Citations de Vladimir Korolenko (33)
- Je suis un homme perdu ! pensa Makar une dernière fois. Il résolut de s'exécuter sans plus attendre.
Il s'étendit sur la neige.
Le froid était devenu terrible. Les dernières lueurs de l'aurore boréale ne produisaient plus dans le ciel qu'un faible chatoiement qui vacillait; perçant les hautes cimes de la taiga, elles vinrent caresser Makar d'une fugitive clarté. De bien loin, de Tchalgane, arrivaient à peine jusque-là les derniers échos des cloches.
Pendant un instant, l'aurore flamba, atteignit sa plus grande intensité, puis s'éteignit. Les cloches se turent.
Et Makar rendit l'âme...
Et maintenant les images des Olympiens sont assombries et la vieille vertu a succombé. Qu’en résultera-t-il donc ? Ne faut-il pas d’un seul coup mettre fin à la sagesse impie ?
C’est ainsi que les sons constituaient pour lui la principale et immédiate expression du monde extérieur ; les autres sensations ne servaient qu’à compléter les impressions de l’ouïe, dans lesquelles, comme dans des moules, se fondaient toutes ses images.
Il est vrai qu’il avait juré par tous les dieux de ne pas dépenser cet argent, ce jour-là du moins, en eau-de-vie. Sa ferme et unique intention était pourtant de l’employer à cet usage, immédiatement. Mais que lui importait ? L’appétit du plaisir étouffait les scrupules de sa conscience.
La musique plane au-dessus des partis , elle réunit toutes les opinions .
L 'homme est un anneau de la chaîne sans fin des existences , qui se déroule ,en passant par lui , des profondeurs du passé vers l 'avenir infini .
Le fruit est plus rouge du côté qui reçoit le plus de la lumière ; toute la force de la vie ; toute la passion de la nature végétale paraît se concentrer en lui . Tu vois qu 'ici aussi la couleur rouge est la couleur de la passion , dont elle est,
du reste , le symbole . C 'est la couleur de la tendresse , de
l 'enivrement ..
La jeune cervelle de l 'enfant s 'enrichissait de nouvelles images ; grâce à l 'extrême finesse de son ouïe ,il pénétrait de plus en plus loin dans la nature qui l 'entourait .
Cela suffisait pour que le petit être aux beaux yeux morts fût devenu le souci exclusif de la famille ,un despote
inconscient dont le moindre caprice était une loi pour toute la maison .
Cette passion pour la musique était devenue le pivot de son
développement intellectuel ; elle remplissait et variait son existence .
En même temps que tu m 'as donné la conscience du malheur d 'autrui , tu m 'as fait reconnaître mon bonheur .Plaise à Dieu que je n 'oublie jamais ni l 'un ni l 'autre .
« — Voici, disait-elle, j’avais rassemblé tous mes effets et vendu la maison dont j’ai hérité, puis je suis partie pour aller rejoindre ma chère fille. Elle sera bien
contente, pensais-je. Elle me grondera un peu, sera irritée, je sais bien qu’elle se mettra en colère, mais tout s’arrangera. Elle m’a écrit, elle m’ordonnait de ne pas venir. En aucun autre cas, je n’aurais osé aller vers elle...
Eh bien cela ne fait rien. »
« C’était comme si quelque chose me frappait au cœur.
J’entrai à la cuisine : « Quelle est cette vieille ?» demandai-je à la servante. Elle me dit : « C’est la mère de la demoiselle que vous avez amenée. » Croyez-moi, je faillis tomber à la renverse. La jeune fille vit à mon visage qu’elle m’avait causé du chagrin, elle me demanda :
« Qu’as-tu donc ? — Plus bas, la demoiselle est morte. »
La petite amie de Pierre réunissait en elle tous les traits de ce type , qui
s'élabore rarement par l 'éducation : comme le talent ,comme le génie , il
n 'échoit qu 'aux natures d 'élite et se fait jour de bonne heure .
-Lève-toi, mon cher Makar, disait-il, et allons-nous-en.
-Et où aller ? demanda Makar avec humeur.
