"Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l'écheveau du temps lentement se dévide !"
(Baudelaire)
Honnêtement, je ne m'attendais pas à ça. En général, j'ai du mal à me positionner clairement par rapport au théâtre absurde, la surprise a donc été grande. C'est vraiment excellent, et une fois n'est pas coutume, on n'a aucun mal à visualiser une pièce dramatique seulement en la lisant.
"Largo desolato" a été écrit en juillet 1984, un an et demi après la libération de Havel de prison, et son concept semble presque emprunté des premières pages de "Procès" de Kafka, même si l'esprit de la pièce est différent.
Une fois de plus, "Largo" est lié aux péripéties de Havel face au régime totalitaire. Le dramaturge n'a jamais nié que certaines situations ou personnages de ses oeuvres sont autobiographiques, et même ici, n'importe quel lecteur moyennement informé peut aisément superposer Leopold Kopřiva avec son créateur, ou le ménage de Kopřiva avec l'intimité de Václav Havel. Mais Havel a toujours réfuté une identification absolue : "Si on me confondait avec Kopřiva, j'aurais protesté. Ma situation n'est pas, du moins je l'espère, aussi mauvaise que la sienne... Kopřiva est tout au plus mon cauchemar le plus terrifiant qui montre de quelle façon je pourrais un jour finir moi-même".
Nous avons là une comédie impitoyable sur l'effondrement progressif d'un intellectuel exposé aux forces destructrices, tant intérieures qu'extérieures. L'image d'un dissident à genoux, en train de prier le représentant du régime répressif de déployer son pouvoir et mettre fin à sa situation insoutenable n'est pas agréable au lecteur, et ne doit pas l'être. Le fait de prêter quelques traits à son personnage était pour Havel une sorte de thérapie, et en même temps une preuve de sa capacité d'autodérision, doublée d'un indéniable culot.
Leopold Kopřiva est un philosophe qui va par son oeuvre et son attitude à l'encontre de l'idéologie totalitaire. Élu malgré lui comme figure principale de l'opposition et "sauveur de la nation", il est placé en permanence sous la pression des exigences et des expectations de ses proches, mais aussi de parfaits inconnus. Mais Kopřiva n'est pas un surhomme capable de porter sur son dos tout le poids du monde ; il succombe à la faiblesse et à la peur comme n'importe qui d'entre nous aurait succombé, et plutôt que de rester un héros admiré et synonyme d'espoir, il désire avant tout qu'on lui fiche la paix. Son esprit est dévasté par l'incertitude : il peut être emmené par "eux" à n'importe quel moment, mais il est tout aussi possible qu'"ils" décident de le laisser tranquille. Finalement, cette incertitude incessante est bien plus épouvantable que n'importe quelle sanction concrète de "leur" part.
Leopold a toute notre compassion. Sa position de départ est plus innocente, et au final cent fois pire que celle de Staněk dans "Pétition". Ses accès de paranoïa sont compréhensibles, sous la pression de forces contradictoires. Nécessité de garder la prudente lucidité d'un côté, et l'opinion publique, qui peut devenir une arme très efficace, de l'autre...
Reste la question en quoi le "Largo" est toujours actuel. Depuis les temps de l'antique bouc émissaire, sur lequel nos ancêtres chargeaient leurs péchés, afin qu'il les emporte quelque part où ces fautes disparaîtront avec lui, les choses n'ont guère changé. Et on a toujours tendance à lester certains "héros" par un poids plus grand qu'on ne voudrait porter nous-mêmes, et quand ils commencent à tituber sous la charge, on n'hésite pas à montrer notre mécontentement, et finalement on les condamne.
La fin de la pièce est extraordinaire. Elle montre parfaitement le sadisme du pouvoir répressif des régimes totalitaires. "Vous serez probablement obligé". Telle est la phrase qui sonne dans le contexte de la pièce de façon particulièrement sinistre et cruelle. La dévastation d'une existence humaine menée ad nauseam à moindre effort et avec une élégance suprême. Si cela vous rappelle des situations réelles, c'est évidemment une simple coïncidence.
