Maintenant je le sais : ma place n’est pas ici, parmi mes semblables. Tout comme le loup, je suis une espèce indomptée, recluse, en voie d’extinction.
— Crôa ! dit le premier corbeau. Reginn le savait bien, tu n’avais aucune chance d’en réchapper vivant.
— Crôa ! dit le second corbeau. Te voilà victorieux, pourtant. — Crôa ! reprit le premier corbeau. Tu vas mourir seul dans le froid et la neige, et pour quoi, finalement ?
— Crôa ! reprit le second corbeau. Pour gagner un bijou plus important que toi aux yeux de ton tuteur. Quelle ironie, vraiment ! — Crôa ! termina le premier corbeau. Il mériterait mille fois de subir ton destin… — Crôa ! fit en écho le second corbeau. Mille fois…
Ceci est l’histoire d’une révolution. Ma révolution. Je ne parle pas d’un coup d’état en armes, évidemment, mais d’une révolution personnelle, intime, discrète. Un grand homme du passé a dit un jour : « Sois le changement que tu voudrais voir dans le monde. » Alors me voilà, à écrire mes mémoires afin de raconter comment je suis devenu tel que j’étais censé l’être depuis toujours. Il me fallait juste le déclic.
Ma maman m’a appris la politesse, vous savez. Entretenir son hôte. Rien de plus triste qu’un homme sans conversation, qu’elle disait toujours.
Je me retrouvai dans un blizzard de tous les diables. La température avait drastiquement chuté, sans compter la morsure glaciale du vent. Je n’avais jamais connu un tel froid. « Froid » est même un mot bien trop faible pour décrire cette sensation pénétrante et tétanisante. Je n’y voyais pas à deux pas devant moi, et je n’entendais que le hurlement du blizzard dans mes oreilles.
Ne crions pas victoire trop vite. Les hurlements d’un loup peuvent porter jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres, surtout en forêt.
À l’époque, le loup, bien qu’en déclin, parcourait encore les vastes plaines. Je n’avais pas remis les pieds ici depuis trente ans, depuis le Grand Exode Rural, et de retrouver une Nature si terne, si vide, si endommagée, me fit froid dans le dos. Nous étions probablement les premiers êtres humains à fouler cette terre depuis un long moment.
Tout ce que je demande, c’est de faire partie de l’expédition pour être aux premières loges lorsque vous découvrirez le loup. Considérez-moi comme un mécène philanthrope dont l’ambition est de faire avancer la science et l’écologie. Et qui a les moyens de mener à bien ses projets.
J'ai pitié de ces morts, trépassés par ma main.
Ils n'ont comme seul tort d'être sur mon chemin.
Notre république se targuait de nous offrir la liberté. Mais quelle liberté, au juste ? Celle de choisir le nom du tyran qui nous exploitera pour les années à venir ? Celle de travailler, de consommer, de fermer sa gueule