Vincent Gessler ?
Cygnis .
A l?occasion des Utopiales 2013 à Nantes,
Vincent Gessler présente son livre «
Cygnis » aux éditions de L?Atalante. Pour en savoir plus : http://www.mollat.com/livres/gessler-vincent-
Cygnis-9782841724994.html Notes de musique : treasureseason, Return to Dope Mountain, Fjords ®
Je les haïssais comme on hait sa tumeur, conscient que je perdrais mes meilleures années sans échappatoire. Je devais conserver le souvenir, une flamme vivante, dense et étincelante : moi.
Le deuil s'enracine sur cette terre où nous marchons, toujours en rond. Il y a quelque chose d'irréductible dans la déchirure de la perte, dans l'amour blessé qui ne veut plus se découvrir. Une amertume qui en appelle aux larmes, aux mots muets, aux mots hurlés. Notre existence se joue ici, entre ces valeurs inventées par nos pères et celles que nous apprenons.
Les hivers sont passés sur le monde, et les étés. L'être humain est mort par milliers, par millions il a gorgé la terre de son sang. Il a dominé le feu du ciel, puisé celui de la terre, asséché les mers et aux enfants de ses enfants offert toutes les larmes.
Il reste les cicatrices qui s'ouvrent à la surface des déserts, les rides au flanc des montagnes, les immenses coquilles fanées au bord de l'eau. Le vent joue dans les failles, la pluie remplit les cratères de lacs. Et au cœur des forêts profondes les rayons du soleil jouent avec les brumes, l'aube s'enroule entre les arbres.
La mémoire s'estompe, les vies passent, les noms se perdent dans l'oubli: on invente des histoires.
Un homme devient héros.
Les paroles crépitent au coin du feu, les noms changent, comme les mots. De bouche à bouche, de murmure à murmure, l'histoire se transforme en légende.
Le héros devient titan.
Les contes se déclinent et s'écoutent en silence. Il ne reste des origines qu'un squelette blanchi par les mots.
Un rêve.
Une histoire.
"Toi et moi, nous avons perdu la capacité de croire ces récits à force de traverser le monde. On a entendu tellement d'histoires qu'elles s'accumulent et perdent de leur sens. Nous sommes trop conscient des hommes qui les ont inventées.
Mais pour ceux de Méandre, pour les troglodytes qui vivent dans les cavernes de Sinna, pour tous les habitants des villages que nous avons croisés, les croyances permettent de ne pas oublier qu'il s'est produit quelque-chose de terrible il y a longtemps.
Chacun a gardé au fond de lui les peurs de ses ancêtres et il tente de les conjurer.
Toi et moi, nous avons perdu la capacité de croire ces récits à force de traverser le monde. On a entendu tellement d’histoires qu’elles s’accumulent et perdent de leur sens. Nous sommes trop conscients des hommes qui les ont inventées. Mais pour ceux de Méandre, pour les troglodytes qui vivent dans les cavernes de Sinna, pour tous les habitants des villages que nous avons croisés, les croyances permettent de ne pas oublier qu’il s’est produit quelque chose de terrible il y a longtemps. Chacun a gardé au fond de lui les peurs de ses ancêtres et il tente de les conjurer.
Quoi qu'il arrive, l'humanité battra la machine en longévité, elle réinventera ce qu'elle a déjà créé, et en mieux peut-être. Il ne lui a pas fallu longtemps pour se regrouper, créer de nouvelles cultures, repeupler les bords de l'eau et les forêts. Mais il ne faut pas qu'elle retrouve trop tôt les formes technologiques qui ont abouti à sa destruction. Il lui faut la sagesse, apprendre du passé, ne pas oublier.
(P229)
( entretien de l'auteur avec Marguerite Yourcenar)
V.G : Auriez-vous aimé apparaître dans cette aventure aux côtés de Tessa, Rod, Ambre et Cléis ?
M.Y : Je ne suis pas certaine, je suis une dame d'un certain âge. ( Rire.) Disons que j'ai passé le temps de l'action. Je préfère les lentes méditations et le calme.
Entre les ombres titubantes, Syn se lève. Les hommes ne sont plus qu'un décor, la fumée noire d'un brasier. Il marche entre les braises palpitantes et en attrape une. Sa chevelure évoque les mille feux dorés de son enfer, les spirales sinuent jusque dans son cœur.
Mais je reste un guerrier, Syn. Ma lame n'a jamais cessé de trancher, des bêtes, du bois ou des hommes. J'ai appris l'honneur de la mort en apprenant le déshonneur, et, si je tombe, je l'ai mérité cent fois.
Nous avons conscience de ce que nous sommes et l'individualité assure la cohésion de notre esprit. Notre pensée, notre conscience se déploient grâce à la mémoire. Sans passé, nos personnalités n'existent pas. Nous sommes inscrits dans le temps. Nous avons grandi, mûri, appris, retenu, et nos souvenirs nous servent de point de référence à partir desquels nous jugeons, évaluons, décidons, agissons, devenons. Si l'on retire la mémoire, l'esprit n'est plus capable de se décider, d'être ni de relier les choses. Nous devenons aussi naïfs que des nouveau-nés sans défense, à la merci de la moindre suggestion. Mais surtout nous ne savons pas dans quel sens agir.
(P82)
Un silence pesant suit ces déclarations. Ils descendent de voiture avec des mines de gangsters, font claquer les portes et entrent dans l'estaminet italien. Une odeur de café moulu embaume l'air. George Clooney les accoste avec élégance, habillant son visage d'un sourire des plus mielleux.
"Vous désirez ?
- Tre espressi.
- Subito !"
George presse trois boutons, la machine glougloute et éternue avant de cracher un café noir et mousseux par les becs en inox.
"Ce qui donne au café toute sa saveur, c'est la manière dont il est oxygéné", dit George. Il dispose les sous-tasses puis les tasses pleines de café sur le comptoir en murmurant : "Sombre. Très intense. Équilibré. Unique. Mystérieux. Un corps puissant. Subtil et agréable..."
Il regarde ensuite les trois clients par en dessous.
"What else ?
- C'est tout, George. Merci."
George se détourne vers un antique poste de télévision qui passe en boucle une vieille série hospitalière.