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Critiques de Yu Hua (176)
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Le septième jour

Quelle lecture étrange ! Étrange dans le sens où ce livre arrive à entremêler la dénonciation de la société et de la politique chinoise contemporaine, une vision onirique et touchante de ce qui se passe après la mort, une pointe d'humour complètement décalée, des images poétiques d'une grande sensibilité. Ces éléments sont combinés par l'auteur avec une certaine grâce mais d'une façon si étonnante que la lecture de « le septième jour » est un pas de côté, une expérience en quelque sorte pour le lecteur occidental, et une façon pudique d'aborder la dénonciation sociétale … à la chinoise ? Comme le souligne @Gonewithgreen, grâce à qui j'ai eu envie de lire ce livre, c'est à se demander si le fait de faire parler un mort autorise davantage l'auteur, Yu Hua, à faire passer des messages : faut-il être mort pour oser parler ?

Il n'empêche, à sa sortie en Chine en 2013 ce livre a fait l'objet de nombreuses critiques et polémiques.



Notre protagoniste, Yang Fei, est mort. le livre s'articule autour de sept chapitres correspondant aux sept jours suivant la mort de notre homme. Sept jours pour une genèse funeste. Dès les premières pages, Yang Fei vient de mourir et est ainsi convoqué au funérarium. Nous découvrons que, malgré la mort, les différences de patrimoine et de revenus sont toujours présentes et conditionnent la façon et le lieu où vont reposer les personnes après leur incinération. Les riches attendent sur des fauteuils et les pauvres sur des chaises en plastique. Des urnes décorées et estampillées pour les uns, des urnes aux slogans kitch (« Retour au bercail ») pour les autres. Sauf que Yang Fei n'a aucune urne donc pas de sépulture, rien pour trouver le chemin du repos. Il doit donc partir de ce funérarium et errer.



« le septième jour » est l'histoire d'une errance, une errance dans un silence ouaté, une quête avec la pluie et la neige qui tourbillonnent, enveloppant sans le toucher notre personnage. Divagation dans les limbes d'une mémoire coupée du monde, faite de fragments disparates. L'errance à la lisière de la vie et de la mort où « On ne voit pas s'élever d'arbres, on ne voit pas couler de rivière, on n'entend pas souffler le vent dans les herbes, on n'entend aucun bruit de pas (…) où aucun oiseau ne vole dans les airs, aucun poisson ne nage dans l'eau, aucun être vivant ne croît sur la terre ». L'ambiance est particulière, comme si nous étions dans un rêve ou dans un tableau de Münch, tant nous avons l'impression d'évoluer dans une ambiance veloutée et cotonneuse aux sons étouffés comme un clapotis de vagues.



C'est l'occasion pour Yang Fei de rencontrer des personnes comme lui mortes sans sépulture, voire de retrouver des personnes de sa vie d'antan. de ces rencontres émergent des souvenirs. Et à chaque fois, à chaque souvenir, à chaque histoire, des facettes terribles de la société chinoise contemporaine sont mises à jour. C'est par moment réellement glaçant. C'est l'occasion également pour lui de rechercher son père mystérieusement disparu. Et Yang Fei de nous relater son enfance incroyable avec ce père adoptif, un amour entre père et fils d'une grande beauté.



« Ici errent de tous côtés des silhouettes sans sépulture. Ces formes qui ne peuvent trouver de lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolées, tantôt des pans de forêt. Je passe au milieu d'eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. Je guette l'apparition de la voix de mon père. Devant, derrière, à gauche, à droite. J'attends l'appel de mon nom ».



Touchant cette façon qu'a l'auteur d'imaginer ce monde, d'imaginer la tristesse de ces gens subitement disparus laissant dans le monde des vivants des êtres chers. L'histoire de ces jeunes parents ayant laissé leur petite fille de onze ans m'a profondément émue. Touchant de découvrir ces personnes humbles, simples, laborieuses, écrasés par le système communiste. Touchant enfin ce monde imaginé par l'auteur, sa vision singulière de la mort, dans lequel nous laisser porter.



Pour donner des respirations au lecteur qui non content de découvrir cette errance funeste, soulève le voile des dysfonctionnements de la société chinoise, Yu Hua distille un humour corrosif surprenant, voyez plutôt :



« - Tu ne ressembles pas à Yang Fei.

Je palpe mon visage. L'oeil gauche est sur la pommette, le nez à côté du nez, et le menton sous le menton.

- J'ai oublié de me retoucher le visage.

Elle tend ses mains et, avec précaution, elle replace mon oeil dans son orbite, remet à sa place mon nez qui est sorti de son axe, et relève d'un coup sec mon menton qui pend. Puis elle recule d'un pas et m'examine attentivement.

- A présent, tu ressembles à Yang Fei »



Une belle lecture, très singulière, parfois déroutante, tantôt grave, tantôt légère, tantôt philosophique et poétique, tantôt cocasse, voire burlesque, qui propose une vision de la mort que je ne suis pas prête d'oublier. Une genèse funeste qui imagine un monde verdoyant et lumineux où les morts sans sépulture, c'est-à-dire les pauvres, errent dans une vie éternelle de toute beauté, plus réjouissante que le repos et l'oubli des plus riches. Les derniers seront en réalité les premiers.

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Le septième jour



Charmée par Les jours, les mois, les années de Yan Lianke, lu précédemment, j'ai eu envie de prolonger mon escale en Asie par la rencontre d'une autre figure majeure de la littérature chinoise contemporaine. Bien m'en prit puisque cette première incursion dans l'œuvre de Yu Hua s'est révélée absolument fascinante. De nouveau, un coup au cœur immense.



S'inspirant de la Genèse biblique et d'anciennes croyances populaires, il nous invite à suivre les pérégrinations d'un jeune homme qui vient de quitter les berges de la Vie pour rejoindre l'autre monde. De prime abord déconcertant, Le septième jour est un roman d'une grande beauté que je ne saurai oublier tant il m'a profondément émue.



*



Victime d'un terrible accident, Yan Fei a trouvé la mort. Attendu au funérarium, il découvre que si les plus favorisés sont en mesure d'accéder au repos éternel une fois incinérés, les autres comme lui sans famille ni urne ni tombeau, sont condamnés à déambuler au cœur des limbes en portant le deuil d'eux-mêmes. 



Notre narrateur emprunte dès lors le chemin de l'errance dans un silence feutré et un brouillard s'étirant à perte de vue, enveloppé par les flocons de neige qui dansent autour de lui et s'évanouissent après son passage. Décor vaporeux, sensation d'apesanteur, instants suspendus.



