Souâd Belhaddad en marinade .
Souâd Belhaddad, journaliste, écrivain, comédienne, rend hommage à toutes les Marine, ou presque.
Tyran pour certains, perfectionniste pour d'autres, Manu trace, en agissant toujours par instinct.
Ce “je”, ce pronom personnel que je vis si silencieux, un peu obscène, même, porte pourtant sa part d’honnêteté. Il m’abrite, en effet du risque d’être prise, malgré moi, comme porte parole de je ne sais qui ou quoi. Il m’épargne cette place ambiguë, et de toute façon, encombrante. Mais il demeure toujours trop personnel par rapport à ma place dans ma culture d’origine algérienne et musulmane. Expression d’une parole dissidente, dangereuse, en un mot “occidentalisé”. […] Grandir en France, lorsqu’on est d’origine arabe et musulmane, c’est être condamné à ce terrible dilemme : vivre avec les français, vivre comme eux – même école, même look, même amis, même loisirs. Mais surtout « ne pas faire comme eux »
Je n’en peux plus de porter deux mondes – le dedans et le dehors. La honte dedans, la frime dehors. Le possible et l’interdit. Le poison qui gangrène dedans, la grande gueule dehors. Je n’en peux plus de porter deux mondes et de me sentir de nulle part. Je n’en peux plus d’être despote avec mes amis, de prendre leurs incompréhensions pour des trahisons. D’être injuste avec les autres en leur demandant de réparer l’Histoire, en les soupçonnant de racisme au moindre malentendu, je n’en peux plus de la rancune à leur égard parce qu’ils ont les droits que je n’ai pas, sortir, flirter, partir en week-end. Je leur en veux, oui, je leur en veux de tout, d’être eux quand je ne suis désespérément que moi.
Le mot d’islam est rarement dit, chez nous. On parle de Dieu, « Rabi », peu de religion. Les interdits que nous vivons, transmis sans enseignements – c’est comme si nous les connaissions depuis toujours-, ne sont jamais explicitement mis sur le compte de l’islam, à l’exception du porc et de l’alcool. Le Coran n’est jamais cité par mes parents, pourtant croyants et pratiquants et qui, sans doute, comme beaucoup de leurs compatriotes, ne l’ont pas lu.
La France est encore saoul de sa rose victoire, lorsque je reviens à Paris [l’auteure est grand reporter et a séjourné longtemps à l’étranger. Elle revient en France après la victoire des socialistes aux élections législatives de 97]. On dit que tout va changer. On le croit aussi. Pourtant. La gauche est là mais, étrangement, l’insécurité aussi. Ce mot qu’on emploie pour nommer délinquance et immigration, je l’associe, moi, aux français plus fiers que jamais de l’être. Certains experts parlent de « renouveau » du racisme, je n’ai jamais eu l’impression qu’il était enterré. Cette France du Front National qui revendique sa xénophobie, sa haine du juif et de l’arabe m’effraie mais me conforte sur un point. M’effraie parce que. Et me conforte dans la certitude que, non, depuis des années, je n’ai rien inventé, rien exagéré. La France que, petite fille, je me suis prise de plein fouet, en pleine tronche un peu basanée, je ne l’ai pas fabriquée. La méchanceté crachée, le mépris déversé à notre arrivée, je ne l’ai pas amplifiés…Ils sont maintenant devenus propos publics, ordonnés sous une bannière de parti. Ils rationalisent ma peur.
U2 incarne mieux que tout autre groupe un fantasme absolu : la bande de copain.