Citations de Serge Joncour (2420)
Le soleil sombra par-delà la colline là-bas, les bois s'incendièrent d'une teinte qui gagna tout le ciel. Lise se rafraîchit sous la douche. Puis elle remit la radio, ce vieux poste sur l'étagère de la salle de bain. Puis elle baissa le volume, se disant que ça rassurerait Frank.
Quand elle revint dehors, elle s'avança pieds nus derrière lui.
Il fut immédiatement rattrapé par la tranquillité de l'endroit, l'indolence de ces allées paisibles, sans plus de cohue, contrairement à dimanche. [...]
Il se concentra sur les fruits et légumes disposés le long des étals heureux.
Des tomates lui firent de l'oeil sur le stand d'un maraîcher, des tomates à la rondeur imparfaite, leur peau n'avait pas ce vernis des fruits en plastique de supermarché, elles rayonnaient d'une vigueur honnête. Les pommes de terre à côté étaient terreuses, comme enfouies dans leur gangue millénaire, les salades paraissaient vivantes, les carottes empilées tendaient leur pointe vers lui, les fleurs de courgette étaient alignées comme autant de grands pinceaux maculés de jaune sur le devant il y avait toutes sortes de fruits répartis dans des cageots, sans apprêt, sans doute tout juste cueillis sur l'arbre.
Il fut immédiatement rattrapé par la tranquillité de l'endroit, l'indolence de ces allées paisibles, sans plus de cohue, contrairement à dimanche. [...]
Il se concentra sur les fruits et légumes disposés le long des étals heureux.
Des tomates lui firent de l'oeil sur le stand d'un maraîcher, des tomates à la rondeur imparfaite, leur peau n'avait pas ce vernis des fruits en plastique de supermarché, elles rayonnaient d'une vigueur honnête. Les pommes de terre à côté étaient terreuses, comme enfouies dans leur gangue millénaire, les salades paraissaient vivantes, les carottes empilées tendaient leur pointe vers lui, les fleurs de courgette étaient alignées comme autant de grands pinceaux maculés de jaune sur le devant il y avait toutes sortes de fruits répartis dans des cageots, sans apprêt, sans doute tout juste cueillis sur l'arbre.
Comme c'est souvent le cas face à un comportement qui nous dépasse, au village on disait de lui qu'il ne ferait pas de mal à une mouche, alors que des mouches il en tuait, comme tout le monde.
Et là en parcourant du regard ce territoire inviolé, ces plateaux désertés de tout homme, elle se dit que ce monde était fou. Le mal était en tout. Où qu'on aille, même là, même au plus loin dans la nature, au plus loin des hommes, elle était rattrapée par la malveillance et les pactes obscurs.
Ne pas pouvoir s'aimer, c'est peut-être encore plus fort que de s'aimer vraiment, peut-être vaut-il mieux s'en tenir à ça, à cette très haute idée qu'on se fait de l'autre sans tout en connaître, en rester à cette passion non encore franchie, à cet amour non réalisé mais ressenti jusqu'au plus intime, s'aimer en ne faisant que se le dire, s'en plaindre ou s'en désoler, s'aimer à cette distance où les bras ne se rejoignent pas, sinon à peine du bout des doigts pour une caresse, une tête posée sur les genoux, une distance qui permet tout de même de chuchoter, mais pas de cri, pas de souffle, pas d'éternité, on s'aime et on s'en tient là, l'amour sans y toucher, l'amour chacun le garde pour soi, comme on garde à soi sa douleur, une douleur ça ne se partage pas, une douleur ça ne se transmet pas par le corps, on n'enveloppe pas l'autre de sa douleur comme on le submerge de son ardeur. C'est profondément à soi une douleur. L'amour comme une douleur, une douleur qui ne doit pas faire mal.
Comme les Romains lançaient des cochons de guerre enflammés sur les éléphants d'Hannibal, en 1914, on précipita des moutons dans les champs de mines pour qu'elles explosent ailleurs que sous le pas des fantassins. Du jour au lendemain, les hommes basculèrent dans la barbarie, la fureur et la mort...