Sept jours d'errance, au terme desquels il peut espérer gagner sa dernière demeure : Îlot de paix, de verdure et de sérénité. "(...) là-bas, il n'y a ni pauvres, ni riches, il n'y a ni chagrin ni douleur, il n'y a ni rancune ni haine (...)." Un monde fantasmagorique que nous souhaiterions tant réel où se retrouvent les défunts sans sépulture.



"Un monde se déploie devant mes yeux étonnés : de l'eau qui coule, de l'herbe qui couvre le sol et des arbres luxuriants dont les branches sont chargés de fruits à noyaux et dont les feuilles en forme de cœur frissonnant au rythme d'un cœur qui bat. Je vois plein de gens qui vont et qui viennent, beaucoup ne sont plus que des squelettes, quelques uns ont gardé leur chair."



*



Au cours de cette marche fantomatique, notre personnage est amené à remonter le fil de son histoire - revisiter le passé pour mieux s'en libérer, et croise proches ou simples connaissances parfois perdus depuis longtemps. L'occasion en est donnée de poursuivre les recherches d'un parent mystérieusement disparu, une quête initiée de son vivant pour laquelle il n'a jamais obtenu de réponse. 



"Ici errent de tous côtés des silhouettes sans sépulture. Ces formes qui ne peuvent trouver de lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolés, tantôt des pans de forêts. Je passe au milieu d'eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. Je guette l'apparition de la voix de mon père, devant, derrière,  à gauche, à droite. J'attends l'appel de mon nom."



Rencontres et souvenirs affleurant à la surface de sa mémoire exhalent une dualité saisissante. Aux scènes d'amour et d'infinie douceur succèdent l'évocation de terribles tragédies individuelles voire collectives. Toutes rendent compte avec force de la violence, de l'arbitraire, de la corruption, de l'injustice, de la course à l'argent qui règnent dans le pays.



*



Voyage poétique et onirique au royaume des morts, le récit se fait également critique féroce,  sans concession, de la société chinoise d'aujourd'hui. Plusieurs niveaux de lecture, une richesse, profondeur et humanité remarquables. Sans oublier les pointes d'humour subtilement dosées qui offrent aux lecteurs des respirations salutaires.



Oserais-je le qualifier de chef-d'oeuvre?



En tout cas, un livre magnifique et mémorable qui sur mon île déserte m'accompagnera…



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Vivre !

J'avais vu l'adaptation de Zhang Yimou, il y a une vingtaine d'années. C'était magnifique comme tous les films de Zhang Yimou. Mon défi de remplir ma carte du monde littéraire, m'a donné envie, pour la Chine, de lire Vivre !

C'est triste mais magnifique. J'ai appris beaucoup de choses sur une partie de l'Histoire de Chine. Et tandis qu'à la fin, on nous explique la chronologie de l'avènement communiste, nous nous rendons compte, que les personnages subissaient, vivaient sans les informations.

Fugui aura vécu le deuil, la famine, la richesse, la pauvreté, la maladie, la guerre mais n'aura jamais manqué d'Amour. Et nous nous attacherons à tous ses personnages, plein d'Amours et de gentillesses, laissant nos larmes couler durant les passages les plus durs. Un beau récit sans aucun doute.
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Le septième jour

Yang Fei vient de mourir, mais continue à vivre dans une sorte d’entre-deux où il rencontre des gens qui ont de quoi se payer une sépulture et vont vraiment disparaître et les autres, trop pauvres, condamnés à errer en se décharnant peu à peu jusqu’à devenir des squelettes, en attendant peut-être en vain qu’un vivant qui se souvient de lui ait de quoi lui payer un tombeau. Car le prix est élevé : « De notre côté, celui des chaises en plastique [le coin des pauvres ; les riches ont droit à des fauteuils], les bruits de conversation n’ont pas cessé, on continue à discuter des sépultures. On soupire sur leur prix, qui excède désormais celui des maisons. Pour une place d’un mètre carré dans un cimetière situé au diable vauvert et surpeuplé, il n’en coûte pas moins de 30 000 yuans, et encore pour une concession limitée à vingt-cinq ans. » Comme le dit un personnage : « — On n’a même plus les moyens de mourir ! » Le récit nous raconte les sept jours qui suivent sa mort, avec de nombreuses analepses le concernant lui-même et aussi les gens qu’il croise dans ces limbes. ● Le récit nous propose ainsi une magnifique histoire d’amour paternel et filial entre Yang Fei et son père adoptif, qui n’a vécu que pour son fils. Cette partie est vraiment très touchante, après la rocambolesque histoire de la naissance de Yang Fei qui prête plutôt à sourire. « Plus tard, […] j’ai souvent repensé avec tristesse à ce quai, ce matin d’été. Il avait vingt et un ans quand j’avais fait irruption dans son existence, et je l’avais remplie tout entière, si bien qu’il n’était plus resté la moindre place pour le bonheur auquel il avait droit. » ● Il permet aussi de mettre en évidence les nombreux dysfonctionnements de la société chinoise : disparités sociales énormes, injustices, passe-droits, personnes qui vivent « comme des rats » dans un immense souterrain insalubre… ● Des immeubles anciens sont abattus malgré les protestations de leurs habitants : « D’autres décrivaient la terreur qu’ils avaient ressentie quand, en pleine nuit, on avait détruit leur maison : ils avaient été tirés de leur sommeil par d’énormes grondements, les murs vacillaient, et ils avaient cru à un tremblement de terre. Mais au moment où ils s’étaient précipités dehors, ils avaient découvert les bulldozers et les pelleteuses en train d’abattre leur demeure. » Il arrive même que certains restent coincés et meurent dans l’opération de démolition… ● Ceux qui ont le pouvoir ont tous les droits : « Une fois, il [le patron d’un restaurant] m’avait expliqué que les gens de la Sécurité publique, ceux du service de la Prévention des incendies, des services sanitaires, des services de l’Industrie et du Commerce, ou bien des services des Impôts venaient souvent se goberger chez lui, mais qu’ils partaient sans jamais rien payer, en demandant qu’on inscrive ce qu’ils devaient sur leur note. En fin d’année, c’étaient des entreprises privées qui réglaient la facture pour eux. Au début, avait-il poursuivi, la situation était encore tenable, puisque soixante-dix à quatre-vingts pour cent des dettes étaient soldées, mais ces dernières années, l’économie étant moins prospère, de nombreuses sociétés avaient fait faillite et il y en avait de moins en moins pour payer les dettes de ces messieurs, ce qui n’empêchait pas ceux-ci de continuer à venir se goberger. Ses affaires à lui avaient beau paraître florissantes, avait-il conclu, en réalité il n’arrivait plus à joindre les deux bouts : mais qui aurait pris le risque de déplaire à des gens des services officiels ? » ● Certains n’ont plus d’autre choix que de vendre un rein, dans des conditions épouvantables, pour gagner rapidement un peu d’argent (30-35 000 yuans, soit 4 000-4 800 euros, le prix d’une sépulture…), pour le dépenser dans des gadgets que leur propose la société d’hyperconsommation chinoise : « Tous vendaient un rein dans l’intention de gagner de l’argent le plus vite possible. Ils expliquaient que même en travaillant dur pendant plusieurs années ils n’arriveraient jamais à gagner autant. Ils rêvaient de leur vie d’après : ils s’achèteraient de beaux vêtements ou un téléphone portable Apple, ils iraient dormir dans un palace ou dîner dans un restaurant de luxe. » Une des personnages se suicide parce que son petit ami lui a offert un iPhone de contrefaçon et pas un vrai… ● A cet égard on peut se demander s’il n’est pas mieux de ne pas avoir d’argent pour sa sépulture car le monde des morts-vivants paraît plus agréable que le néant où l’ensevelissement conduit. L’argent est peut-être un miroir aux alouettes… ● Le roman nous propose ainsi une méditation sur la nature de la mort et sur la société chinoise, qui peut être vue comme composée pour une large part de morts-vivants, à la fois dans leur soumission obligée au régime et à ses privilégiés et dans la poursuite des chimères de l’argent et de la consommation qu’elle leur offre. ● C’était le premier livre de Yu Hua que je lisais et je l’ai trouvé profondément original, parfois poétique, parfois loufoque, toujours intéressant.
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Vivre !

