La Quatrième de Couverture : Thierry Montoriol, Le Roi Chocolat
L'ignorance et la superstition faisaient souvent un dangereux ménage.
Une autre prophétie vous concerne directement, affirma le franciscain en braquant un doigt sur la poitrine de Victor. Elle parle du dieu jaguar. Celui que vous portez en amulette. A en croire ce texte, il faut comprendre que son exil est très mal vu par le cortège de ses frères et soeurs divins. Apparemment, les aztèques étaient très casaniers et tenaient à garder sur leurs terres ceux qu'ils honoraient. Bref, (...) quand le dieu jaguar est expatrié, seuls ses pouvoirs maléfiques peuvent s'exprimer...
Une main prolongée de la gamelle réglementaire s’était avancée. Le géant noir la saisit, plongea le récipient cabossé dans le breuvage fumant et l’éleva jusqu’à ses narines épatées. Il resta ainsi longtemps, respirant comme un enfant émerveillé, roulant des yeux écarquillés avant de porter doucement la gamelle à ses lèvres. Tous l’observaient. Le sergent Guattari s’impatienta brusquement.
-Alors ! Tu te décides, Bandélé ?
Le géant avalait par petites goulées, lentement, claquant la langue contre son palais, les yeux fermés. Victor ne le quittait pas du regard, heureux et fasciné. Le tirailleur renversa la gamelle au fond de sa gorge, leva les bras en brandissant le récipient vide.
-Ça y en a le bon Jésus, dit-il.
Victor prit la gamelle.
-Mais non Bandélé, pas Jésus, Banania.
-Y a bon Banania chef, répondit l’accommodant Bandélé qui partit d’un immense éclat de rire dont l’écho rebondit entre les murs de terre poisseuse. Au milieu de ce bout de monde ravagé, la joie du géant éclatait comme un feu d’artifice dans un cimetière.
Victor quitta du regard le salon Doré du théâtre Colon où Mercedes venait d'accompagner la chute d'un tango milonga en claquant du talon sur le parquet comme une jument révoltée.
...jamais il n'avait approché de si près un monde où la fortune sans racine et le luxe sans alibi s'harmonisaient avec un tel naturel. Jamais non plus il n'avait côtoyé un cercle aussi étroit où la frivolité était une nécessité, le cynisme une élégance et l'insouciance un rempart contre les laideurs de l'existence.
- Bonjour, messieurs, je vois que vous êtes en avance. C'est pire que d'être en retard.
L’existence prend enfin le tour dont je rêvais. Parce que la vie de chroniqueur mondain, fût-ce dans une grande feuille nationale, commençait à lui peser. Quand bien même avait-il réussi à se faire nommer chef de rubrique au département spectacles d’un journal qui faisait la pluie et le beau temps à Paris, l’avenir lui paraissait aussi lisse qu’un lac promis à une maturité lagunaire.
Derrière lui, leur fils Gaël portait dans ses bras une femme ensanglantée. Un garnement à la bouille étonnée leur emboîtait le pas, suivi d'un géant blond et d'un aveugle qui se laissait guider par un Indien à moitié nu. Le spectacle baroque de cet équipage qui paraissait avoir été assemblé aux quatre coins de la terre la laissa indifférente.
On la connaît cette musique du diable. Ça feule pire qu’une chatte en chaleur et quand ça dégringole, ça vous souffle une cathédrale d’un coup. À part la grosse Bertha, y a pas pire. Ces canons-là, ça porte à vingt bornes. Ça veut dire que les Fridolins sont à moins de vingt bornes. Vous le comprenez, ça ? Et si vous voulez que quelqu’un de vivant distribue votre poudre à chocolat au lieu de bouffer de la poudre à canon, feriez mieux d’obéir aux ordres ! Putain de civils !
- Quel est le prénom choisi?
- Bogdan, répondit aussitôt la jeune femme, un immense sourire en travers du visage.
- Bogdan, parfait. Nous pouvons savoir d'où vient ce sobriquet de barbare?
- Un ancêtre kirghiz, murmura la mère sans s'étendre plus avant.
- Allons-y pour le cavalier des steppes (...) Je vais y ajouter Marie, Mathieu et Danann. En certaines circonstances, aucune protection n'est à négliger.