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2.62/5 (sur 29 notes)

Biographie :

Thomas Heams-Ogus a 34 ans. Il est enseignant-chercheur en biologie. Cent seize Chinois et quelques est son premier roman.

Source : http://www.seuil.com/fiche-ouvrage.php?EAN=9782021018707
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Portrait(s) d'un premier roman : Thomas Heams-Ogus


Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Être Chinois dans les Abruzzes, en ces temps, c’était avant tout être avec des Chinois, puis, semaine après semaine, avec tous les Chinois d’Italie. C’était être un parmi, acculé au rassemblement. Quand chacun d’entre eux voyait le soleil se coucher sur le Sasso, voyait partir une journée de plus, fermait ses yeux et laissait venir à lui quelques timides souvenirs, qui une rue de Sienne, qui le sourire d’une femme, il voyait en les rouvrant une grosse centaine d’hommes dont on avait décrété qu’ils étaient ses semblables. Chaque regard chinois qui se fixait sur un Chinois était une petite humiliation. Elle n’était pas toujours perçue comme telle, mais elle était comme un sable mouvant, un enfouissement. S’éviter du regard devenait comme un début de révolte intime. Mais la guerre était plus forte. Elle était ce moment où la liberté prenait la forme d’un saccage, ce moment où le saccage s’emparait du temps. Ce qui s’écoulait était des secondes de ruine et donnait le rythme dans chaque poitrine au cœur battant de l’oubli. Peut-être qu’une puissance chaotique viendrait un jour les exhumes, ces battements, et ces chairs et ces vies qui les entouraient. Peut-être qu’elle aurait la forme d’une mémoire. Cela viendrait en son temps, justement quand le tonnerre des saccages se serait évanoui dans les bruissements d’herbe de l’été.
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Dans un simulacre macabre, ils firent mine de lui laisser le choix en lui proposant de rejoindre les rangs du nouveau pouvoir. Il refusa évidemment et une balle rentra dans sa nuque. Son dernier éclair de conscience fut le mot qu'il prononça. Il eût pu répondre "non". Il répondit : "jamais". Alors même qu'il était mis en joue, alors que la profondeur du temps qui lui restait à vivre était dérisoire, il eut cette superbe nuance qui lui permettait d'écarter les murs de l'univers.Ce "jamais" englobait les secondes d'avant la mort certaine et l'éternité après, bravait ce que la mort avait de frontière. Ce "jamais" que tout le bataillon allemand entendit , c'était la promesse d'une suite, une projection libre. Dans ce simple mot, il avait réussi à parler de lui, mais aussi de tous les insurgés, qui prolongeraient et donneraient vie à ce "jamais".
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La brutalité assenée à l'Italie empêcha les amitiés et les alliances. Mais les habitants d'Isola, ce petit peuple de montagnes, qui avait à la vérité édifié plus de refuges d'altitude que d'églises rutilantes, savait aussi, dans sa distance, dans sa réserve, dans son refus de s'étendre sur ces passages imprévus, dans sa réticence à toute démonstration impudique, lancer des indices discrets qui ne se payaient pas de mots, mais disaient aux Chinois qu'au-delà de leur gouffre, au-delà de leur nuit, des portes leur étaient ouvertes et qu'un jour, quand cette inertie se fracasserait enfin, on se retrouverait et on pourrait écrire ensemble une histoire un peu plus digne.
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Il serait dix-huit heures passées dans ce monde aux marges du monde. On serait le 16 mai 1942 dans les Abruzzes, le village s’appellerait Isola del Gran Sasso, quelques kilomètres au sud de Terramo, il ferait vingt degrés. Cette bille serait venue effleurer une tentative de monde, et sa furie serait contenue, car dans cette campagne isolée la fureur prend souvent les habits du silence. Autour d’elle le flou de sa vitesse aurait laissé place à un univers de précisions : les feuilles frissonnantes, les rides d’un homme au regard vide, la peinture qui s’écaille sur un banc public, des odeurs de terre séchée, et tant d’autres qui contribueraient à cette quiétude apparente, et donc à cette furie qui ne disait pas son nom. Elle serait à présent immobile.