Vivre ! est un peu la version chinoise de l’histoire de Job. Vous savez, ce personnage biblique dont la Foi est constamment mise à l’épreuve par une série de pertes, de deuils, de maladies et de souffrances pour ne finir que dans le plus grand dépouillement. Eh bien, c’est un peu ce que vit ici Fugui Xu. Né dans une famille très aisée, il perd sa fortune au jeu. C’est un mal pour un bien car, quelques années plus tard, le communisme s’implante partout en Chine et le nouveau propriétaire terrien se fait pendre à sa place pour crime capitaliste. Fugui finit par se complaire dans sa petite vie rangée de paysan, travaillant à la sueur de son front. Mais une série de malheurs s’abat sur lui. Et les rares moments lumineux, où la fortune semble enfin tourner à nouveau en sa faveur, ils sont rapidement transformés en drames encore plus terribles. Mais toujours, Fugui retrousse ses manches. Était-il insouciant, inconscient, dépassé par les événements ?



Ce roman de Hua Yu fut primé, et son adaptation cinématographique connut un succès encore plus retentissant. On sait qu’on a affaire à une grande œuvre. C’est que, à travers les péripéties de Fugui, c’est un peu l’histoire de la Chine moderne qui est racontée. La vie dans la campagne chinoise au début du siècle, la lutte entre les nationalistes de Tchang-Kaï-Chek, la victoire des communistes et tous les bouleversement que cela a apportés. L’implantation du système maoïste, la collectivisation, la réforme agraire, la famine qui s’ensuivit, les dérives et les exactions des autorités locales, la révolution culturelle, etc. Tout y passe. Ce fut très instructif.



J’ai été un peu étonné par le style de l’auteur, très dépouillé – quoique c’est plutôt approprié pour cette œuvre ! En effet, si Hua Yu a réussi à dépeindre avec justesse et avec réalisme tous les enjeux mentionnés plus haut, son écriture plutôt simple, ordinaire, loin de la poésie qu’on associe généralement à la littérature d’Extrême-Orient. Exit les jolies tournures, l’attention portée aux petits détails, aux rafinements. Quoique, il est difficile de jouer dans la poésie quand il est question de misère et de cruauté. Certains événments étaient racontés parfois de manière très crue. Et, au final, je me demande bien quelle en est la morale ? On retrouve Fugui, un homme seul, âgé prématurément, plié par le travail, encore souriant et satisfait de son moins que rien. Il a fait la paix avec le destin ? Cette humilité et cet optimiste sont tout bonnement révoltant ! Ou c’est du courage ? N’empêche, cela ne rend l’œuvre que plus profonde et riche en enseignement.
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Le septième jour

Le septième jour, est-ce un voyage ? Un aller simple ? Un voyage sans retour ?

J'ai vécu cette très belle lecture comme une oscillation enivrante entre plusieurs mondes, celui des vivants et des morts tout d'abord, mais ce serait trop réducteur de définir ce livre seulement ainsi.

Nous sommes en Chine, dans une Chine à la fois contemporaine et intemporelle. Un homme vient de mourir dans une explosion. Il s'appelle Yan Fei, il a quarante-et-un ans. Il est désormais attendu au funérarium. Ne disposant pas d'urne funéraire, il doit donc patienter, errer... Il découvre très vite que les inégalités qui l'avaient marqué de son vivant entre riches et pauvres continuent de se prolonger dans le monde des morts. Les riches attendent ainsi confortablement leur sort, si on peut dire les choses ainsi, tandis que les pauvres attendent dans des conditions plus rustiques, attendent et attendent encore, devenant parfois squelettes, à force d'attendre... Vous savez ce que c'est que d'attendre...

L'auteur, Yu Hua, que je découvre par la même occasion, nous entraîne dans l'exode de défunts sans sépulture, condamnés à errer dans l'antichambre du repos éternel.

Ce récit est construit en sept chapitres, chaque chapitre étant dédié à un jour, nous suivons donc l'errance de Yan Fei durant les sept jours qui ont suivi sa mort...

C'est l'histoire d'une déambulation, d'une errance parmi l'univers des morts, parmi les histoires de ces morts dont nous découvrons quelques bribes de leurs existences, scènes de vie parfois touchantes, parfois cocasses, avec ce paysage social, sociétal qui se dessine, d'une violence souterraine qu'on devine terrible. Des vies touchantes juste avant que la mort ne les fauche.

C'est comme une danse macabre avec l'étonnement d'une douceur qui s'y pose.

Forcément Yan Fei revoit sa dernière scène dans l'autre monde, celui d'avant.

Passer d'une rive à l'autre, c'est aussi pour Yan Fei se souvenir du passé, le sien, celui des autres, ses proches. Des histoires s'invitent, s'entremêlent, remontant de la mémoire proche ou lointaine.

