Thierry Gallier

Veux-tu rester en bonne santé, suis ce régime : ne mange point sans en avoir envie, et soupe légèrement ; mâche bien, et que ce que tu accueilles en toi soit bien cuit et simple. Qui prend médecine se fait du mal. Garde-toi de la colère et évite l'air alourdi ; tiens-toi droit en sortant de table et ne cède pas au sommeil à midi. Sois sobre pour le vin, prends-en fréquemment en petite quantité mais pas en dehors des repas, ni l'estomac vide ; ni ne retarde la visite aux lieux d'aisance. Si tu prends de l'exercice qu'il soit modéré. Ne te couche à plat ventre ni la tête basse et couvre-toi bien la nuit. Repose ta tête et tiens-toi l'esprit en joie ; fuis la luxure et observe la diète.

LÉONARD DE VINCI

Qu'est-ce que La Joconde ?
C'est le tableau de tous les records : il est estimé à plus d'un milliard d'euros ; il est le tableau le mieux protégé du monde ; il est le plus visité et le plus photographié du monde ; le visage humain le plus connu sur Terre ; c'est l'image la plus reproduite du monde (des tee-shirts, des timbres, des coussins, des mugs, des chocolats, des pubs…) ; c'est le premier modèle de l'histoire de la peinture à sourire. C'est le plus grand mystère de l'Histoire de l'Art de tous les temps. Une oeuvre dont le sourire et le regard n'ont pourtant jamais livré aucun secret.

Léonard de Vinci faisait souvent une analogie entre l'anatomie humaine et la structure de la Terre, comme dans ce passage du codex Leicester :
« Nous pouvons dire que la Terre possède un principe vital de croissance et que sa chair est le sol, ses os sont les strates successives de roches qui forment les montagnes, ses cartilages sont le roc poreux, son sang, les veines de l'eau. Le lac de sang qui entoure le cœur est l'océan. Sa respiration est la croissance et la décroissance du sang dans le pouls, comme l'est sur la Terre, le flux et le reflux de la mer. »

Léonard de Vinci ne s'est jamais séparé de cette oeuvre jusqu'à sa mort, l'emportant en France où elle fut acquise par François 1er. J'ai d'abord pensé que son attachement au tableau était dû au fait que le peintre était vraiment satisfait de son travail. « Et il m'advint de peindre une chose réellement divine » écrivait-il. Mais son attachement viscéral à cette toile va bien plus loin que la simple fierté du peintre. J'y vois le portrait de sa mère, telle qu'il s'en souvenait. J'y vois aussi le récit du parcours dramatique que fut la vie de sa mère Caterina.

C'est aussi son âme, sans fard, que Léonard de Vinci a mis sur cette toile, le récit de son parcours, de sa quête éternelle, d'une plaie d'enfance impossible à refermer, de ce manque qui jamais ne le quitta. L'image aussi de ce qu'il a aimé : les paysages de son Italie natale, son voyage, la beauté de la nature, le mythe d'Isis qui devait le toucher au cœur…

Un témoignage également de ses doubles origines - italienne et orientale - si l'on considère que le cours d'eau à droite avec le pont représente l'Arno, et celui de gauche le Nil.

En 2004, une étude a été commanditée par le Louvre et réalisée grâce à un système de balayage laser sophistiqué, en couleurs et en trois dimensions, par le CNRC (Conseil national de recherches du Canada). Les chercheurs du CNRC se sont rendus au Louvre pour numériser La Joconde à l'aide d'un scanner 3D, avec une précision du micron, soit environ un dixième du diamètre d'un cheveu humain. Cette technologie permet de déceler le relief engendré par les coups de pinceau sur une toile. Un des chercheurs, John Taylor constate :

« La surface de La Joconde ne révèle aucun coups de pinceau. La couche de pigment est extrêmement mince et uniforme. La technique du maître ne ressemble donc à aucune autre. Léonard de Vinci est un cas à part. Aucun relief attribuable à des coups de pinceau n'apparaît sur ces images ».

L'histoire de sa mère Caterina semble avoir de fortes similitudes avec le destin tourmenté d'Isis. Léonard a peut-être été touché par le récit de ce mythe, en de nombreux points similaire au destin de sa mère. Ce mythe devait résonner en lui, en son passé. Dit autrement, je crois que Léonard ne vouait pas seulement un certain culte à Isis. Je crois aussi que cette légende lui "parlait". Caterina, la mère de Léonard, a elle aussi connu coup sur coup le bonheur, puis le drame, comme Isis. Elle a été amoureuse de Ser Piero, s'est retrouvée enceinte de lui, puis a tout perdu, son amant et son fils à peine sevré. Un "avant/après" qui pourrait s'illustrer dans le tableau coupé en deux : jeune, radieuse et souriante à droite, puis abattue à gauche.

Et pour l'art de peindre, Léonard de Vinci recommande :
« Il est plus sûr d'aller aux choses de la nature, qui ne sont imitées que très médiocrement en donnant de mauvaises habitudes, car qui peut aller à la source ne va pas à la cruche ».

C'est à tort que les hommes se plaignent de la fuite du temps, en l'accusant d'être trop rapide, sans voir qu'il s'écoule à la bonne vitesse.

LÉONARD DE VINCI

Si l'on coupe en deux le tableau, que l'on sépare ces deux parties et qu'on les regarde alternativement, on constate que ce sont deux femmes différentes. Ou plus précisément la même femme à deux âges et dans deux humeurs différentes. (…)

Léonard de Vinci a réussi à créer un morphing, c'est-à-dire une transition douce entre deux images, entre la gauche et la droite du tableau. (…)

C'est le secret du sourire de La Joconde.

Les influences célestes peuvent faire pleuvoir des dons extraordinaires sur des êtres humains ; c'est un effet de la nature, mais il y a quelque chose de surnaturel dans l'accumulation débordante chez un même homme de la beauté, de la grâce et de la puissance : où qu'il s'exerce, chacun de ses gestes est si divin que tout le monde est éclipsé et on saisit clairement qu'il s'agit d'une faveur divine qui ne doit rien à l'effort humain.
Tel fut Léonard de Vinci ; sa beauté physique défiait tout éloge ; dans le moindre de ses actes résidait une grâce infinie. Son talent si complet et si puissant lui permettait de résoudre aisément toutes les difficultés qu'abordait son esprit. Sa force physique considérable était unie à l'adresse, et l'ardeur de son âme le portait toujours à une royale magnanimité. Sa renommée s'étendit telle que, tenue en haute estime de son vivant, il connut une gloire plus grande encore après sa mort. Ce fut vraiment un être admirable et céleste que Léonard, fils de Piero da Vinci.

GIORGIO VASARI, vers 1550.
« Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. »