JACOB KATZ Qu’est-ce que je pouvais leur dire ? Que ce n’était pas du tout ce qu’ils pensaient ? Leur demander de quoi il s’agissait ? Je ne pensais qu’à protéger ma tête, mon ventre, mes organes génitaux. J’ai senti mes côtes se briser. Je me suis dit tant pis, ça guérira. Ce n’est qu’une punition pour une bêtise. Tout d’un coup ils ont cessé de me battre. Je me suis dit que j’allais leur dire quelque chose, maintenant. Mais leur dire quoi ? Ma bouche se remplissait d’un liquide visqueux. J’ai craché sur ma main et j’ai vu que c’était du sang.
MENAHEM J’étais caché dans les groseilliers des Pecynowicz devant lesquels ils frappaient Jacob Katz. À travers la palissade, je les ai vus lui donner des coups de pied puis s’arrêter tout d’un coup. Ils étaient essoufflés. Comme les marathoniens au cinéma. J’ai vu Jacob Katz se lever lentement et partir. Il zigzaguait comme s’il était saoul.
VLADEK Il en a assez, j’ai dit, laissez-le.
JACOB KATZ M’en aller, pensais-je, m’en aller le plus loin possible. Comme ça ils me laisseront tranquille. Juste m’en aller. Le soleil brillait. Un cheval attelé à une charrette me regardait. Un paysan lui avait attaché un sac de fourrage autour du cou, ça augure d’une longue halte, je me suis dit. Eurêka ! C’est la loi d’Archimède ! Qu’est-ce que c’est déjà, la loi d’Archimède ? …
JACOB KATZ (....) Je me suis rasé, lavé, parfumé. J’ai mis des sous-vêtements propres, ma chemise blanche du dimanche et un costume noir. J’ai nettoyé mes chaussures. J’ai mis mes papiers, un peu de fric et la lettre d’Abraham dans ma poche et je suis sorti. Il n’y avait pas grand-monde dans la rue. L’arche de bienvenue était toujours là, avec sa croix gammée faite de pommes de pin. Elle avait une piètre allure. La nôtre, il y a deux ans, avec le marteau et la faucille, c’était autre chose. Voilà ce que je me suis dit en passant devant. Je les ai vus alors qu’ils débouchaient de la rue de l’école. Eux, c’est-à-dire Vladek, Heniek, Rysiek et Zygmunt. Rysiek avait une sale tête. Il avait le visage tout bleu.
VLADEK C’est moi qui l’ai vu le premier. J’ai dit : Oh, Jacob.
HENIEK Quel Jacob ?
ZYGMUNT Jacob Katz.
JACOB KATZ J’ai fait un rêve bizarre cette nuit. Un rêve horrible : je sors sur le perron. Je regarde et je vois partout, le long de la barrière et devant la grille ouverte, des loups noirs qui montrent leurs crocs. Mon Dieu, je me dis, mais qui leur a ouvert la grille ? Je ferme la porte et les loups viennent jusqu’aux fenêtres, ils sautent, enragés, ils cassent les vitres avec leur gueule. J’attrape le tisonnier et je les frappe en pleine tête. Ça ne change rien. Je me réveille. Quelqu’un frappe à la porte. Mon cœur manque de s’arrêter tellement j’ai peur. J’ouvre. C’est Menahem avec une valise.