Sa fin serait un commencement, face à San Gabriele, et sur son seuil trois prêtres attendant que quelque chose s’arrête, mâchoire tendue, tenus debout par l’angoisse. Ce qui se serait arrêté ne serait pas tant l’imaginaire bille de plomb qu’un convoi de camions bâchés précédés d’une imposante voiture. On l’aurait entendu arriver par la route qui provenait de Tossicia. Du seul crissement des pneus sur la route, il aurait été possible de déduire qu’un fait inhabituel était sur le point de survenir. Des voitures arrivaient de temps en temps par cette route, mais une oreille faite à ce petit pays, à ses équilibres sonores, aurait vite senti que l’inédit approchait, et très vite cela se serait vérifié. Le convoi, sa lenteur et sa nervosité auraient décrit une boucle ample devant le sanctuaire. Des carabiniers seraient descendus les premiers, indifférents aux trois prêtres, auraient mécaniquement rabattu les volets arrière des camions, auraient nerveusement fait signe à ce qui vivait à l’intérieur de s’en extraire et l’on aurait alors pu voir descendre cent seize Chinois. Oubliée, désormais, la petite sphère de métal.
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La foule les entourait, mais ils étaient aussi cette foule, ils la résumaient. De manière absolument certaine, ils étaient une portion cachée de l’humanité. Là, dans ce sommeil mystérieux, ils étaient, à eux deux, la moitié perdue du monde des hommes.
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Il faudrait imaginer une bille de plomb, noire à en capter toute la lumière du jour, dense de son poids et de sa chaleur mêlés, confondus. Il faudrait l’imaginer immobile. Son socle serait une montagne. Une montagne au centre de l’Italie, presque la plus haute, pas la plus impressionnante, mais surgissant néanmoins comme une barrière naturelle face à qui viendrait de la côte peu distante. On s’en approcherait comme d’un tabou, par des vallons clairs. La courbe des collines en cacherait longtemps la raideur. Et puis elle se dévoilerait, on serait face à elle, frontière évidente, signe d’une halte indispensable à qui voudrait obstinément continuer en ligne droite vers l’ouest. Mais dire cela, c’est déjà être au pied, c’est trop tôt, pour l’instant la bille de plomb est au sommet, personne ne pourrait l’y voir. Il y aurait du vent, des oiseaux tournoyants. Cette bille de plomb serait le petit supplément d’altitude, infime et provisoire, de cette montagne. Elle serait là, il ferait jour. Et puis tout changerait. Un souffle, un basculement, un choc. Peut-être même quelque chose de tellurique et sourd. Une rupture d’équilibre, une violence. Et la bille tomberait, d’abord de son monticule, modestement, en prenant un élan fragile, déplaçant sans cesse dans l’espace sa matière et sa chaleur, prête à s’arrêter sur un replat mais non, continuant, attirée par le vide, appelée par le rien, gagnant en vitesse, brûlante et isolée dans la fraîcheur d’altitude. Chutant. Elle gagnerait vite la limite, presque une ligne de niveau, entre le sommet rocailleux à la pente vertigineuse et la large base arborée, comme en soutien. Elle y parviendrait vite, après une quantité dénombrable de chocs sur les pierres, contacts éphémères pour mieux repartir pour d’autres rocs, ceux que leur histoire individuelle aurait placés sur sa trajectoire. Une fois la forêt atteinte, là où la pente s’adoucit, là où l’air est plus humide, peut-être que la bille ralentirait mais alors imperceptiblement, pour l’heure toujours ivre de sa vitesse à travers les sapins blancs. Chaque point de sa surface minuscule serait soumis aux subites et irrégulières alternances d’ombres et de lumière, quoique cette irrégularité eût été parfaitement indécelable à qui aurait prêté attention à cette bille de plomb, mais personne ne le ferait, et puis la bille n’existe pas. À peine freinée par ses chocs, elle passerait peut-être près d’un refuge, peut-être près d’un homme courant vers ce refuge. Épuisé, bouche ouverte, tempes prêtes à éclater, front perlé d’une sueur acide qui attaquerait ses yeux, mais voit-on ces périls, voit-on ces menaces, cet homme existe-t-il ? Alors, son inertie étant son seul maître, elle poursuivrait sa course, elle laisserait cette apparition à son statut de prémices. Ses chocs avec la terre meuble s’étoufferaient bien plus que ceux contre la rocaille du sommet, déjà loin, déjà de l’histoire, et déjà donc de l’oubli. Toujours loin des hommes, elle s’en rapprocherait pourtant et bientôt l’histoire commencerait, un choix arbitraire de début et de fin, un voile sur l’avant, la fuite de l’après. Dans l’ombre, dans ces chocs à peine lus longs, la bille sentirait les battements des cœurs des hommes du lointain, qui se transmettent aux poitrines et parcourent les corps, puis les quittent pour diffuser dans la forêt silencieuse.