Dialogues répétitifs, interminable et impuissante attente, tout cela rappelle un peu le "Godot" de Beckett. Mais les protagonistes de Beckett perdent leur temps en attendant les meilleurs lendemains apportés par Godot ; celui de "Largo desolato" ne sait pas ce qu'il doit attendre, et les figures kafkaïennes qui l'entourent l'entrainent lentement à l'apogée de la désolation. Efficace et absurdement raffiné. 5/5
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Les "lettres à Olga", écrites en prison entre 1979 et 1983, c'est pas du gâteau! Vaclav Havel, qui n'avait que ce moyen pour s'exprimer, et encore dans un cadre très limité, n'y parle pratiquement pas de sa vie quotidienne. Il réfléchit tout haut sur ce qui est important pour lui dans la vie. Politique et théâtre sont présents mais discrets. Il s'agit plutôt pour l'auteur de définir et discuter les valeurs qui lui sont chères et pour lesquelles il a même accepté de se retrouver en prison : la volonté de préserver son identité et son humanité. L'écriture est très dense et parfois hermétique. Mais le lecteur persévérant est largement récompensé par de grands moments. Kafka s'auto-détruisait d'une lettre (à Milena) à l'autre. L'un de ses plus grands admirateurs fait tout le contraire : il fait des efforts constants pour apprendre et continuer à se developper dans une situation qui a pour but de le briser. Un fantastique témoignage par l'une des grandes figures du 20ème siècle.
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J'ai emporté ce livre pour un voyage printanier en Bohème sur le thème "Au-tour de Prague". J'ai beau être un admirateur de Havel, comme écrivain, homme politique, homme tout court, je n'avais pas trouvé le courage (?) de lire à la maison ce livre qui regroupe 17 discours du nouveau président. Et là, le miracle s'est produit. A raison de deux discours par jour, j'ai revécu la période concernée - de décembre 1989 à janvier 1991 - de manière intense. Quel bonheur ! Et tant pis si Havel était trop optimiste, voire naïf. Il n'était pas le seul à l’époque ! Cependant, bien peu ont su formuler de manière aussi précise les rêves, les espoirs, les difficultés et les peurs qui ont suivi la révolution de velours en Tchécoslovaquie et dans le "bloc de l'est". Une grande leçon d'histoire et d'humanité. Pour ne pas dire d'humilité, car enfin qui a succédé à Gandhi, Mandela, Obama... et Havel ???
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Trois pièces en 1 acte. Féroces, drôles et pas si absurdes que ca. Quel dommage que ces petits chefs d'oeuvre du futur président tchécoslovaque ne soient pas jouées plus souvent. Elles n'ont en effet rien perdu de leur actualité. On se prend parfois à rêver en découvrant des similitudes innatendues entre la dictature communiste et notre système actuel, démocratique, globalisé...
Le fait de les avoir lu en allemand complique un peu les choses (pour les citations par exemple) mais est historiquement correct : ces textes écrits en tchèque ont été pour la première fois édités en allemand (en Allemagne) et les pièces jouées dans cette langue (en Autriche).
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Une critique en hommage à Vaclav Havel qui s'est éteint dans la nuit.
Je vous engage à découvrir l'auteur dramatique, amoureux de Beckett, son théâtre engagé ET ironique (dimension que l'on a souvent tendance à oublier), ironie héritière d'un Kafka, bien sûr.
N'érigeons pas Vaclav Havel en légende, mais transmettons l'image d'un homme engagé, courageux, capable d'autocritique, initiateur avec ses amis de "La révolution de velours", qui a, à l'heure où chacun commente et critique événements bien à l'abri derrière son écran, payé physiquement de 5 années de prison la fidélité à ses idées.
Pour ma part, si je respecte et ai toujours admiré l'homme politique "à son insu" qu'il était devenu, je chéris particulièrement l'homme de théâtre, lieu de toutes les subversions.