Il enfourna une bouchée de cette salade carnassière et instantanément il retrouva cette sensation qu'il y a à mâcher profondément, cette mastication essentielle des dents broyant la viande, il renoua avec cette tension particulière de la mâchoire quand elle sait malaxer de la chair, quand la bouche croque une matière toute semblable à elle-même, une chair pareille à la langue, aux gencives, à tout ce corps qui s'apprête à la dévorer. En fermant les yeux Franck s'abandonna pleinement à cette forme de sauvagerie intemporelle, comme s'il se reconnectait au cycle même du vivant, le cycle d'une nature où tout s'entredévore , où tout se combine et s'ingurgite mutuellement.Là, perdu dans ces collines, il était partie prenante de la cruauté qui l 'environnait, il participait du même règne animal que ce chien, que cette buse qui tournoyait dans le ciel, que ces chevreuils qui se cachaient dans les combes, que ces cigales qui stridulaient, mastiquer cette viande était un parfait vestige hérétique...
Alpha gardait toujours la tête posée sur le genou de Franck, il le fixait droit dans les yeux, comme s'il lui signifiait son accord. Franck regarda le paysage environnant, cette nature dont avec le chien il occupait le centre, il essayait de se figurer la chose, les lions qui avaient vécu ici même, à cet endroit, des lions qui avaient un jour régné sur tout ça, d'une certaine façon il se sentait prêt à renouer avec un peu de leur empire, à réveiller en lui un peu de cette violence qu'il faut pour se défendre, mais surtout pour attaquer, et ce chien mieux que personne lui disait de le faire.
Depuis la terrasse de cette maison, au milieu de son océan de collines, elle se rendit compte qu'une maison est une sorte d'organisme vivant qui grignote l'espace tout autour d'elle. D'abord elle attire l'eau, puis elle la rassemble dans ses gouttières et la reverse dans une réserve ou des canalisations, l'hiver elle grignote la forêt environnante pour en consommer le bois de chauffage, des arbres entiers qu'elle digère d'année en année, de même que les fruits et les légumes qui poussent alentour, une maison, c'est un corps qui s'approprie tout ce qui vit autour d'elle dans la nature, l'eau de pluie, la chaleur, le soleil, les fleurs, les fruits. Une maison absorbe tout...
C'est dur de voir naître le désintérêt dans les yeux des autres, quand ça n'est pas carrément de la pitié, les gens craignent toujours que l'échec soit contagieux. ll repensa à ces regards fuyants dans les festivals ou les soirées, à ces distributeurs ou ces partenaires d'hier qui ne répondaient plus au téléphone ou qui soudain avaient des tas d'autres projets ailleurs, avec d'autres.
Quand on loue une chambre d'hôtel, hébergement tout ce qu'il y a de plus impersonnel et froid, on ne se pose jamais la question de savoir qui l'a occupée avant, au contraire on ne veut surtout pas savoir. En revanche quand on loue une maison, surtout une vieille maiosn perdue comme celle-là, et qu'en plus on projette de la peindre, mine de rien on explore le temps, une bien intime démarche qui renvoie à ces vies ignorées qui ont pourtant animé les lieux.
Dans la vie, il y a des choses comme ça qui s'encaissent, des vérités que les autres ont l'indélicatesse de vous balancer à la figure pour vous affaiblir ou vous casser, mais qui n'en restent pas moins des vérités.
Un chien-loup qui s'avance en grognant, surtout quand il est haut sur pattes et fort, un chien-loup dont on ne perçoit pas les arrière-pensées et qui se met à vous fixer, le front têtu et la croupe basse, c'est profondément effrayant.
A un moment ou à un autre, on se fait tous rattraper par la sagesse.
