« A en juger d’après la situation dans le pays, reprit Drongo, le ministre des finances est une figure clé dans le gouvernement. Demain, il va à Londres, et vendredi il parle à la Douma. Donc, vous voulez que j’assure sa protection. Ou plutôt non. Il vous faut un expert capable de déjouer un attentat dirigé contre lui. J’en déduis que vous avez identifié l’organisateur du crime et que vous le craignez. Et vous redoutez une nouvelle tentative, où on ne pourrait pas escompter un nouveau miracle. Et enfin, Colonel il y a ce porte-documents que vous tenez. Manifestement il contient le dossier sur l’organisateur de l’attentat. J’ai deviné ? »
— Des politiciens comme les autres, dit Drongo. Ils cherchent les honneurs, le pouvoir, l’argent. Mais à la différence du reste du monde civilisé, nos politiciens maison veulent tout et tout de suite. Dans aucun pays du monde la corruption ne fleurit comme chez nous ; nulle part autant que chez nous il n’y a de telles possibilités de s’engraisser sur le dos de son peuple.
Depuis 1991, je balance entre Moscou et Bakou, incapable de me fixer. Quand on m'a enlevé mon pays, qui allait de l'Ukraine au Kamtchatka, j'ai perdu partiellement mon équilibre. Tu sais, en fait, pour être heureux, un homme a besoin aussi d'être fier de son pays. J'étais fier de Bakou, ma ville préférée, où je suis né et dont je connais les moindres ruelles; j'étais fier de la capitale de mon pays, Moscou, où j'ai fait mes études et où j'habite maintenant, et dont je connais aussi le moindre recoin. J'adorais Leningrad et ses nuits blanches. J'aimais aller dans les pays baltes, passer des soirées animées à Tbilissi et Erevan. Et puis : plus rien. Fini. On m'a même retiré le droit de voyager. Pour me rendre dans les pays baltes, il me faut un visa. (...) Mon pays natal (...) s'est transformé en une Atlantide engloutie au fond de la mer. Et avec elle se sont envolées mes espoirs, mes projets, ma foi.
Akhmétov se rappela soudain qu'il avait dans sa serviette des documents dont il aurait bien aimé se débarrasser. Mais c'était trop tard. C'était trop tard pour tout. Les documents se retrouveront entre les mains des enquêteurs, tout sera fini. Anéanti, il ferma les yeux. Quelques preuves de plus ou de moins, quelle différence ? De toute façon, la chute était inévitable. Ah ! et puis qu'ils aillent se faire foutre ! La perquisition a sûrement été décidée avec l'accord d'un des dirigeants du pays. Pour pouvoir procéder à l'interpellation d'un vice-ministre, il faut la sanction du Premier ministre ou de la présidence. Ce qui veut dire qu'ils ont décidé de le sacrifier. Eh bien, maintenant, qu'ils ne viennent pas se plaindre. Il ne se taira pas. Il racontera tout. Il ne va pas porter le chapeau tout seul, quand même ! Il racontera tout. Il n'a plus rien à perdre.
Une fois seul, il s'entoura des livres de ses auteurs d'anticipation préférés, chez lesquels il cherchait des réponses aux questions qui le taraudaient. Il regrettait que tous ces sages aient quitté ce monde l'un après l'autre à la fin du vingtième siècle : John Brunner, Isaac asimov, Roger Zelazny... Si Dieu existait vraiment, il n'aurait pu lui trouver de meilleurs compagnons.
L'essentiel est que les tueurs soient toujours derrière moi. Et moi sous leurs yeux. Comme une cible. Comme la cible parfaite qui n'a pas le droit de disparaître. Ma tâche est d'être toujours exposé à leurs poignards ou à leurs pistolets. D'attirer leur regard. Ou, si vous préférez, d'exciter leur colère.
En travaillant dans le renseignement, je me suis fermement persuadé d'une vérité, à savoir que la Vérité a plusieurs visages. Comme chez le grand cinéaste Kurosawa, chaque récit représente une version différente de la mort du samouraï. Chaque homme a sa part de vérité.
Il y a un proverbe qui dit qu'il n'y a pas pire ennemi que les anciens amis.
"La colère est l’arme des faibles."
Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur
Ventre affamé n'a pas de morale.