- Hooo ! J’vas prendre mon bain, tu peux m’remplacer un moment ?
- Oui, chef !
- Faut tenir la température, en refroidissant avec la neige ou en chauffant avec la bouilloire. Not’chef n’arrive même pas à réaliser la préparation de la levure.
- Oh…
- Y n’arrive même pas à supporter la vie d’célibataire pour une petite centaine d’jours, comment ose-t-y se nommer l’chef ?
- Oh…
- Quanque c’est la période d’préparation du moût de fermentation, faut laisser aucune femme s’approcher. Si on confie not’grenier à un jean-foutre d’son espèce, l’saké va se gâter !
- Oh…
- C’est moué qu’à demandé au maître de t’accueillir, alors t’as intérêt à ben t’entraîner.
- Oué, j’suis désolé…
- Remarque, c’est peut-être normal qu’tu t’excites, à force d’écouter tous les jours des histoires cochonnes des saisonniers. J’te remplace. Va aider au grenier de préparation.
- Oui !...Vous voulez d’l’aide pour enl’ver l’écume ?
- Oh, tu veux ben ?...Attention, t’es point solide des reins !
- Hi hi hi, on voit qu’tu viens d’t’faire presser l’moût à la maison des Plaisirs.
- Non, encore c’t’histoire ?...J’viens de me faire gronder par M’sieur Zen.
- Normal, y’a fait une grosse ânerie avec les femmes quand y était jeune. Comme y’a surveillé les écumes en rentrant l’matin tout crevé, y s’est glissé dans l’moût. En tombant d’dans, personne peut s’ensauver, c’est comme un marais boueux. Heureusement que l’ouvrier était réveillé pour l’tirer ! Mais ça fait qu’y a gâché un fût entier de moût. C’est pour ça qu’Zen a point pu êt’promu chef, ben qu’y le méritait. A propos, c’était comment à la maison des Plaisirs ?
- Ah, ça m’a épaté. Enfin, alle était grosse comme un fût d’mille litres.
- Crénom, c’t’ogresse était encore à la maison des Plaisirs ? T’en souviens-t’y ? Celle qu’est grosse comme la baleine qu’on pêche au port d’Kinkazan.
- Ouais.
- Ses lolos tombaient jusqu’au nombril.
- Et t’as vu ses algues qui poussaient autour d’son nombril ?
- Comme alle est à poil toute l’année, on dit qu’son gras est épais d’un pied. Pour dire, sa peau était toute froide comme un drap mouillé. Mon bide l’a été tout de suite glacé…
- Ah bon ? M’est avis qu’une fois devant elle, tous les gars s’trémoussent.
- Final’ment ton machin a point servi ?
- Exact’ment, j’ai point réussi.
- Pour la harponner, faut avoir de l’expérience. Enfin, quand on s’approche du centième jour d’la vie en grenier, on aurait envie d’coucher même avec une femme des neiges. Y paraît que la femme des neiges s’excite quand alle voit la neige rouge et saute au cou de tous les gars qu’alle voye.
- Ah bon ?
- On raconte que jadis, la femme des neiges s’est moquée des seins tombés d’l’ogresse d’la montagne. Alors l’aut’jui a jeté une malédiction pour qu’alle devienne dévergondée quand c’est qu’y neige rouge.
- Moi j’avions jamais vu d’neige rouge d’ma vie.
- Y paraît que ça arrive qu’une fois par siècle. On dit qu’c’est les ragnagnas d’l’ogresse d’la montagne. Une fois par cent ans…ça va pas êt’cet’année en tous cas.
- Attention, l’écume déborde !! Vite, vite !
Dans la maison de saké, la lumière est encore allumée. Les garçons courageux ne sont pas des dormeux.
- Il paraît qu'il n'ose pas toucher sa femme sans avoir bu. Soit il est trop rigide, soit il est abruti...C'est seulement à l'aide de l'alcool qu'il peut accomplir ses devoirs conjugaux. C'est pourquoi Madame ne voulait pas qu'il arrête de boire.
- Hum ! Pire que des cochons.
- Tu te moques des kappas, mais leur niveau de spiritualité dépasse de loin celui des hommes. Pendant les six mois où ils hibernent, ils s'absorbent dans la méditation. Ils réfléchissent profondément à la nature, à l'univers et à plein d'autres choses. C'est pour ça que six mois d'une vie de kappa sur terre valent bien trois ans de vie humaine. On avait mis en pratique le principe de décantation des idées. Avant même que les hommes inventent le concept de "prendre son temps dans la vie"...Pendant six mois on s'amuse, et les six mois restants on dort. Tu trouves pas que c'est un mode de vie idéal ? Moi, que je mange un crabe de rivière ou que je lâche un pet, j'éprouve une joie intense.
Extrait de "Histoire du kappa Hanbê"
Ce kappa-là, il porte un nom...Il s'appelle Genzo. C'est le maître de la famille Shirakabe. Et c'est aussi un fils qui a échappé à la mort choisie pour lui par ses parents...
Quatrième fils d'une famille de propriétaires fonciers installés dans le village de Mégosawa, il vit le jour pour son malheur en pleine période de famine, périodes durant lesquelles l'infanticide était chose couramment pratiquée dans les campagnes, pour éviter d'ajouter des bouches à des familles peinant déjà à se nourrir.
Aujourd'hui encore, on peut trouver au fond des autels de nombreuses maisons des kokeshi en mûrier, tout couverts de poussière, placés là jadis pour apaiser les âmes des enfants éliminés...
Comme beaucoup d'autres avant lui, Genzo fut exécuté sur l'autel des Jizo du cimetière, avec l'aide de quelques villageois.
- ça va, tu ne saignes plus ?
- Non. Il y en a qui meurent du jour au lendemain...Ils ont de l'eczéma qui apparaît sur tout le corps, comme des fleurs de cerisiers...Au bout d'un moment, ils se mettent à saigner des oreilles, du nez, de la bouche...
- Tu penses que c'est à cause des radiations ?
- Sûrement...
Extrait de "Les invisibles du nucléaire"
— Si jamais je tombe dans cette cuve, j'irai directement au cimetière en passant par la bouche d'évacuation.
— Crétin, tu seras coulé dans le béton, et on ne te laissera jamais sortir...
Tant qu'y boit point, l'est calme comme un bouddha. Il oserait même pas péter d'vant sa femme.