Maria est bien contente de ne pas s’être attaché un mari, même si elle a voulu son enfant, bien sûr. L’idée que quelqu’un la commande la faisait frémir. Qu’un gras du bide lui grimpe dessus quand il en aurait envie, et le reste du temps lui dise quoi faire et comment.
" Les bouleaux avaient déjà pris des teintes jaunes et les branches des myrtilles étincelaient de rouge. Cette année arbres et buissons se pareraient peut-être en même temps des couleurs de l'automne, et la nature entiére fêterait son arrivée revêtue de ses atours les plus chaleureux .
Cela n'arrivait pas toujours, tantôt les feuilles étaient déjà tombées quand les buissons commençaient à changer, tantôt les arbres brillaient de tous leurs feux, mais la végétation brunissait sous la pourriture. .....
Les uns et les autres se trouvaient rarement en couleurs au même moment .
Quand cela arrivait, on s'en souvenait longtemps" ........
- Tu as vu la pelle ? demande Johannes arrivé à sa hauteur.
- Souvent, oui.
- Très drôle.
- Où peut-elle bien être rangée ?
Maria pense que la vie est un bâtiment, une grande maison qui possède maintes chambres et salles, toutes dotées de portes nombreuses. Chacun choisit son chemin, traverse cuisines et vérandas, cherche dans les vestibules de nouveaux passages, et il n'y a pas de bonne ou de mauvaise porte, ce ne sont que des portes. D'aucuns parfois s'avisent qu'ils sont arrivés en des lieux bien différents de ceux où ils prévoyaient de se rendre.
Il est le madrier aux angles mal dégrossis et tordu, trop fragile pour porter quoi que ce soit.
Onni grimpe sur la pile de planches et monte sur le toit.
La cadence revient vite. Un coup - deux - trois - nouveau clou - un coup - deux - trois - déplacement. Comme si ses idées s'étaient envolées, comme s'il ne restait plus qu'un homme au travail et le travail de cet homme. Le monde entier n'est plus qu'une béance blanche balayée par la bise et un toit en construction. Rien d'autre que la table d'un marteau et la tête de clous avides de ses coups. Tout ce qui importe, c'est de savoir si le clou va s'enfoncer en deux coups ou en trois, rien d'autre. Onni ne voit ni le soleil livide, ni le vent, ni la neige fraîche.
L’instant présent est le seul qui vaille. Demain n’existera peut-être pas.
Et rien ne soude comme la peur de mourir. Quand vous êtes allongés ensemble dans un trou d’obus et que vous entendez monter le cri d’attaque de l’ennemi. Quand, au beau milieu d’un marais, vous voyez une centaine d’hommes se lever ensemble sur la lande en face de vous et lancer la contre-attaque. Quand vous voyez sauter l’arrière du crâne du fiancé de votre voisin Marjatta et que sa cervelle est projetée sur les bouleaux nains et les buissons d’airelles. Quand vous sentez sous le feu roulant votre merde couler le long de vos cuisses. Quand tout vous est indifférent. Quand vous ne voyez plus rien. À l’intérieur de chaque homme il y a tant de cris prisonniers.
Sa voix se déploie comme un rouleau infini, tantôt aigu, tantôt grave. Sans mots. Sans idées. La souffrance à l'état pur, la souffrance qui lacère.
Lahja ouvre la bouche, mais ne trouve pas les mots justes. Avec lesquels elle pourrait dire que parfois il fait seul, il fait froid, il fait noir.