange, du replay désarticulé, de la trivialité stroboscopique du ralenti, du micro à hauteur de court. c'est ainsi que le nombre d'évènements à la seconde s'est gonflé de tous les affects, tics, pulsions et rages muettes dont un corps est capable.