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Se fit alors le choc de deux regards...Dans ce moment sans durée, face à face, ils se donnèrent leurs blessures....Rien de romantique, pas le début d'un mouvement amoureux, non, seulement ce langage pur, enivrant sentiment d'être à l'autre, permis par l'irruption des mots en fusion, et poli par les évidences qui flottaient entre eux. Ils étaient comme deux livres, les mots s'écrivaient, fluides, s'emplissaient de tous les foisonnements qui les entouraient... Chacun avait compris l'autre, la dissymétrie disparaissait. Les exils résonnaient, ils avaient été les pierres taillées dont le choc avait produit cette parenthèse d'éclats. Ils étaient leur terrain d'échange, le point du miroir où le doigt et l'image du doigt se touchent.
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Les autorités, les prêtres, les Chinois confinés eux-mêmes, savaient que toute activité de leur part était dispensable, mais permettait un semblant de quiétude publique. Détenus sans chaînes, leur vie était une mise en scène, ils jouaient des rôles sur des tréteaux. Et même si chaque pas, chaque mot échangé avec l’habitant, chaque souffle qui sortait de leur bouche, dénonçait froidement cette banalité feinte, ils s’étaient abandonnés à y croire. Peut-être que dans cet engrenage absurde accepter ce théâtre pourrait rendre ces temps moins systématiquement bouleversants, faire de l’air qu’ils respiraient autre chose qu’une bouchée de verre pilé, laisser aux secondes l’opportunité d’agir autrement qu’en les saignant de l’intérieur ? Peut-être alors que ces secondes pourraient un jour n’être plus ni cris ni rafales ? Pour échapper à tous ces brouillards, un rôle de composition dans cette glaciation d’espace et de temps était somme toute un prix raisonnable à payer. Leurs corvées étaient une part de ce rôle. Ainsi par bandes, par petits groupes, certains partaient aux champs ou sur le chantier d’une maison, certains encore allaient porter des gravats, quand la plupart restaient sur le muret près du dortoir à attendre l’engloutissement des jours, et les terreurs sourdes des rêves nocturnes. Le chroniqueur de ces moments n’aurait pas eu de violences explicites à décrire, de coercitions, de vexations exercées par des soldats. Assis sur un banc, il aurait vu simplement des petits groupes d’hommes partir tranquilles, marcher vers d’inutiles destinations, à moins qu’il ne détectât la gifle sèche, la torture inouïe qu’était pour eux le naturel avec lequel chacun acceptait ce délire froid. Cette humiliation, enfouie, qui pourtant était leur relation à l’Italie, à la Terre en guerre, et donc la forme résiduelle de leur humanité.
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Les morts répondaient aux mots. Cette réalité avait été le récit des otages abattus, elle avait été la terre sur ceux tués au combat. Elle prenait tous ces visages, et revenait protéiforme, déstabilisatrice. Elle diffractait tout ce qui ne se racontait pas, ne se vivait pas en mots. Elle pénétrait dans ce qu'il y avait de secret, dans les territoires enfouis, dans tout ce qu'il y avait d'intensément fragile en chacun, où ce qu'il y avait d'intensément fragile parlait à ce qu'il y avait de beau.
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Certains étaient à Gênes ou à Bologne, individus, singuliers, déconcertants, et néanmoins encore libres d'être, d'aller et venir, petits commerçants en textile, revendeurs de rue d'articles de maroquinerie, de cravates, de ceintures, ceux-là étaient encore dans leur dignité d'homme, chacun portait une histoire et des choix d'avenir, certes perdus dans la sidération de leur nouvelle vie, dans l'irréalité des pluies froides de Turin, des ocres de Sienne.
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