Du moment qu'il était mort, il pensait que son devoir était de demeurer tranquillement couché et qu'il n'avait pas besoin de se remettre en marche, d'errer de nouveau et de se perdre dans la taïga. Autrement, quelle nécessité y avait-il à mourir ?
-Allons chez le Grand Toyonne .
-Qu'irai-je faire chez lui ? demanda Makar.
-Il te jugera, dit le petit pope d'une voix affligée où trembla quelque attendrissement.
Et Makar se leva, tout en grognant entre ses dents. cela le fâchait que même après la mort on ne le laissât pas tranquille.
Un mois et deux jours s’étaient écoulés depuis que les juges, acclamés par le peuple d’Athènes, prononcèrent la sentence de mort du philosophe Socrate, accusé d’avoir détruit la foi aux dieux. Il était pour Athènes ce qu’un œstre est pour le cheval. L’œstre pique le cheval pour qu’il ne s’endorme pas et qu’il aille vaillamment son chemin. Le philosophe disait au peuple d’Athènes : « Je suis ton œstre, j’aiguillonne ta conscience, pour que tu ne t’endormes pas. Ne dors donc pas, veille et cherche la vérité, ô peuple d’Athènes ! »
Et le peuple, dans un accès de cruel dépit, voulut se délivrer de son œstre. « Il se peut que les dénonciateurs Mélite et Anite aient tort, disaient les citoyens en quittant la place après le jugement. Mais enfin que veut-il et où va-il ? Il fait naître les doutes, il détruit les opinions sanctionnées par des siècles, il parle des nouvelles vertus qu’il nous faut chercher et connaître, il parle d’une divinité qui nous est encore inconnue. L’audacieux, se croit-il donc plus sage que les dieux ?... Non, il vaut mieux que nous revenions aux anciens dieux familiers et bien connus ! Ils sont injustes parfois, il est vrai ; ils entrent dans des colères iniques, ils convoitent quelquefois les femmes des mortels. Mais n’est-ce pas avec eux qu’ont vécu nos ancêtres dans une parfaite tranquillité d’âme ; n’est-ce pas avec leur aide qu’ils accomplissaient leurs hauts faits ? Et maintenant les images des Olympiens sont assombries et la vieille vertu a succombé. Qu’en résultera-t-il donc ? Ne faut-il pas d’un seul coup mettre fin à la sagesse impie ? »
C’est ainsi que parlaient entre eux les Athéniens, en quittant la place à l’heure du soir voilée de bleu. Ils résolurent de mettre à mort l’œstre importun, dans l’espoir que dès lors les visages des dieux s’éclairciraient. Il est vrai que la douce image de ce drôle de philosophe surgissait parfois dans l’esprit des citoyens ; ils se souvenaient alors du courage avec lequel il partagea avec eux les peines et les dangers à Potidée ; ils se souvenaient également que lui seul réussit à détourner de leurs têtes la honte du châtiment injuste des chefs de l’armée d’Arginus ; — que lui seul osa élever la voix, sur les places publiques, contre les tyrans qui tuèrent quinze cents hommes, en questionnant sur les pasteurs et les brebis. « Qu’entendez-vous par bon pasteur ? disait-il. Celui qui multiplie et garde son troupeau ? Ou bien, les bons pâtres sont-ils appelés à diminuer le nombre de leurs brebis ; de même les bons administrateurs doivent-ils agir ainsi envers les citoyens ? Discutons cette question, Athéniens ! »
Et la question du philosophe, seul et désarmé, faisait pâlir le visage des tyrans et enflammer les yeux des adolescents du feu d’une honnête indignation et d’une juste colère...
Il se passa alors quelque chose d’extraordinaire. Makar, ce même Makar qui n’avait jamais pu dire plus de dix paroles de suite, sentit tout à coup sa langue se délier. Il se mit à parler, si bien qu’il en fut lui-même stupéfait. Il se dédoubla, pour ainsi dire, en deux Makar : l’un qui parlait et l’autre qui écoutait avec surprise. Il n’en croyait pas ses oreilles. Ses paroles coulaient avec aisance, fougueuses, ardentes. Les mots jaillissaient et couraient à l’envi se ranger en files longues, bien ordonnées. Makar ne perdait pas contenance ; s’il lui arrivait d’hésiter, il se rattrapait aussitôt et il criait deux fois plus fort. Mais l’important était qu’il sentait que son éloquence était persuasive.