Il y a le souvenir d'une idylle naissante qui devint un amour qu'on croyait éternel, avec la jeune Li Quing.

Il y a le récit d'une jeune femme qui se suicide.

Il y a le récit de son père, l'évocation de ce père qu'il retrouve ici est forcément émouvante, le ramène à sa propre histoire, sa naissance, ses origines. Être cet enfant né et aussitôt tombé sur la voie ferrée par le simple trou des toilettes d'un wagon, avouez que le destin est parfois insolite. J'ai adoré cette relation entre le père et le fils qui se retrouvent dans cette antichambre de la mort...

Tant d'autres récits aussi, des fragments de vies. Des morceaux d'un puzzle qui viennent construire une constellation avec les voix de tous ces morts qui disent et crient la vie, d'où ils viennent, où ils ont cheminé, où ils vont.

Le thème de la mort est traité avec délicatesse, avec douceur, il y a en effet une douceur infinie dans les mots qui sont dits ici. Qui sont dits de manière onirique aussi.

Mais la mort, est-ce finalement le thème central de ce roman ?

N'est-ce pas le destin ? Ou bien alors la filiation ? Ou bien encore si tout ceci n'était pas prétexte pour nous inviter à ce pas de côté tendu comme une ellipse, une manière de regarder la Chine non plus cette fois intemporelle mais bien vissée corps et âmes dans sa réalité contemporaine, la Chine d'aujourd'hui, tragique et terrifiante.

N'est-ce pas la vie finalement ? La vie qui manque tant dans cette Chine contemporaine au travers de ce monde chaotique qui nous parvient dans le récit ? Un chaos sans limite.

Fouiller. Fouiller au fond de sa mémoire pour reconstituer des bribes de vie, des fragments disparates, comme des morceaux de continents à la dérive. La mort serait-elle ce chemin qui les rassemble ?

J'ai aimé ici la pluie et la neige flottant dans ce paysage en apesanteur. J'ai aimé entrer en apesanteur comme cela dans ce récit, être touché aussi par cette pluie et cette neige que j'ai senties si présentes dans ces pages.

J'ai aimé dans un passage du livre cette image saisissante d'une route asphaltée interrompue qui laisse brusquement place à un chemin de terre cabossé. Je ne saurais dire pourquoi cette image du récit m'a tant troublé. Et si c'était cela la vie ?

Errer entre l'aube et le soir. Un vide silencieux, où avancer...

Alors, ce pas de côté, ce serait quoi finalement ? Peut-être un plaidoyer pour la liberté... ?

La liberté, la liberté d'expression, la liberté tout court, est-ce qu'elle dérive ainsi, elle aussi à son tour, dans les limbes d'un endroit improbable, non encore identifié, la liberté en Chine ? Parlons-en.

Ou bien quelque chose de plus fort encore, disant et dénonçant le malheur là-bas sous l'oppression d'un pouvoir qui favorise les inégalités sociales, la misère, les scandales politiques et économiques, les sévices infligés aux prisonniers, les avortements forcés, les suicides, la répression contre l'homosexualité et d'une manière générale toutes les atteintes aux différences...

Et si ce récit d'une beauté onirique était l'antichambre d'un espoir à venir pour une partie de l'humanité ?

Bref ! C'est un instant sur la terre décrit un mardi soir, le temps d'une chronique à propos d'un roman qui m'a donné, non pas envie de mourir, mais celui de demeurer attentif, attentif à la vie sous toutes ses formes... Vivre, quoi !

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Le septième jour

« Le Septième Jour » conseillé par gonewiththegreen m’attendait depuis un petit moment déjà. L'univers de ce roman est original, sombre et lumineux à la fois, malgré l’évocation de la mort.

Selon la coutume funéraire décrite par Yu Hua, un corps doit être incinéré et enterré dans sa propre tombe pour accéder au repos éternel. Sans cela, il est condamné à errer dans un espace à la lisière de la vie et la mort.

Le thème développé par l’auteur autour de la transition entre la vie et la mort m’intriguait, mais m’effrayait également. Au final, j’ai été séduite par la douceur du récit, par le talent de l’auteur à tisser de belles histoires autour de son personnage principal. Au-delà de la thématique, il y a de belles émotions, beaucoup d’amour, d’empathie, d’entraide.



« La mort ne me fait pas peur, pas du tout. Ce dont j’ai peur, c’est de ne plus te voir. »



*

Yang Fei se réveille un peu désorienté et prend conscience, petit à petit, à la découverte de son corps couvert de plaies et de son visage défiguré, qu’il est mort. Il ne se rappelle pas des circonstances qui ont entraîné son décès.

Yang Fei se rend tout d’abord à une convocation au funérarium pour sa crémation. Mais sans personne pour le pleurer, sans personne pour lui acheter une concession funéraire, l’homme est condamné à errer dans l’antichambre de l’au-delà. Commence alors pour lui un voyage solitaire où il découvre que de nombreuses âmes sans sépulture partagent le même destin que lui.



« Ces formes qui ne peuvent trouver un lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolés, tantôt des pans de forêt. Je passe au milieu d’eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. »



Avec une délicatesse inattendue, ce roman retrace, dans une ambiance feutrée et fantomatique, les sept premiers jours de son errance dans les limbes.



« Des ombres flottaient dans le brouillard. Des sons vivants me parvenaient comme un clapotis de vagues. »



Sur le chemin de la mémoire, Yang Fei se rappelle des moments les plus importants de sa vie, son enfance heureuse, les âmes des personnes décédées qu'il a connues et perdues dans son passé.

J'ai été touchée par ces tranches de vie qu'on découvre toute en finesse, tout en retenue, celle de sa mère de cœur, de son ancienne épouse, ou de ses jeunes voisins. Mais celle qui m’a touchée tout particulièrement est l’évocation de son père adoptif, un personnage magnifique.



« … mon père disparaissait sans crier gare. Il s’en alla sans bruit, sans même laisser un mot. Il partit loin de moi avec ce qui lui restait de vie. »



*

Yang Fei est un personnage qui m’a beaucoup plu. Au gré de ses rencontres, nous remontons le fil de ses souvenirs qui se délie. Le lecteur ne peut qu’apprécier cet homme tendre et généreux, élevé par un homme tout aussi bon et affectueux.

Le chagrin, la douleur et la solitude sont présents mais ne dominent pas le récit, atténués par des émotions plus douces et peut-être plus surprenantes, comme l'amour, la joie, l’optimisme, la solidarité, le réconfort.



