ELLE et moi, on ne s’aime pas. On se dévore. On se shoote à la présence de l’autre, on s’injecte des sentiments en quantité mortelle et on frôle l’arrêt cardiaque par overdose de bonheur.
Deux ans et puis voilà, terminé. La fin du concert est brutale et la salle se vide à la vitesse où elle s'était remplie. Il n'y aura pas de rappel et je meurs seul sur la scène de ce massacre affectif. J'observe le désert de cette salle représentant mon cœur, mes émotions sont figées sur le curseur tristesse, et la seule chose mobile de ce décor n'est autre que mes larmes.
Seul dans cet espace enfumé, je me demande si ce n'est pas la solitude affective qui m'oblige à penser. On entend souvent dire que l'amour rend aveugle, et à cet instant, je me demande si ce proverbe n'est pas le parfait remède au monde dans lequel nous survivons. L'amour comme seule et unique solution pour affronter les contraintes de nos vies et appliquer un filtre arc-en-ciel devant notre rétine amochée. Ce genre de filtre qui permettrait d'égayer notre enfer quotidien et d'éprouver une sensation d'apaisement, résultant de la libération de substances chimiques dans le sang et le cerveau, sans le besoin d'absorber un mélange agressif de drogues dures ou douces...
Longtemps présenté comme une espoir, je ne suis finalement qu'une réussite inachevée. La fierté envolée de mes géniteurs, je ne frôlerai pas la mort a bord de cette Lamborghini achetée cash à mes 23 ans et ne dédicacerai jamais la victoire finale, les larmes retenues, à mes parents lors de la remise des trophées. Je ne suis donc qu'un espoir oxydé par le temps, devenu poussière puis disparu, comme une sculpture abandonnée soumise à l'érosion.
Je constate l'incroyable ridicule dont les êtres humains se couvrent en ne sachant plus hiérarchiser les priorités ; qu'i s'agisse d'attentas à répétition au Proche-Orient, de bavure policières au Mexique ou d'inondations meurtrières dans le sud de la France, plus rien ne nous surprend. Habitué à un défilé d'incidents dramatiques, on a contribué au développement de cet égarement.
Car Jules, tout comme Elise d'ailleurs, possède cette faculté de ne rien vous montrer. Il sait vous sourire, les yeux fixes et les mains tendues vers le ciel, tandit qu'il pleut à torrent sur le fond de son âme. Les seuls indices subtils qu'il vous laisse alors ne sont décelables que lorsque vous commencez seulement à bien le connaitre. Hormis le verre supplémentaire de vodka qu'il se resserre à l'abri des regards, il se réfugie dans la musique classique lorsque vous sortez prendre l'air. A votre retour, l'atmosphère n'a certes pas changé, mais le cendrier a gagné en clientèle. Et ce n'est qu'en tombant par hasard sur l'historique de sa playlist que vous comprenez ce qu'il se trame dans les travers...
On clope, on boit et on se sent bien… On s’évapore dans un monde tranquille qui nous berce loin de tout, et on s’évertue à ne pas penser au futur radioactif qui nous attend, ni même à ce passé toxique qui nous cancérise.
Nous vivons tous avec des secrets inavouables et nous cachons tant bien que mal nos vérités profondes. Je n’aime pas ou plus la vie, qu’importe si je ne sais plus quelle intensité choisir ; toujours est-il que je ne peux livrer cela à personne, au risque de choquer mon interlocuteur ou de me faire interner. Nous enfouissons alors cela pour paraître standard, mais nous ne le serons jamais.Les Hommes ont bâti un monde sur des inégalités et des non-dits, et nous devons à présent jouer du paraître pour ne pas quitter cette voie qui mènerait à l’anéantissement pur d’une destinée ancrée dans le collectif commun.
Je te désire mieux que personne,
Ça gueule, ça cogne sous ma poitrine.
Putain. Les yeux dans le vide, je m'effronde devant ces inscriptions qui dégueulent de sentiments, ressassant les instants prodigieux qu'il m'avait été donné de vivre. Car en fermant les paupières, se mêlent tous les minutieux fragments qui autrefois vous faisaient succomber. Du grain de beauté posté sur cette épaule droite, à cette courbe placide qui vous rendaient dingue. De ce rictus datant de la plus tendre enfance, à cette bouche qui suivait la vôtre comme le coeur des tournesols.
Anaïs.