Mais avant de voir les lieutenants de Naf Bon Joueur entrer comme chez eux dans la glacière pour faire pression sur mon père, je croyais que la pègre n'existait que dans les films. La rencontre avec des caïds juifs me remonta le moral.
Planté devant le congélateur, Bernie actionna lentement la poignée chromée qui fermait le couvercle. Ce dernier s'ouvrit brusquement et, dans une volée de steacks et de filets ramollis, un vieillard trempé surgit, tel un diable à ressort archaïque, vêtu d'un chapeau en fourrure qui puait comme une bête écrasée sur la route.
Bernie perdit immédiatement la tête. Son cerveau n'eut pas le temps d'intervenir et de lui rappeler qu'il ne s'intéressait pas du tout à la nudité de la fille... Quand Lou le toucha à la racine même -première caresse intime dont il bénéficiait de la part d'un autre-, il se mit au garde-à-vous avec une telle rigidité qu'il se crut sur le point de faire sauter le bouchon de son membre en pétillant comme une chandelle romaine....mais au moment même où il s'apprêtait à pénétrer dans la chair d'une fille vivante, se sentant plus présent que jamais au plan matériel, son âme déborda et le propulsa hors de son corps. En regardant en contrebas depuis la stratosphère avec des milliers d'yeux, Bernie aperçut l'effondrement de son désir, avant de capituler devant l'éternité, il entendit la fille lui dire :
-Essaie au moins de me rapporter quelque chose, si tu ne peux pas m'emmener !
Ce roman est très ambitieux puisqu'il constitue une sorte de fresque de l'histoire des juifs depuis les pogroms en Europe de l'est à la fin du XIXème siècle jusqu'à l'immigration aux Etats unis en passant par le peuplement de la terre promise dans les années 20 et 40. Il alterne deux intrigues qui sont liées : celle qui concerne Bernie, adolescent empoté des années 2000 et celle de ses ascendants. Beaucoup d'histoires s'entremêlent donc dans un foisonnement très riche mais cependant maîtrisé. L'écriture est très belle, pleine d'humour et d'ironie aussi.
D'où vient alors le sentiment de lassitude qui a commencé à m'étreindre à la moitié du livre ? Peut-être est-ce à cause de certaines longueurs (et il y en a sur plus de 400 pages en édition de poche), peut-être parce que ce roman embrasse plusieurs genres (comme le roman d'éducation, le roman d'aventure, la parabole, une satire de la société américaine...) et qu'il n'en explore finalement aucun jusqu'au bout laissant une impression d'inachevé. Peut-être aussi parce que le livre, pour moi, souffre d'un excès dans les situations.
Au bout du compte, tous les livres qu’il connaissait par cœur étaient devenus dans l’esprit de Yankel un seul et unique Livre, contenant toutes les histoires y compris la sienne. Et il aimait se dire que le Livre portait pour lui le fardeau du souvenir ; cela lui permettait de se sentir plus libre et de ne pas percevoir comme un lieu d’exil l’endroit où, pour le moment, il se trouvait.
- C'est ça qui est important? de shtuper (baiser)? demande Bernie au rabbin.
- Quoi d'autre? répondit-il jovialement. Le sexe, c'est la prière du pauvre. Bien sûr, il peut aussi manger, boire et apprécier une évacuation intestinale pleine d'entrain, mais shtuper! Ah, shtuper! Je shtupe presque toutes les nuits, presque le lundi, presque le mardi...
Il s'agit pour ainsi dire d'un legs. Il y a des gens qui conservent leurs animaux empaillés au grenier, nous, on a un rabbin congelé au sous-sol. C'est une tradition familiale.
Par la simple force de son désir, il avait réussi à métamorphoser son compagnon adoré en la femme de ses rêves