*

C’est un roman très étrange où la réalité côtoie un monde surréaliste et effrayant. Cependant, la narration, non dénuée d'humour noir, est délicate, douce, touchante, profondément poétique. On ressent, malgré sa noirceur et sa dureté, de l'espoir et beaucoup d’empathie.



*

Cette galerie de personnages permet à l'auteur d'aborder des thématiques autour de la mort, de l'au-delà et du sens de la vie, « cette vie qui paraît si longue quand on est en train de la vivre, et si courte quand on se la remémore plus tard. »



Mais en arrière-plan, Yu Hua dresse un tableau affligeant de la Chine contemporaine. A travers ce voyage entre deux mondes, le lecteur perçoit la dure réalité de la vie quotidienne : l’auteur ne manque pas de dénoncer la politique dans une Chine ravagée par les scandales de corruption des hommes politiques et de la police, la structure en classes source d'injustices sociales, les sévices infligés aux prisonniers, les avortements forcés, les suicides, la destruction des habitations laissant la population dans la misère la plus totale et obligeant les plus démunis à vendre leurs organes.



« Nous marchons dans ce silence qui s’appelle la mort. Nous ne parlons plus car notre mémoire n’avance plus. C’est une mémoire coupée du monde, faite de fragments disparates, à la fois vide et réelle. Je sens à mes côtés la marche muette de cette femme qui semble perdue et je soupire sur la tristesse de ce monde enfui. »



*

« Le septième jour » est un roman vraiment unique. Teinté de réalisme magique, il est magnifiquement écrit. Je vous le recommande.



« Va donc là-bas, là-bas les feuilles des arbres te feront signe, les rochers te souriront, les eaux de la rivière te salueront ; là-bas, il n’y a ni pauvres ni riches, il n’y a ni chagrin ni douleur, il n’y a ni rancune ni haine… là-bas, tous sont égaux dans la mort. »

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Le vendeur de sang

J’ai lu quatre romans de l’auteur chinois Yu Hua et aucun ne se ressemble, que ce soit par les sujets et les thèmes (à l’exception, peut-être, de la détresse et de la misère humaine), le ton, le style d’écriture, etc. Le dernier en date que j’ai lu de lui, c’est Le vendeur de sang. Ici, le personnage principal est accablé par des malheurs répétés, redondants. Xu Sanguan se marie et devient père de trois garçons. Quelques années plus tard, il apprend que son premier né est en réalité le fruit d’un amour défendu entre sa femme et un autre homme. Horreur ! Et quand ce premier né se bagarre avec un camarade de classe, le blesse sérieusement et que le père de ce dernier réclame justice (ou, du moins, qu’on lui paie la couteuse facture du médecin), Xu Sanguan n’aura qu’une solution : vendre son sang à l’hôpital le plus près. Et ce sera la solution à chaque fois que les difficultés financières se pointeront. Misère, famine, cadeaux à donner, factures d’hôpital, faveurs à gagner etc. Tout est une excuse pour aller vendre son sang. À la longue, ça devient répétitif. Même les nombreuses difficultés financières et famines se répètent. Et j’y trouve un brin de burlesque, de comédie plus ou moins réussie. Un peu trop, même, j’avais l’impression de lire une mauvaise farce car, ce qui est drôle au début l’est moins par la suite. On peut résumer l’histoire à une longue querelle de couple où tout se règle par la ventre de quelques litres de sang… Si les personnages principaux sont plutôt bien décrits (Xu Sanguan, sa femme Xu Yulan, le rival He Xiaoyong), on en sait peu sur les autres (je pourrais difficilement différencier les trois garçons, à part leur ordre de naissance), ou bien ils sont superficiels ou caricaturaux (Lin Fenfang, le forgeron, Wang Er le barbu, chef du sang Li, etc.). Heureusement qu’ils sont attachants. Bref, une petite déception mais qui m’a appris un peu sur certaines coutumes de la Chine, les mœurs campagnardes, les superstitions, etc. Toutefois, les autres romans de Hua Yu permettent mieux de comprendre ce grand pays.
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La Ville introuvable

Lorsque j'ai vu que Yu Hua avait sorti un nouveau roman, je me suis précipité dessus. J'ai découvert cet auteur avec « brothers » et « vivre ! ». Donc je ne fus pas déçu en lisant cet ouvrage.





L'histoire se situe au début du XXe siècle.

C'est le récit de Lin Xiangfu, jeune homme riche se retrouvant seul dans un village ou il possède beaucoup de terre. Et de Xiaomei qui arrive chez lui avec son frère…

Le livre se décompose en deux parties racontant chacun leur histoire.



C'est une histoire d'amour, de secret et une aventure palpitante dans un pays confronté à la guerre et aussi à la violence des brigands.



Un récit qui vous tient en haleine jusqu'à la fin et un aboutissement étonnant…



Je ne peux en raconter plus, de peur de vous en dévoiler davantage, je vous laisse donc le découvrir…



Bonne lecture !
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Vivre !

Vivre est un roman qui fouille au plus profond de nos contradictions.



Yu Ha signe un premier roman , troublant, touchant et vibrant qui déjoue les clichés et bouscule le lecteur dans ses certitudes.

La construction de la narration et sa tonalité faussement détachée peuvent étonner car les drames sont certes racontés avec mélancolie et avec tristesse, mais sans apitoiement, de manière assez factuelle.



La saga familiale est un prétexte pour couvrir des décennies de l'Histoire chinoise pendant la révolution culturelle.

L'auteur abordera la thématique des classes sociales, de la famine qui sévit, d'une vie de dur labeur et de la perte des êtres chers.



La langue simple et touchante est empreinte d'un certain décalage.

La distance mise entre des drames absolument épouvantables et les émotions est plutôt déstabilisante, mais le message principal est universel et transmis avec émotion et compassion.



Ce court roman insolite vous choquera peut-être par son côté un peu fataliste du point de vue occidental, mais il vous fera rire, pleureur, analyser, il vous brisera certainement le coeur mais il ne vous laissera pas indifférent.



C'est un exercice de lecture différent, toutefois l'on retient les bribes de ce qui nous constitue en tant qu'être humains, la force et la rage de continuer à vivre envers et contre tout, malgré les épreuves, d'apprendre à accueillir les grandes misères et les petites joies sans jamais perdre l'espoir.



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Le septième jour

L'auteur décrit, dans cet ouvrage déployé sur sept jours, le parcours d'un défunt, le héros Yan Fei qui vient de mourir dans une explosion, à la recherche de son pére , qu'il retrouve le dernier jour......une promenade dans le royaume des morts donne à celui- ci l'apparence d'un paradis, là, nous sommes tous égaux....