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Publié le 13 12 2020 par IRESMO ( institut de recherche sur les mouvements sociaux ) : Notre société se caractérise , avec l'ère de la post-vérité , par une augmentation de " la vie dans le mensonge " . Le mensonge n'est plus une stratégie politique possible , il est devenu , pour certains dirigeants politiques la manière même de gouverner . Or en éthique , on peut constater que lorsque les dirigeants en manquent , cela a tendance à se répandre dans l'ensemble de la structure sociale .
Pour Vaclav Havel , le ou la dissidente était celui ou celle qui refusait la " vie dans le mensonge " au profit de " la vie dans la vérité " . de ce fait , le ou la dissidente est celui ou celle qui publiquement refuse le mensonge et proclame publiquement la vérité .
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Espoir ? Espérance ?
Il est des moments de la vie où l'on se trouve dans une situation où tout semble déraper, rien de ce que l'on espère ne paraît devoir se réaliser, des actions pourtant répétées, peut-être même acharnées n'aboutissent.
Ce mot « Espérance » me désespérait justement,
Espérance, ce « mot- clé » pour certains auteurs, justement je n'en avais pas la clé - pas encore.
Et puis, ce petit paquet blanc est arrivé sur mon bureau, je l'ai déballé sans empressement mais avec néanmoins une petite pointe de curiosité. J'ai regardé rapidement la couverture en noir et blanc puis tourné les pages jaunies de ce livre d'occasion envoyé tout serré dans son plastique d'emballage blanc sans petit mot d'accompagnement, voilà, seul, tout serré.
Les premières lignes m'ont interpellée : du vécu sans fioriture, des questionnements, l'absence de réponses, un fil à suivre. Je me suis arrêtée. J'ai refermé le livre et,
ce regard, ce regard posé, cette proximité, cette sensation étrange d'un regard direct, posé, presqu'une promesse avec ce titre « Il est permis d'espérer ».
Souligné de blanc, ce nom, sa musicalité avec ses multiples V, résonne de souvenirs. Je pense que ce regard était déjà avec moi il y a plus d'une vingtaine d'années dans un amphi de l'école de médecine de Tours lorsqu'il fallait bûcher sur une magnifique citation sur le langage de Vaclav Havel pour décrocher mon concours.
Je suis presque émue de le retrouver aujourd'hui, et surtout intriguée par la suite.
Donc, revenons-en à l'Espérance. Quand tout se dérobe sous nos pieds, on n'a qu'une envie celle de pouvoir saisir ne serait-ce qu'une brindille, enfin quelque chose d'un peu solide, réel, pour se retenir, se ressaisir, souffler et peut-être après, penser pouvoir un jour recommencer à grimper, à oser. Alors même ne serait- ce qu'un mot, le saisir, le serrer très fort entre ses dents, se le répéter comme un mantra. Ce mot « Espérance » n'est pas un terme littéraire de plus, peut-être quelque chose d'intime, à l'intérieur de soi, lié à au sens que nous donnons à la vie, « un état d'esprit indépendamment de la situation »
Et si c'était plus que cela ? Quelque chose de plus mystérieux, de plus grand ?
Vaclav Havel, après les années de prison et d'interdiction de parole nous transmet presque d'une voix prophétique les quelques mystères qu'il en a perçus.
« Cependant, dans son essence la plus profonde, elle – l'espérance- ne vient pas du monde qui nous entoure. Sa source véritable n'est donc pas l'objet qui l'a fait naître ou qui l'a mise en mouvement. L'espérance ne tire pas sa sève nourricière de l'objet qu'elle a pour support. Ce serait même l'inverse : l'espérance vivifie son objet, elle lui infuse une vie, elle l'illumine.
Mais alors, si l'espérance n'est pas un pur produit du monde extérieur, d'où la tirons-nous ?
L'unique explication de l'espérance véritable tient à notre certitude profonde…que la vie sur terre n'est pas un événement aléatoire au milieu de milliards d'autres événements cosmiques eux aussi aléatoires et promis à une disparition totale, mais qu'elle est une partie intégrante, ou un maillon, fut-il microscopique, d'un grand et mystérieux ordre de la vie dans lequel tout a sa place unique, où rien de ce qui est arrivé ne peut être effacé, où tout s'inscrit à jamais.
