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Citation de Danieljean


DES OMBRES étranges se mouvaient sous mes yeux, ondulant comme les fantômes multicolores d'un univers lointain et plaisant. L'eau éclaboussée de soleil était paisible, à quelques centimètres de mon visage.
Je glissai doucement un bras sous la surface, observant les petites vagues paresseuses provoquées par ce geste. Clignant des yeux, je contemplai les profondeurs. Oui, cette grosse pierre... C'était là qu'il vivait — et voici qu'il sortait pour venir me saluer ! Je laissai distraitement glisser ma main le long du flanc du poisson immobile ; seules ses nageoires s'agitaient légèrement.
Nous étions de vieux amis et je venais bien souvent lui apporter à manger, avant de le caresser. Nous nous comprenions comme seuls peuvent le faire deux êtres qui ne se craignent pas. A cette époque, je ne savais même pas que les poissons étaient comestibles ! Les bouddhistes ne prennent pas la vie des autres, n'infligent pas la souffrance.
J'aspirai profondément et enfonçai ma tête sous l'eau, avide de contempler de plus près un autre univers. Je me prenais presque pour un dieu inspectant une forme de vie très différente. Un courant invisible agitait lentement de grands feuillages, des plantes aquatiques se dressaient comme les arbres géants d'une forêt. Un chemin de sable sinueux ressemblait à un serpent, entre des plantes vert pâle qui évoquaient à s'y méprendre une pelouse bien tondue.
De tout petits poissons multicolores, à grosse tête, passaient comme des éclairs, allant et venant entre les plantes pour chercher leur nourriture, ou s'amuser. Une énorme limace d'eau glissa lentement le long du rocher gris afin d'aller nettoyer le sable.
Mais j'étouffais déjà ; le soleil de midi me brûlait la nuque, les cailloux pointus de la berge me déchiraient la poitrine. Jetant un dernier coup d'oeil autour de moi je me redressai pour aspirer profondément l'air embaumé. Là, dans MON univers, tout était bien différent de ce monde paisible que je venais d'examiner. L'animation et le bruit y étaient maîtres. Titubant un peu, à cause d'une blessure à la jambe gauche, je m'adossai à un vieil arbre de mes amis et regardai à droite et à gauche.
Le Norbu Linga n'était qu'un éclaboussement de couleurs, le vert vif des osiers, l'or et l'écarlate du Temple de l'Ile, le bleu profond du ciel et le blanc pur des nuages légers venant de l'Inde par-dessus les montagnes. Les eaux calmes du lac reflétaient ces couleurs en les intensifiant et lorsqu'une brise vagabonde provoquait un friselis, les images se brouillaient. Ici, tout était paisible, mais je savais qu'au-delà du mur il en était autrement.
Des moines, en robe couleur de rouille, portaient des piles de linge à laver, d'autres, penchés sur le ruisseau étincelant, tordaient, battaient et rinçaient leurs vêtements afin qu'ils fussent bien propres. Les têtes rasées luisaient au soleil et, tandis que le jour avançait, les crânes rougissaient. De petits acolytes récemment accueillis à la lamaserie s'acharnaient sur leur linge avec de gros cailloux ronds afin de l'user, pour donner l'impression qu'ils portaient ces robes depuis longtemps !
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