Un roman complexe, à dimension morbide quand même, où les différences sociales, dans la Chine contemporaine, au pouvoir brutal, sont évoquées , à partir des rites funéraires...: des funérailles somptueuses aux parcours des pauvres sans la moindre sépulture...

"La- bas, il n'y a ni pauvres, ni riches, il n'y a ni chagrin ni douleur, il n'y a ni rancune, ni haine...Là- bas, tous sont égaux ."

Le défunt sans sépulture erre dans les limbes où il rencontre des personnes ayant marqué sa vie, des chinois d'aujourd'hui y rodent, l'un a disparu dans l'incendie d'un centre commercial mal construit, l'autre saute d'un immeuble car son petit ami lui avait offert un iPhone de contre façon, on croise 27 bébés " "déchets " de la politique de l'enfant unique emmenés par une infirmière qui avait voulu dénoncer le scandale......

Un livre au goût étrange, mélange de méditation poétique , de marche sur une route fantomatique, sur le destin et le sens de la mort en même temps qu'une critique sociale ironique, parfois loufoque de la Chine d'aujourd'hui!



Le transport dans un univers particulier au ton triste: "mémoire "du narrateur , entre "le monde des vivants" et "le monde des morts "!.

Un ouvrage qui interpelle !
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Vivre !

Vivre ! Comme un cri d'espoir, et de désespoir, lancé à travers la campagne chinoise des années Mao. C'est le récit d'une histoire familiale marquée par le dur labeur aux champs, l'amour et la solidarité intra-familiale, des épreuves et des deuils terribles, et quelques joies, magnifiées par la simplicité et les capacités de résilience de ce peuple attachant. C'est le roman de la famille Xu s'inscrivant sur près de quatre décennies dans le grand roman de la Chine maoïste. Un chef d'oeuvre !



Le premier narrateur est un voyageur parti recueillir des chansons populaires dans la campagne chinoise. Il va y rencontrer Fugui, un vieux paysan qui l'intrigue, parlant à son buffle en lui donnant plusieurs noms (Fugui, Jiazhen, Fengxia...). Fugui va lui raconter l'histoire de sa vie, depuis le jour où elle a basculé une première fois. Au départ fils unique d'une famille aisée, marié à une femme également de bonne famille, Jiazhen, il se rend régulièrement en ville où il profite d'abord des plaisirs des bordels, puis plus dangereusement des jeux d'argent, dont il devient accroc...jusqu'à être ruiné.

Sa femme savait ces travers, a subi, mais fait preuve de dignité et d'une formidable compréhension en lui pardonnant. Malgré la perte de leur maison et l'obligation de se mettre à travailler une terre qui ne leur appartient pas, le couple devenu pauvre restera uni, aura deux enfants, Fengxia puis son petit frère Youqin. Pour manger, et pas toujours à sa faim, la famille doit trimer sans cesse dans les champs, travail de la terre souvent épuisant et terriblement frustrant quant aux résultats des récoltes, trop tributaires de facteurs extérieurs, aléas climatiques et orientations politiques sous les expérimentations successives de l'ère Mao. Les parents se saignent aux quatre veines dans l'espoir que leurs enfants connaissent un meilleur sort dans la société...Mais lorsque la chance semble enfin sourire, de dramatiques coups du sort vont anéantir ces joies trop brèves et disloquer bien malgré elle cette famille unie.



Ce roman est voué à rester très longtemps dans ma mémoire, tant il m'a marqué. Tout y est admirable. Le rythme, les surprises, le sens du réalisme et du tragique, et même si les personnages versent beaucoup de larmes, je n'ai pas eu la sensation d'excès, tellement le destin s'acharne sur la famille, m'amenant moi-même au bord du craquage. L'émotion est omniprésente, tellement on vit avec cette famille, partageant ces joies dans le regard d'un enfant, mais aussi et surtout leurs peines immenses dans des deuils répétés comme une malédiction. Car l'auteur sait aussi nous rendre ses personnages formidablement attachants. Sans pour autant les décrire véritablement, nous apprenons à les connaître au travers de leur comportement, de leurs réactions dans l'enchaînement des scènes familiales. Ce parti pris allège le récit de descriptions superflues, et renforce la tension dramatique autour de la destinée de ces personnages.

L'auteur nous montre des êtres extraordinairement courageux, et des portraits de femmes admirables, en particulier Jiazhen, mère de famille exemplaire se sacrifiant jusqu'au bout pour les siens, véritable pilier de sérénité dans la famille. Car son homme Fugui, qui en tant que narrateur dresse finalement lui-même son portrait, apparaît bien imparfait. Souvent dur avec ses enfants et pas toujours bien inspiré dans ses choix pour sa famille, cet homme humble devant l'adversité et sans doute pudique a au moins le mérite d'avoir vraiment aimé les siens et fait de son mieux pour atténuer la difficulté de leurs conditions de vie. Il souffrira toute sa vie d'en avoir été responsable par son comportement initial irréfléchi, et ce sentiment de n'avoir pas vraiment été à la hauteur. Mais il se sera battu et comme par miracle, seul, il est toujours en vie...



Ce roman est aussi un témoignage très instructif sur les phases successives de l'ère Mao, à travers le vécu de cette famille, et le sort réservé à des personnages plus périphériques qu'elle va côtoyer. L'enrôlement forcé de dizaines de milliers d'hommes dans le Guomindang de Chiang Kaï-shek, qui connaîtra la déroute face aux forces communistes de Mao au sortir du second conflit mondial, le Grand Bond en avant lancé en 1957 (tout le monde doit donner son acier ménager pour fabriquer des petits hauts-fourneaux qui produiront de l'acier), politique de développement qui conduira finalement à la Grande famine en 1961, et enfin la terrible répression engagée en 1966 avec la Révolution culturelle et ses intraitables gardes rouges.



Sans projeter cette impression sur la version originale chinoise, la traduction française nous livre un style d'écriture à la fois fluide et simple, sans pour autant concéder en qualité littéraire.



Au total, si j'avais déjà fait de belles découvertes de littérature chinoise, ce roman de Yu Hua, leçon d'humilité devant la vie et le destin, mais aussi de ténacité, emporte tout sur son passage...A tel point que j'ai finalement décidé de le ranger dans cette mini-sélection contrainte des six livres pour une île déserte. Et une forte envie de découvrir l'adaptation cinématographique du même titre signée du grand Zhang Yimou ! Ainsi bien sûr que d'autres oeuvres de Yu Hua.





PS : pour la petite histoire, avec ma très modeste expérience pratique du chinois, prononcer Fugui "Fougoueille", et Jiazhen "Tiadjeune"...enfin, jusqu'à contradiction qui sera volontiers au minimum débattue !