Alors c’est à elle-même qu’elle se le dit. Elle se parlait comme si cet homme l’écoutait… je ne peux pas refaire ma vie, mais je ne peux pas vivre sans lui, sa présence m’est trop précieuse, sa présence me remplit, à côté de lui j’ai l’impression la plus nette d’être moi. C’est un choix démesuré de quitter la personne avec qui on vit, avec qui on est installé depuis des années, avec qui on a des enfants, c’est une décision impossible à prendre, parce qu’elle ouvre sur trop d’abîmes, rompre c’est assumer de défaire son existence mais aussi celle des autres autour, au risque de tout déstabiliser. Quitter c’est se redonner vie à soi, mais c’est aussi redonner vie à l’autre, quitter c’est redonner vie à plein de gens, c’est pour ça que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu’ils ne savent pas faire. Seulement cet homme au bout de mes doigts, je l’aime bien plus qu’il ne l’imagine, il ne peut pas se douter à quel point, pour ne pas l’affoler, je ne lui dirai pas. Pas maintenant.
Ses tournées à Paris le tendaient comme un ressort, au point que parfois en rentrant le soir il était tout près de péter un câble, de flanquer des coups pour de vrai. [...] C'est pourquoi prendre l'air lui faisait du bien.
La vallée du Célé, il y retournait toutes les cinq semaines, il faisait les six cents kilomètres et y passait deux ou trois jours, jamais plus. S'il y allait c'était surtout pour voir sa mère. Lui au moins il s'en occupait de sa mère. [...]
Une famille , c'est une embarcation fragile, surtout dans une ferme paumée, à cinq kilomètres du premier village, une ferme isolée où les générations se côtoient, il faut bien qu'il y en ait un qui, mine de rien, tempère et répartisse les charges, qui garde du recul, sans quoi chacun y va de son avis et on ne s'en sort plus.Malgré les six cents kilomètres, à Saint-Sauveur il ne dormait que deux nuits, jamais plus, histoire de ne pas peser, il prenait sur lui, jusque- là il y était arrivé. Maintenant, le soir il se couchait plus tard qu'eux. Une fois que tout le monde était au lit, il restait seul, et il sortait fumer dans la cour, dehors c'était toujours la même partition, le chat -huant et les grillons,aujourd'hui il n'y avait pas de lune donc pas de décor, mais mentalement il le visualisait sur vingt kilomètres à la ronde, il connaissait tous les chemins, tous les recoins, une drôle de sensation tout de même, de maîtriser au millimètre près tout son environnement, ....
Je ne peux pas refaire ma vie, mais je ne peux pas vivre sans lui, sa présence m'est trop précieuse, sa présence me remplit, à côté de lui j'ai l'impression la plus nette d'être moi. C'est un choix démesuré de quitter la personne avec qui on vit, avec qui on est installé depuis des années, avec qui on a des enfants, c'est une décision impossible à prendre, parce qu'elle ouvre sur trop d'abîmes, rompre c'est assumer de défaire son existence mais aussi celle des autres autour, au risque de tout perdre, de les perdre eux-mêmes, au risque de tout déstabiliser. Quitter c'est se redonner vie à soi, mais c'est aussi redonner vie à l'autre, quitter c'est redonner vie à plein de gens, c'est pour ça que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu'ils ne savent pas faire.
En perdant l'ordinateur je perdais des textes en pagaille, pas tous sauvegardés, ainsi que la poignée de notes prises pour mon feuilleton. En plus de l'outil de travail je perdais l'allier précieux qu'est devenu l'ordinateur, ce vade-mecum qui rattache au monde, une sorte d'interface qui me relie aux autres, à tout un monde superficiel et de savoir, source d'information et d'oisiveté, j'y consigne tellement de notes, de liens, de favoris, de codes d'accès et d'aide-mémoire, des heures de musique qui sont pour moi comme une bande-son, et même des débuts de manuscrits, des petits films faits en voyage, c'est ma mémoire qui s'envolait.
Le vieux gobait l'air comme un thon qu'on remonte,
suffocant jusqu'à la cyanose,
le vieux qui riait déjà en jurant que tout allait bien, que ça n'était rien,
rien d'autre qu'une blague.
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