Oui, seul notre sentiment de l'infini et de l'éternité, qu'il soit intuitif ou raisonné, peut expliquer ce phénomène non moins mystérieux qu'est l'espérance. »
Que chacun puisse y puiser de la force.
"l'Espérance, ce n'est pas la conviction qu'une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose a un sens, quoi qu'il advienne."
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Le pouvoir des sans-pouvoirs est un énième livre sur la dictature et les régimes totalitaires et leur emprise sur la société, écrit par une figure politique majeure de la République tchèque : Vaclav Havel, président de la Tchécoslovaquie en 1989, puis de la République tchèque entre 1993 et 2003, figure d’opposition durant la mainmise soviétique sur l’Europe de l’Est, signataire de la Charte 77.
Dans cet essai, il décortique la méthode avec laquelle un régime muselle la société, dont la perte de dynamisme contribue à l’inertie de tous, où tout un chacun finit par être une composante de la clef de voûte d’un système politique où la liberté de penser n’existe plus, et où l’horreur ne provoque plus aucune réaction.
La pertinence de ce texte pourtant écrit en 1978 est décoiffante et carrément effrayante ; Havel affine sa description d’une dictature loin des schémas classiques de répression violente, mais ne laissant au contraire aucune place à l’improvisation, obsédée par la mise en place d’une idéologie aux rituels précis, et dont les infidélités sont punies et dûment documentées par une bureaucratie tentaculaire. Les individus développent peu à peu une capacité d’adaptation à ces rituels communs, enfouissant leurs convictions personnelles sous cette chape de plomb conformiste, au détriment de leur identité et de leur capacité de réflexion.
Et en guise de conclusion joyeuse, l’auteur de nous rappeler que les démocraties occidentales sont loin d’être hors de portée de cette sourde crise de l’identité : « Rien, en effet, ne permet de croire que les démocraties occidentales, à savoir les démocraties parlementaires traditionnelles, offrent une issue plus sûre. On pourrait même dire que, si elles ouvrent plus d'espace pour les vraies intentions de la vie en comparaison avec notre système, elles cachent mieux la situation dans laquelle l'homme se trouve et le plongent d'autant plus profondément dans la crise. »
Que de belles perspectives !
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Une interview témoignage qui reste très lisible d'un grand acteur/auteur du XXème siècle.
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J'ai lu ce livre il y a quelques années déjà. Avec notre troupe, nous avons failli jouer cette pièce qui n'avait hélas pas reçu la majorité. Et pourtant, quand on replace ce texte dans son contexte, on ne peut qu'être fasciné par celui-ci. J'admire le dramaturge et l'homme pour avoir contribué grandement à la révolution de velours.
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Principaux discours du président « de transition », Václav Havel, entre le 16 décembre 1989 et le 15 mars 1990. Sur les actuels territoires de la République tchèque et de la Slovaquie.
Ce(s) pays, entre La Révolution roumaine de 1989 et l’effondrement du mur de Berlin.
D’un régime totalitaire, en passant par la Révolution de velours (« révolution tranquille »), à la constitution d’un gouvernement « démocratique », dans ce livre, ses Discours passent rapidement des grands rêves et idéaux aux craintes et tentatives d’apaisement des populations.
Vous me direz: « mais ça date tout ça! ». Je vous répondrais: « les régimes totalitaires sont toujours aussi actuels ». D’où l’intérêt de s’y pencher sérieusement; de prendre conscience des extrêmes difficultés et traumas de ces régimes; et d’exigez que nos gouvernements et nous-mêmes cessons de mettre nos revenus monétaires au-dessus de tout, au détriment d’appuis à ces régimes.
Je pense aux appuis, via d'importants contrats, économiques du Canada avec la Chine et à l’Arabie saoudite, ou encore, du Québec avec l’Algérie de ce début du siècle.
Oubliez l’aspect trop pro-États-uniens et pro-Bush de cet auteur. Que ce volume et ces Discours nous servent de mémoires pour nos actions en cours…
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