Ce rêve a été fait par le pauvre Makar, par ce même Makar qui a dû aller là-bas, au diable vauvert, dans les contrées mornes et lointaines, pour y faire paître les bestiaux, — par Makar, le malchanceux, qui, au dire du proverbe, « reçoit toutes les pommes de pin sur sa tête. »
Le pays où il est né se nomme Tchalgane. C’est un petit village perdu et entièrement caché dans la taïga, dans ces forêts vierges et hyperboréennes du gouvernement de Iakoutsk. Les aïeux de Makar ont soutenu une guerre longue et sans repos contre la taïga, avant de réussir enfin à lui arracher un morceau de sa terre gelée, maigre conquête que le triste hallier continuait d’envelopper comme d’un mur impénétrable et ennemi. Mais ils ne perdirent pas courage. Des haies, des meules de foin et de blé s’élevèrent dans l’étroite clairière ; de basses yourtas, tout enfumées parurent, espacées les unes des autres ; enfin, tel un drapeau se développe et annonce la victoire, un clocher se dressa au sommet de la petite colline, au milieu du village : Tchalgane devint une grande sloboda.
Mais en même temps que les aïeux de Makar faisaient la guerre à la taïga, qu’ils l’entamaient par le feu et à coups de hache, ils devenaient eux-mêmes insensiblement plus sauvages. Mariés aux femmes iakoutes, ils s’assimilèrent la langue et les mœurs de leurs parentés nouvelles. Les traits caractéristiques de la grande race russe s’effaçaient, disparaissaient.
Quoi qu’il en soit, Makar n’oubliait ni son origine, ni qu’il était fils de cette terre. C’est à Tchalgane qu’il était né, là qu’il vivait, là qu’il espérait mourir. Il était très fier de sa nationalité et traitait parfois les indigènes de « sales iakoutes », bien qu’à la vérité il ne se distinguât en rien, ni par les mœurs, ni par le genre de vie, de ces mêmes iakoutes. Il parlait peu le russe, et assez mal ; il s’habillait de peaux de bêtes, il se chaussait de torbass ; son menu de tous les jours était composé d’une galette, arrosée d’une infusion de thé « en briques » ; les jours de fêtes, ou dans les occasions extraordinaires, il se régalait de beurre fondu, dont il avalait la quantité juste égale à celle qui se trouvait sur la table... Il était très habile à monter les taureaux. En cas de maladie, il s’adressait au chamane, lequel, en guise de traitement, se précipitait sur lui avec des grincements de dents, des gesticulations de possédé ; et cela, dans le but d’enrayer l’élément morbide installé dans le corps, et de le forcer à s’enfuir.
Makar travaillait comme un forçat, vivait misérablement, souffrant de la faim et du froid. En dehors du souci de sa galette grossière et de son thé, avait-il d’autres pensées ? Oui, il en avait.
Dans la famille d 'un gentil-homme campagnard de l 'Ukraine naît un garçon aveugle qui ,plus tard ,se marie avec l 'amie de son enfance et devient un musicien célèbre .
Il semblait que, sous l’influence de la paix extérieure, il surgît des profondeurs de son âme des bruits perceptibles pour lui seul, et auxquels il paraissait prêter l’oreille avec une attention extrême. En le voyant dans ces moments-là, on pouvait croire que la pensée indistincte qui venait de naître dans son esprit commençait à résonner en lui comme une vague mélodie.
Le son faible d’une corde résonna, indécis. Le garçon écouta pendant longtemps les vibrations déjà abolies pour l’ouïe de la mère ; puis, avec l’expression d’une attention extrême, il frappa la touche suivante. Ensuite, promenant sa main sur tout le clavier, il arriva aux notes élevées. À chaque son il s’arrêtait un peu de temps ; et un à un, ils vacillaient, vibraient et mouraient dans l’espace. Le visage de l’aveugle exprimait, avec une tension excessive, un plaisir extrême ; il était évident qu’il admirait chaque son en particulier ; et déjà, dans ce délicat souci des sons élémentaires, parties constituantes d’une future mélodie, se révélait comme un tempérament d’artiste.