Les dominants ont deux méthodes éprouvées pour les personnages historiques dérangeants. Soit ils sont purement et simplement ignorés, en toute connaissance de cause : c'est la méthode la plus courante. (...) Si l'on ne peut faire autrement, dans la mesure où leurs voix sont parvenues à trouver un écho, ou bien s'il apparait opportun de s'en servir dans la recomposition du consensus, on les recouvre d'une glose de commentaires qui les statufient dans la pose la plus adéquate au service de la fabrication du consentement.
Deux mots viennent enrichir mon vocabulaire français au cours de ces premiers jours: "pagaille" et "se débrouiller".
Quand on replace l'histoire dans son contexte, elle paraît totalement improbable. Elle commence en juin 1940, avec l'invasion de la France par la Wehrmacht; dès lors, l'Allemagne nazie tenait sous sa coupe la plus grande partie du continent européen, de la Pologne jusqu'aux Pyrénées. Le gouvernement Pétain nouvellement installé avait signé un armistice abject avec Hitler. Par l'article 19 de ce document, la France s'engageait à livrer aux allemands, à leur demande, tout individu n'ayant pas la nationalité française et résidant sur le territoire. Dès qu'ils furent au pouvoir, et bien avant l'holocauste, les nazis n'eurent de cesse de récupérer et de liquider systématiquement leurs opposants les plus marquants et les plus détestés, qu'ils fussent juifs ou non.
Aucun, ai-je besoin de le dire, ne s'est montré indigne de notre confiance. Tous savent, encore mieux que nous peut-être, la véritable valeur de la démocratie. Car il leur est arrivé de la perdre, et ils ne l'ont retrouvée qu'au prix de bien des souffrances.
Bien sûr, Fry n'a pas de secret pour nous, lui a dit l'officier allemand. On sait qu'il cherche à aider nos ennemis politiques à s'évader. Ça ne nous inquiète pas. Nous sommes sûrs qu'il n'y arrivera pas.
Impossible de résister à pareil défi, je suis bien décider à prouver le contraire.
Au moins un, Hein Behrendt, a donné sa vie pour l'Amérique: il a été tué dans l'attaque sur Biak, dans le Pacifique sud.
Des tas travaillent pour le gouvernement. Parmi eux figurent Franzi, Lena et André Breton. D'autres ont des postes dans des usines d'armement. Certains sont déjà rentrés dans leur pays, pour y reprendre le combat sur la démocratie: Randolfo Pacciardi, du parti républicain italien, Giuseppe Modigliani, du parti socialiste; Emilio Lussu et Albert Ciana, du parti d'Action pour ne citer qu'eux. D''autres ont l'intention de repartir dès qu'ils auront obtenu un visa. Parmi eux se trouve Bedrich Heine. Comme beaucoup d'autres Allemands sociaux-démocrates, il attend impatiemment le jour où il pourra rentrer dans son pays pour y rebâtir la démocratie.
Peut-être que tous n'ont pas mérité les efforts que nous avons fait pour eux. Certains sont morts; d'autres ont été handicapés au vrai sens du terme, et à vie par ce qu'ils ont subi. Mais, comme le dit Beamish, il fallait que nous les ramenions tous. Du moins devrions-nous essayer.
Aucun, ai-je besoin de le dire, ne s'est montré indigne de notre confiance. Tous savent, encore mieux que nous peut-être, la véritable valeur de la démocratie. Car il leur est arrivé de la perdre, et ils ne l'ont retrouvé qu'aux prix de bien des souffrances.
Nous avons fait l'erreur terrible de les juger en fonction de nos propres critères sans nous rendre compte, alors que la guerre avait déjà éclaté, à quel point ils avaient renoncé à ces critères, si tant est qu'ils y aient jamais adhéré.
(à propos des nazis)
La chute de la France, en juin 1940, ne représentait pas seulement la défaite de la nation française; cela voulait dire aussi la création du plus gigantesque piège humain de l'histoire.
J'aimerais clore ce livre comme un roman victorien, en vous disant finalement ce qui est arrivé à tous les personnages de mon récit. Mais je ne le puis, non seulement parce qu'ils sont beaucoup trop nombreux, mais aussi parce que je ne sais pas moi-même, pour beaucoup, ce qu'ils sont devenus.
Il y a des choses tellement épouvantables que l'honnête homme ne peut y croire, tellement monstrueuses que le monde civilisé recule, incrédule, devant elles. Les bruits récents sur l'extermination des Juifs dans l'Europe nazie sont de cet ordre.