Comme une larme tombée du ciel (Indonésie)
Elle était debout en haut de la montagne. Au-dessus d’elle, le ciel s’enflammait. Ses cuisses dures avaient ployé soudain et elle s’était retrouvée penchée tout au bord du vide, comme prête à plonger, les mains agrippées à l’arête aiguë de la roche entre ses pieds.
Longtemps, elle avait contemplé la vie minuscule qui palpitait en bas dans la vallée. Comme les lumières s’allumaient au village, les grands yeux tristes de la fée s’étaient emplis de nuit. Elle s’était redressée, une moue boudeuse aux lèvres. Non, décidément, d’aussi loin, elle ne pressentait rien. Il allait lui falloir descendre de ses hautaines solitudes.
En un las soupir, elle avait laissé tomber sa robe rouge, coquelicot froissé, au bas de ses reins orgueilleux. A chaque début de siècle, c’était ainsi. La fée s’en allait prendre le pouls du monde des hommes, écouter de tout près comment leur cœur battait. Et, pour sentir cela, pour le sentir véritablement, il lui fallait se glisser dans la peau du plus fragile d’entre eux.
Elle était toute la beauté du monde, la fée Margalide. Ses journées, elle les passait à danser et la nuit, ses éclats de rire trouaient l’obscurité. Un jour, les dames de l’ombre en avaient été jalouses et l’avaient enfermée, serrée à pouvoir tout juste respirer, dans une pelote de soie rouge.
Depuis, entre les cailloux du chemin, au bout d’un rameau fleuri, dans le cours d’une rivière, la fée Margalide laissait partout courir un brin de fil écarlate, attendant patiemment qu’on la délivre.
Un matin,
Amarok a accepté d'envoyer ses enfants sur terre. Quand les premiers loups sont apparus sur la banquise, les hommes les ont trouvés si beaux qu'ils en ont fait leurs maîtres. Ils les ont regardés chasser en meute, éloigner les bêtes vives et encercler sans bruit le malade ou le plus faible. C'est ainsi que les enfants d'Amarok ont appris aux hommes à vivre dans leur pays. Et que les hommes ont su que le caribou avait besoin du loup comme le loup avait besoin du caribou.
C'est parmi les loups qu'il a trouvé son clan. Mêmes yeux de nuit et de soleil, même flamme dans les entrailles, même errance sombre et libre sur la terre infinie. Pendant un an, il fut loup parmi les loups. Et ce fut bon ainsi.
Un matin pourtant, il s'est réveillé fatigué des traques obscures, des hurlements déchirants le ciel vide, des jours d'hiver à se nourrir de vent. Il s'est éloigné de la horde, tête basse, mains perdues, cœur lourd. Une louve immobile a regardé sa silhouette s'amenuiser jusqu'à n'être plus qu'un point minuscule sur la neige infinie. Alors elle a poussé tendrement devant elle son plus jeune louveteau. La bestiole a jappé. L'homme s'est retourné.
Tandis qu'il courait vers le garçon aux yeux éblouis, le loup est devenu un homme et Manapus a reconnu celui qu'il espérait depuis si longtemps. Bientôt de part et d'autre de l'île ont résonné des rires clairs, des chants heureux et des paroles nouvelles. Ils étaient compagnons, frères, amis. Ils étaient deux. Ils étaient au monde.