Les Grands Débats - N
comme New York : Manhattan Stories
dimanche 23 septembre 2018 de 14h00 à 15h00
Vivian Gornick - Kristopher Jansma - Pierre Krause
Elle est à elle seule un véritable personnage de roman, un monde en soi, une métropole qui ne s'arrête jamais. Elle nous fascine et habite notre imaginaire, plus que toute autre ville. Que représente cette ville pour nos invités ? Qu'a-t-elle à leurs yeux de si particulier ? Comment écrit-on New York ? Chacune ou chacun possède-t-il sa version personnelle de cette ville ? Itinéraire en compagnie de trois auteurs dont les livres ne pourraient en aucun cas se dérouler ailleurs
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Il existe deux sortes d’amitié : celle où l’on se remonte mutuellement le moral, et celle où il faut avoir le moral pour voir l’autre.
Elle se détourne et, avec le tranchant de la main, fend l'air de son geste habituel de démission.
"Laisse-moi tranquille",dit-elle avec un tremblement de dégoût profond.
Je la regarde battre en retraite. Cette manière de faire semblant de se désintéresser : ce sera la dernière chose qui restera d'elle.
En réalité, ça la représentera à jamais. C'est son emblème, son idiome, ce qui la constitue à ses propres yeux. Ce geste, c'est son moyen de se différencier des bêtes, de s'élever au-dessus de la mêlée, de défaire le vrai du faux, de ne jamais prendre les choses à la légère, de toujours marquer un point. Tout à coup, sa vie presse sur mon coeur.
Par moments, ma mère posait dur moi un regard vitreux et se mettait à prononcer mon nom d'un ton aigu en disant :"Tu es orpheline,maintenant, une orpheline!"Personne n'osait lui rappeler que selon la coutume juive,on est orphelin quand votre mère meurt, et seulement à moitié orphelin s'il s'agit de votre père. Peut-être qu'oser n'était pas le problème. Peut-être qu'en réalité, les gens comprenaient qu'elle ne parlait pas de moi,mais d'elle.Elle vivait la perte de manière si primaire qu'elle avait pris tout le chagrin pour elle. Le chagrin de nous tous.Elle était à la fois l'épouse, la mère, la fille.(p.70)
"Maman, si ce livre ne te plaît pas, ce n'est pas grave. Tu as le droit de le dire."
Elle me regarde d'un air inquiet, les yeux écarquillés, la tête à demi tournée vers moi. Tout à coup, elle est intéressée. Je reprends :
"Mais ne dis pas qu'il n'a rien à t'apprendre. Qu'il ne contient rien. Tu vaux mieux que ça, moi aussi, et le livre aussi. En disant ça, tu rabaisses tout."
Pendant dix ans après mes études j'ai cherché de toutes mes forces le Graal l'amour avec un grand A, le travail avec un grand T. Je lisais, j'écrivais puis je m'effondrais. dans mon lit. J'ai été mariée 10 minutes, j'ai fumé de la marijuana pendant cinq ans. Pleine d'entrain et de vie, j'ai arpenté les rues de NY et d'Europe. Mais rien n'allait jamais.
Se libérer des blessures de l’enfance est une tâche dont on ne vient jamais entièrement à bout, même au bord de la mort.
Le salon était empli d'une terreur monocorde, figée, irrespirable. Avant d'entrer, on prenait une profonde inspiration et on gardait l'air dans ses poumons jusqu'à étouffer, sortir ou sombrer. Dans la cuisine, il y avait du ton et du timbre, une ambiance électrique, des remarques qui partaient en flèche avant de redescendre en piqué. Il y avait du mouvement et de l'espace, de la lumière et de l'air. On pouvait y respirer. Vivre.
Mais,par dessus-tout,ce qu'offre la lecture,c'est un soulagement de notre chaos mental. Parfois ,j'ai l'impression que c'est la seule chose qui me donne du courage dans la vie,et ce depuis ma plus tendre enfance. (p.13)
Dans ces années-là, les femmes comme moi étaient qualifiées de Nouvelles, Libérées, Excentriques (je préférais quant moi le qualificatif d'excentrique, et c'est toujours le cas aujourd'hui). Dans les faits, j'étais nouvelle, libérée et excentrique à mon bureau dans la journée, mais le soir, allongée sur mon canapé à regarder dans le vide, ma mère se matérialisait sous mes yeux comme pour dire : "Pas si vite, ma chérie. Nous n'en avons pas encore fini toutes les deux."
"J'ai pris conscience que je lisais différemment. J'ai repris des livres, surtout des romans que j'avais lu et relus , et je les ai re-re-relus. Cette fois j'ai compris que quel que soient l'intrigue, le style ou l'époque, le drame qui se jouait dans l'oeuvre littéraire dépendait en réalité presque toujours du coté pernicieux de toutes nos divisions internes: la peur et l'ignorance que ca génère, la honte que ça cause, le mystère débilitant dont ça nous entoure."