Paola a envie de hurler, mais elle serre les lèvres. Soyaan avance en boitant, son baluchon le déséquilibre, il trébuche sur le moindre caillou. De loin, l'infirmière lui fait signe d'approcher, lui tend des bras en tremblant à l'idée que chaque pas soit le dernier.
Eux, les policiers, quand ils nous attrapent, ils peuvent dire à leur patron qu’ils ont sauvé le portefeuille d’un touriste. Mais les autres fois, c’est nous qui rapportons de l’argent à notre grand chef. On a intérêt, sinon il nous punit. Il nous frappe fort quand nos sacs ne sont pas assez remplis. Une fois, au début, j’ai eu peur qu’il me tue. Mais maintenant il sait que mes doigts vont vite et que si je ne rapporte pas assez de portefeuilles, ce n’est pas ma faute. Je travaille dur.
Quand il est revenu au bout d'un long moment, papa a dit à maman :
- Rajiv et Fatoumata voudraient savoir quelles sont tes revendications.
- Je mettrai fin à la grève de la lessive si l'on applique de nouveau la règle de la vaisselle, elle a répondu. Question de principe.
Papa est reparti, mais il est revenu assez vite.
- Et pour l'argent de poche ? il a demandé.
- J'accepte de l'augmenter d'un euro par semaine, a répondu maman.
- je suis désolé, Fatoumata. Tu prendras celle d'à côté.
Ma sœur s'est mise à pleurer. Rajiv aussi. Alors les autres l'ont regardé parce qu'ils ne comprenaient plus rien. Mon frère a crié qu'il avait changé d'avis, mais qu'on ne l'écoutait pas et que maintenant il voulait la petite chambre du grenier., celle au dessus du stade, parce qu'il voulait regarder les matchs avec sa lunette d'astronome pour voir en gros plan comme à la télé.
Lorsque les dernières notes du mouvement se furent évanouies, la violoncelliste prit une inspiration, puis se leva et d'un pas décidé marcha vers le rocher où était assis son garde du corps. Le garçon releva la tête et, avant qu'il ait pu réagir, il vit la main de la jeune femme posée sur le canon de son fusil. Lola tira tout doucement sur l'arme pour que le garçon la lâche et de l'autre main, elle lui tendit le violoncelle.
Fatoumata et Elisa chantaient : "On a gagné, on a gagné !" Rajiv a collé une baffe à Elisa, mais Fatoumata lui a renvoyé un coup de pied. Et les Maliens, ils savent super bien frapper avec les pieds !
Et puis, comme papa et maman n'arrivaient pas à faire des enfants, nous sommes tous adoptés. En plus, chacun a une couleur différente. Ma grande sœur Fatoumata est noire, mon grand frère Rajiv est marron foncé. Ma petite sœur Elisa est marron clair. Et moi, Arsène, je suis blanc avec des taches de rousseur.
Moi, à Paris, j'habite dans un hôtel avec les autres filles grâce à la part de l'argent que le chef nous laisse pour qu'on puisse vivre.
Il est sale cet hôtel.
Et il est triste aussi, parce qu'il n'y a pas l'accordéon de mon frère.
La musique dans mon casque, c'est bien, mais ce n'est pas pareil.
Des gosses, il en meurt plein tous les jours dans ce pays. Qu'est-ce que ça change, un de plus ou de moins? Qu'est-ce qu'il a de tellement spécial, celui-là?
Paola hésite.
-Il n'a rien de spécial, Ali. Je le vois. C'est tout. Il est seul, il est blessé et personne ne l'aide. p29
Et j'ai compris que le Président aimait tout le monde : les paysans, les étudiants, les épiciers, les policiers, les banquiers, les retraités, les ouvriers, les militaires...
[...]
Alors je lui ai posé ma première question du dîner.
- Et les salsifis, vous les aimez aussi ?
Le Président a fait une horrible grimace et il est devenu vert.
- Ah non, les salsifis, c'est une saloperie ! Ca c'est vraiment de la merde ! il a répondu.
- Il a dit des gros mots ! Il a dit des gros mots ! Il n'aura pas de dessert et c'est à lui de faire la vaisselle ! on a crié tous ensemble.