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Brothers

Cet épais roman (700 pages, pas moins) dresse le récit de deux demi-frères, Li Guangtou et Song Gang qui, se retrouvant orphelins à l'aube de la période de la libéralisaion, suivront des destins opposés mais bien caractéristiques de ce qu'il advient aujourd'hui de pas mal de citoyens chinois : réussite rapide et mirifique pour certains, souffrances, misères et échecs pour les autres, les laissés pour compte de ce formidable "bond en avant" de la société chinoise. On suit donc avec passion le destin de ces deux frères, leur vies sentimentales parfois rocambolesques, leurs réussites et leurs déboires. On y découvre aussi le quotidien chinois d'hier et d'aujourd'hui et c'est cela qui est tout particulièrement passionnant : voir un pays évoluer, passer de l'obscurantisme à la modernité, du XXe siècle finissant et qui semblait voir la Chine somnoler jusqu'à ce que l'aube du XXIe siècle, elle se révèle un microcosme parfaitement représentatif de ce qui s'est passé un peu partout en Chine depuis vingt ans.



Yu Hua montre comment l'évolution du pays est vécue par ses acteurs et dénonce les absurdités commises par les responsables du pays au nom du sacro-saint développement.



Ce qui m'a frappé en lisant ce gros livre, c'est le plaisir indéniable et visible que prend l'auteur à nous relater cette histoire : des personnages meurent, d'autres apparaissent, les scènes se succèdent à vive allure, on y pleure parfois, on y rit beaucoup ; l'invention y est permanente, la fantaisie sans limite, la bouffonnerie, le grotesque et la gaudriole rabelaisienne y côtoient l'émotion et la tragédie poignantes, le sentimentalisme ou la poésie tout simplement.



J'avais adoré "Vivre" et "Brothers" est un véritable coup de coeur. Ce livre marque une nouvelle étape dans la découverte de la littérature chinoise puisqu'il s'étend jusqu'aux toutes dernières années de la Chine et parle de ces décennies extraordinaires de développement frénétique qui ont laissé le peuple chinois ravi de connaître la croissance et la modernité, mais aussi parfois meurtri et malmené par les dérives du capitalisme le plus sauvage.



N'ayez pas peur de vous attaquer à ce pavé, les pages se tournent à vive allure et on ne voit assurément pas le temps passer avec Yu Hua.



La sortie de "Brothers" en livre de poche (mars 2010) est l'occasion de (re) découvrir un écrivain talentueux et un conteur magique.



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Brothers

Je ne sais pas comment d'écrire ce que j'ai ressenti.

Au bout de 700 pages, c'est compliqué.

Ou ça marche ou ça casse ! Eh bien, les deux mon capitaine !

Disons que la première partie, leur vie d'enfant et d'adolescent, j'ai adoré, j'ai pleuré, j'ai découvert l'horreur pendant la révolution culturelle… Mais ce n'est que 150 pages du livre.

Et puis, ils sont devenus adultes, chacun construisant son existence, se trahissant, se soutenant… Une vie épique… Deux âmes si différentes, deux vies si douloureuses… Et enfin, leurs choix si affligeants, parfois.

En conclusion, je suis heureuse d'être arrivée à bout. Un auteur à suivre, puisque ce roman ne me laissera pas indifférente. Et je vois la Chine d'un autre oeil maintenant !



Bonne lecture !
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Vivre !

Vivre ! c'est imposé à moi comme une évidence.





Fruit du hasard devenu nécessité. Je l'avais pense-bêtisé il y a des mois, suite à une chronique, probablement celle de Sachenka, à moins que ce ne fût de DanD ou d'Endymion, tous deux évanouis sans nous laisser leurs belles critiques en héritage. Une 4ème de couverture sobrement prometteuse .





Vivre ! Comment échapper à un tel titre ? Une évidence ! Quoique Yu Hua aurait tout aussi bien titrer son court roman le Père en pendant à La Mère de Pearl Buck. Tout y est semblable, à commencer par cette campagne chinoise sous la révolution, et pourtant tout y est différent. Chaque vie est unique, sous Mao aussi, à chacun son petit livre.^^ Dans les deux cas les mots sont autant comptés que les grains de riz suite au Grand Bond. A savourer à petites doses donc, faire durer pour mieux profiter.





J'ai beaucoup aimé les deux niveaux de narration offrant une certaine distanciation et rythmant le récit. « C'est au début de cet été-là que j'ai rencontré un vieil homme, du nom de Fugui. » p.10 « le vieux avait la peau du dos aussi tannée que celle de son buffle » p.11 Buffle qu'il a baptisé de son prénom Fugui : « Grand bonheur ».





Fugui raconte à ce jeune bâilleur venu de la ville, pendant ses pauses entre les labours, sa dure vie avec Jiazhen sa femme et leurs enfants Youqin, Fengxia, son gendre Erxi et son petit-fils Kugen. Après avoir été dépouillé au jeu de sa fortune, de ses terres, de sa ferme ce qui par une ironie toute communiste lui sauve la vie, un destin funeste lui valut de perdre ses proches, un à un. Confidence pour confidence, dans ma jeunesse j'ai été formidablement marqué par le poème de R. Kipling, If, d'où une lecture tout en symbiose.





De toute évidence de Fugui et de Jiazhen je peux dire de ces deux-là : Ils s'aiment, comme dans la chanson de Daniel Lavoie.

« Ils s'aiment comme avant

Avant les menaces et les grands tourments »

Voilà toute l'histoire alors …

« Laissons-les, laissons-les

Laissons-les s'aimer »





https://www.youtube.com/watch?v=8tkCNRLXf-Q

https://www.youtube.com/watch?v=qJPxlP3m4DM

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Vivre !

Avec l'histoire de Fugui, de la famille Xu , c'est un grand pan de l'histoire de la Chine entre les années 1940 et 1970 avec la guerre civile entre nationalistes et communistes de Mao puis le lancement du Grand Bond en avant et ses conséquences sur la population paysanne.



Fugui nait dans une famille aisée mais son addiction au jeu entraine la ruine de sa famille et la perte de leurs terres .

De propriétaire prospère respecté , Fugui devient paysan .



Enrôlé malgré lui dans l'armée nationaliste , Fugui va connaitre les tranchées et côtoyer les nombreux morts .

Grace à son obstination à vivre, lors de la défaite des nationalistes , il peut retrouver sa femme et ses deux enfants mais cette période est suivie rapidement par la collectivisation des terres et des animaux et la création de cantines communales , qui si au départ font la joie des habitants , vont se retrouver sans ressources et aboutir à la famine.



