PASSE SIMPLE
On s'est aimés peut-être
Sans se connaître
Peut-être on ne s'aimera plus
Sans s'être jamais connus
CHANSON DU PÊCHEUR
Ainsi que le sphynx du mirage
L'amour quand j'avance s'enfuit
Est-il donc possible à mon âge
D'être aussi con que je le suis?
J'avance pour ferrer la rose
Elle s'efface dans le vent
Ainsi vais-je parmi les choses
Comme un somnambule, rêvant.
Par crainte de perdre ma trace
Comme un somnambule en rêvant
Je sème au travers de l'espace
Petit Poucet mes cailloux blancs.
Au matin je parcours la grève
Cherchant aux épaves du soir
Celle que j'ai vue dans mon rêve
En arpentant mon désespoir.
Limpide comme une bouteille
Et le col d'un blason scellé
Elle court aux vagues vermeille
Avec son génie esseulé.
Cela viendra comme à bord des branches du cerisier
Lorsqu'on grimpe parmi les fleurs s'installer au coeur de la lumière
Où n'existe point d'ombre
Oh le murmure sucré des abeilles du temps...
Cela reviendra comme une enfance rejointe pour toujours
En ses jeux de marelle et ses contrées de nostalgie
Comme l'enfance au sourire infiniment triste
Dont le regard est tout agrandi de questions
( extrait de " L'amoureux")
JE L'AIMAIS…
Je l'aimais comme à travers
Une vitre embuée
qu'éclaire seulement le sillage des larmes
*
Au-delà d'elle c'était l'aube verte
Ses yeux pailletés d'or, la terre brune
Et les rosiers mal coupés où le vent avait accroché
Comme dans mes vers toutes sortes de choses légères
Mais étrangères
*
Cette voix
Cette voix bleue
Construisant avec le fil de fer
De nos nerfs des rêves ajourés comme des crinolines
Profonds comme des cloches où, tôt le matin par les rosées
Brillantes, sous le bronze les battants s'agitent
Dans l'impatience de Pâques
Comme jambes de ressuscités…
Cette voix azurée
Comme celle du muezzin sur sa tour blanche
*
Cette voix traversée d'anges
D'archanges de Trône de Châteaux
En Espagne et de Dominations !
p.62-63
AÏLENN
Elle balance sur la mer comme la rose du couchant
à bord de son propre vertige
Elle parle de toutes choses comme si les mots étaient chants
et les choses vestiges
On lui chercherait vainement le miroir d'une pensée
Dans l'or le cuivre et le vermeil
Elle balance sur votre visage comme le souvenir d'un autre
qui aurait habité notre peau il y a très longtemps
Elle s'accroche à chacun comme la roche au coquillage
par ce byssus doré par ce byssus brillant
qu'on n'a jamais fini d'explorer
p.64
V. INTERMITTENCES
TROUVÉE, PERDUE
Et pourtant la lumière était là, dans l'égarement
Elle gisait telle une flaque au creux pierreux du jour
Avec son doux visage où le vent moissonne des lys
Je l'ai prise comme un miroir et j'ai regardé
Le monde par-dessus mon épaule
La mer abandonnée
Et pleurant comme un gamin j'ai poursuivi ma route
Ne sachant même plus faire autre chose que de bredouiller
son nom
Gluant sur les syllabes
Comme un agonisant qui parle dans son sang
p.180-181
ELLE ET MOI, À CONTRE-TEMPS
Du néant mon désir a formé des choses réelles
Des hommes réels parmi lesquels marcher et rire et disputer
Un sol réel à l'image du ciel
Avec ses galaxies de sable et ses plages obstinées
Ses lessives fraîches suspendues au vent
Et les mains douces de l'amour
Pétrissant lentement dans l'eau bleuie du ciel
Les aubes vaporeuses des anges mêlées
Aux linceuls humoreux des morts innombrables que
nous fûmes !
p.240-241
ELLE ET MOI, À CONTRE-TEMPS
À force de parler de moi j'ai connu le vrai goût des mots
J'ai su qu'ils étaient les auteurs de cette chevelure
De la couleur de ces yeux vifs comme l'hirondelle
Qui sans cesse vont et reviennent
Du passé au présent
Rapportant des étincelles de vie au nid qu'elle a bâti
Contre le mur tiède du temps.
Mes mains s'en allaient puis revenaient vers son corps
Le seul ciment que m'ait offert la vie
Tantôt blanc et tantôt doré selon ses rapports avec le soleil
Ce que j'en pouvais toucher ne me venait que de moi
Aussi ne sais-je encor aujourd'hui
Parler d'autre chose
Mais j'en parle comme on parle de l'ombre
D'une chance
Et tout ce que je dis ne parle pas pour moi, même
Si tout parle - à ma place !
Du néant mon désir a formé des choses réelles
Des hommes réels parmi lesquels marcher et rire et disputer
Un sol réel à l'image du ciel
Avec ses galaxies de sable et ses plages obstinées
Ses lessives fraîches suspendues au vent
Et les mains douces de l'amour
Pétrissant lentement dans l'eau bleuie du ciel
Les aubes vaporeuses des anges mêlées
Aux linceuls humoreux des morts innombrables que
nous fûmes !
Pp.240.241
V. INTERMITTENCES
TROUVÉE, PERDUE
Les amis sont venus en chantant les rengaines de jadis
Je ne les ai pas reconnus Mais je n'ai rien dit
J'ai tenté de chanter comme eux mais il faisait trop sombre
Comment accepter d'ajouter une fausse nuit
À celle de mon chagrin
Et tous se désolaient et l'amour même se désolait
Perdu dans son immensité comme une mouette qui
cherche la mer
Dans les ondulations brillantes du mirage
p.180
ÉPEIRE DIADÈME
Seul
au cœur des lacis, au cœur des rets
de ce visage qui promet
sans efforts sa moisson
de désirs et d'écumes et de baisers blonds,
sur cette nuque tendre, auprès du coquillage
d'une oreille au lobe tel un caillou blanc
sucé indéfiniment – dragée pour le souvenir
d'un torrent de fraîcheur,
glacé de transparences
contre les dents, à la langue étrangère
ainsi qu'à l'huître bavochante
sa perle :
neige polaire dont l'orient aux longues ombres
ne connaît pas la nuit – seul
devant ces yeux absents aux prunelles trop grandes
qui dominent la rose adorable du péché
comme en l'autre crépuscule
l'arbre rose
où l'air dilate sans le voir
ce foyer double d'une étrange lune noire ;
Seul
Je brûle de frissons – de cet enfer du gel
qui est l'amour
épris de sa propre radiance
p.95-96