A la chasse aux anges- Cette fois, je la regarde avec le chagrin au cœur. Elle file dans la pièce voisine. Et moi, c'est vers le monde des peut-être que mes yeux se tournent avec chagrin, un monde dans lequel on peut souhaiter ce qu'on veut, penser à ce qu'on veut, dire tout ce qu'on veut. Dans ce monde, l'infini c'est demain, c'est aujourd'hui, c'est maintenant.Et les nombres restent des notions abstraites. Mon cœur se serre. P28-29
« Alors le caftan noir s'agitait, les manches prenaient leur élan et les poings s'abattaient sur le visage d'Aïcha ; son crâne entier s'enflammait. Elle tournait alors son regard vers sa fille... mais ne croyez pas que pendant ce temps toute pensée s'arrêtait à l'intérieur du caftan noir ! Il en sortait par le bas deux gros pieds mal équarris qui venaient s'abattre de toute leur force sur la poitrine d'Aïcha, sur ses reins et ses cuisses. Elle se tordait de souffrance pendant que le caftan noir continuait de s'adonner à ses gesticulations frénétiques. » (p. 192)
Si seulement, me disais-je, la femme du voisin et toutes les autres femmes pouvaient se dépouiller de leurs vêtements noirs et de leurs foulards blancs et se parer de jaune, de vert, de bleu, d’orange, de mauve et de pourpre ! Si seulement un jour arrivait où ce seraient les fleurs de leurs jardins qu’elles arroseraient avec leur seau d’eau et de jolis oiseaux qu’elles attireraient à elles pour les nourrir… Ce qu’elle serait belle, cette ville ! Et les autres villes aussi, et le monde entier ! Si un jour… Si seulement…
« J'ai remis lentement, discrètement, le livre dans ma poche et je me suis dit, toute fière, que je venais de dérober quelque chose au Grand personnage. Notre collègue m'a fait un signe de la tête. Ça m'a décontenancée. Ma main s'est mise à trembler ; je l'ai posée sur la bosse qui saillait de ma poche pour la dissimuler aux regards des portraits. Je les sentais pleins de haine ; je voyais bien qu'ils essayaient de s'échapper de leurs cadres pour se ruer sur mon livre. » (pp. 35-36)
J’avais le cafard, ce jour-là ; comme si j’avais traîné avec moi toute la tristesse que j’aurais pu accumuler depuis mon enfance
« Elle ne peut terminer. Elle achève de moins en moins ce qu'elle veut dire, la mère. Encore une phrase qui, comme tant d'autres, restera inachevée. À chaque fois qu'elle aborde pareil sujet, c'est comme si les mots se brouillaient à l'intérieur d'elle-même ; ils se bousculent sur le seuil de sa bouche ; ils semblent former une sorte de corps consistant qui lui reste en travers de la gorge comme une bouffée de haine. Les mots ensuite se condensent en pleurs et de ses yeux déferlent des torrents de larmes qui vont se perdre dans les plis de son voile. » (p. 12)
« Je me demandai soudain si mes élèves n'avaient pas volontairement évacué de leur esprit la honteuse machination d'Afrâssyâb pour apprendre et décrire, pour leur plaisir – et pour le mien – le merveilleux gotha des amoureux les plus célèbres de la terre. Je pris la décision de revoir d'ici le lendemain mes appréciations et les zéros que je leur avais infligés. Je me levai. Je couchai mes filles. Je me sentis tout à coup très seule. » (p. 98)
Notre bureau se trouvait à l'extrémité d'un long couloir sombre et humide. Avant d'entrer il valait mieux reprendre haleine plusieurs fois si l'on ne voulait pas être incommodé par l'odeur fétide.
Quand j'entrais dans le bureau, les tables délabrées et les chaises tordues m'agressaient l'oeil.
Dans le ciel bleu avançaient de grands morceaux de nuages blancs qui se soudaient les uns aux autres, se séparaient et se soudaient à nouveau. Pendant un instant, il me sembla que les nuages ressemblaient au manteau coupé de l’homme de lumière
Dans la plaine ardente, l’écho de mon cri résonnait comme une énigme sans fin.