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Citation de Woland


[...] ... Déjà, à l'époque, avant la guerre, il était évident qu'Hitler avait triomphé de dix pays d'Europe occidentale presque sans effort, que l'énergie de ses troupes n'avait presque pas été entamée. D'immenses armées terrestres étaient concentrées à l'est de l'Europe. Sans cesse, de nouvelles configurations politiques et militaires provoquaient de nouveaux débats. La radio avait transmis la déclaration d'Hitler selon laquelle selon laquelle le sort de l'Allemagne et du monde était fixé pour mille ans.

En famille, dans les maisons de repos, dans les entreprises, on parlait guerre et politique. L'heure de la tempête avait sonné : les événements du monde s'étaient mêlés au destin de chacun, avaient fait irruption dans la vie des gens et on ne prenait plus de décision concernant les vacances d'été à la mer, l'achat de meubles ou d'un manteau d'hiver sans consulter les communiqués de la presse militaire, les discours et les études publiés dans les journaux. Les gens se disputaient souvent, remettaient en question leurs relations. On se disputait surtout au sujet de la puissance de l'Allemagne et de l'attitude à prendre envers cette puissance.

A cette époque, le professeur biochimiste Maximov était revenu d'une mission scientifique. Il avait été en Tchécoslovaquie, en Autriche. Strum n'avait pas de grande sympathie pour lui. Cet homme aux cheveux blancs, aux joues rouges, aux gestes onctueux et à la voix douce lui semblait timide, veule, une bonne âme. "Avec son sourire, on peut obtenir du thé gratis," disait Strum, "deux sourires pour un verre."

Maximov avait fait un exposé dans une petite réunion de professeurs. Il n'avait presque rien dit sur le caractère scientifique de son voyage mais avait parlé de ses impressions, de ses conversations avec des savants, avait décrit la vie dans les villes occupées par les Allemands.

Comme il parlait de la situation de la science en Tchécoslovaquie, sa voix s'était mise à trembler, et il avait poussé un cri :

- "On ne peut pas raconter ça, il faut le voir ! Les gens ont peur de leur ombre, de leurs collègues de travail, les professeurs ont peur de leurs étudiants. La pensée, la vie intérieure, la famille, l'amitié, tout est sous le contrôle du fascisme. J'avais un camarade qui avait fait ses études avec moi, nous avions bûché à la même table les dix-huit synthèses en chimie organique, cela fait trente ans que nous sommes amis, eh ! bien, il m'a supplié de ne pas lui poser de questions. Il était terrorisé à l'idée que je puisse me servir de son récit et que la Gestapo le reconnaisse même si je ne révèle ni son nom, ni sa ville, ni son université. Le fascisme sévit dans la science. Ses théories sont effroyables , et demain, elles deviendront de la pratique. Elles le sont déjà d'ailleurs. Car on y parle sérieusement de sélection, de stérilisation, et un médecin m'a raconté qu'on avait tué des malades mentaux et des tuberculeux. C'est l'anéantissement total des âmes et des esprits. Les mots "liberté", "conscience morale", "compassion" sont traqués, il est interdit de les transmettre aux enfants, de les écrire dans les lettres privées. Voilà comment ils sont, les fascistes ! Qu'ils soient maudits !"

Ces dernières paroles, il les avait criées ; puis, prenant son élan, il avait donné un puissant coup de poing sur la table : on eût dit un matelot de la Volga fou de rage et non pas un professeur à la voix douce, à la tête blanche, au sourire agréable.

Son exposé avait produit une forte impression. Strum avait dit :

- "Ivan Ivanovitch, vous devez noter vos observations et les publier, c'est votre devoir ..."

Quelqu'un avait dit alors, prenant le ton d'un adulte qui s'adresse à un enfant :

- "Tout cela n'est pas nouveau et ce n'est pas le moment de publier des souvenirs de ce genre : nous avons intérêt à consolider la politique de paix et non pas à la fragiliser.*"

* : Pendant la période entre la signature du pacte Molotov-Ribentropp et l'agression allemande, le 22 juin 1941, la presse soviétique avait cessé de traiter l'Allemagne nazie de fasciste et accusait au contraire les Alliés d'avoir déclenché une campagne de haine. L'Allemagne était désormais présentée comme un pays agressé auquel l'Union soviétique devait apporter son soutien. Dans ce contexte, toute déclaration anti-allemande devenait dangereuse.... [...]
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