Vivre pour Fugui et sa famille , c'est d'abord survivre, se sacrifier pour envoyer le fils à l'école, courber l'échine dans les champs et enterrer les siens .



Tenace et fataliste Fugui , homme âgé , accompagné de son vieux buffle continue à vivre du travail dans les champs au gré des saisons ...



D'une écriture simple ce roman décrit la vie de ces paysans ballotée par les mouvements révolutionnaires , victimes dociles , constatant sans amertume que les riches comme ils ont pu l'être avant leur ruine sont les premiers à être déchus voir exécutés .

Courbant l'échine sous les coups du sort, on a du mal à comprendre leur passivité, juste les plaindre .
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Parti à dix-huit ans loin de chez moi

Cette nouvelle formidable de 1989 fit connaître Yu Hua.

Le narrateur est un petit gars naïf et enthousiaste qui prend la route de bon matin. Il marche, il marche à travers les vallons, les montagnes, les nuages. Les quelques rares personnes qu'il rencontre sont incapables de lui dire où mène la route ni de lui indiquer une auberge."Tu verras bien ! " lui répète-t-on. A chaque fois qu'il voit un sommet, il se met à cavaler dans sa direction mais à chaque fois qu'il arrive en haut , il n'y a pas la moindre auberge en vue. Il décide alors de faire du stop, quitte à s'allonger en plein milieu de la route mais il n'entend aucun bruit de moteur. Au crépuscule enfin, il découvre un camion, arrêté, l'avant dans sa direction. Il aperçoit le derrière du conducteur, éclairé par les lueurs pourpres du soleil couchant...

Je ne connaissais pas du tout Yu Hua mais cette nouvelle m'a convaincue de son talent. Un bijou ! le récit aux allures de conte initiatique est magistralement construit et réserve plein de surprises. Il est à la fois pittoresque et absurde. Yu Hua y fait la satire de la société chinoise rurale. Les valeurs rencontrées ne sont pas celles qu'il espérait. L'hospitalité, la solidarité... le conte est amusant et cruel mais je ne vous en dis pas plus. Vous verrez bien.
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Vivre !

C'est l'histoire de Fugui et de sa famille. C'est l'histoire de la campagne chinoise de 1940 à la chute de Mao en 76.

Fugui est l'héritier d'un vaste domaine mais passe son temps à courir les filles et à jouer. S'il garde sa femme , il ne va pas tarder à perdre sa fortune et ses terres.

Yu Hua est un auteur chinois qui compte et si certains de ses livres sont assez difficiles d'accès, ce n'est pas du tout le cas ici.

Écriture fluide, histoire sans fioriture, l'auteur va à l'essentiel pour raconter à travers Fugui les malheurs des campagnes chinoises : Conditions de vie très dures, enrôlement de force dans l'armée, collectivisation, grand bond en avant (l'idée était entre autre de produire le plus d'acier possible et donc de réquisitionner tout ce qui pouvait se fondre..), famine, violence, révolution culturelle et arrestation arbitraire...Tout y passe.



De plus, l'auteur s'évertue à montrer comment l'on pouvait avoir droit de vie ou de mort sur le "péquin " moyen.

Il y a beaucoup d'humanité, comme souvent dans la littérature chinoise, beaucoup de fatalité et cette volonté de vivre malgré tout, d'avancer vers un avenir qui s'il n'est pas sur d'être meilleur , ne peut être pire.

La fin est juste magnifique, un hymne à la vie , une preuve que l'être humain, quand il est bon , le restera au fond de lui quelque soit les coups qu'il aura reçus.

Une façon simple et très agréable de faire un tour rapide de la vie en Chine de 40 à 76.
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Vivre !

Publié en Chine en 1993, ce deuxième roman d'un ex-dentiste né en 1960, YU Hua (余華), fut immédiatement porté à l'écran par ZHANG Yimou en 1994 (l'acteur principal en est You Ge -- qui sera primé à Cannes -- et sa partenaire est la délicieuse et grave Gong Li), film qui connut un succès international amplement mérité...



Du mandarin, le roman a été traduit en français dès 1994 (Librairie Générale Française : "Le Livre de Poche" pour sa première édition) puis en une vingtaine d'autres langues...



C'est peu dire d'affirmer que cette oeuvre (se présentant sous la forme d'un court roman) mérite d'être mieux connue : la déchéance de Fugui, fils de famille "privilégiée" tombant avec son épouse Jiazhen dans la ruine complète (Ah, la passion du jeu...), ne devant sa survie qu'au théâtre d'ombres où il excelle, soldat déserteur de l'armée nationaliste de Tchang-Kaï-chek (蔣介石), puis -- avec tous ses proches -- livré au chaos des décennies maoistes, incluant la sinistre "révo-cul"...



Oeuvre marquante, riche d'un humour solaire bienvenu dans ses moments les plus sombres, l'auteur gardant imperturbablement -- tout comme son personnage principal "spectateur du déroulement de sa propre vie" -- un regard bienveillant et détaché ; presque "philosophe" quant aux destinées de ces pauvres insectes humains (que nous demeurons collectivement)...



La traduction française de Yang Ping en est magnifique : à la fois lyrique et au plus près des "mots-matière" -- particulièrement inspirée...

Une oeuvre profondément émouvante -- à l'instar du film.



Alors ? Vive "Vivre !" de YU Hua !!! :-)



[Extraits des fiches de présentation de l'éditeur "Actes Sud" (réédition, 2013, pour sa collection de poche "Babel") et de l'éditeur "Librairie Générale Française"(Le Livre de Poche, 1994) :]



Né en 1960 à Hangzhou (Zhejiang), Yu Hua a commencé à écrire en 1983. Outre "Vivre !" ont été traduits en français : "Un monde évanoui" (Philippe Picquier, 1994), "Le Vendeur de sang" (Actes Sud, 1997 ; Babel n° 748), "Un amour classique" (Actes Sud, 2000), "Cris dans la bruine" (Actes Sud, 2003), 1986 (Actes Sud, 2006) et "Brothers" (Actes Sud, mars 2008).



“ Celui que les lecteurs américains comparent à Hemingway privilégie en effet la simplicité du style : phrases courtes et nombreuses onomatopées. Un texte qui colle à ses personnages populaires, tel Xu Sanguan, le petit vendeur de sang, ou encore l’héroïne de "Vivre !" ” (La Tribune de Genève)



" J'ai eu le coup de foudre en lisant le roman de YU Hua. ce livre retrace la vie de millions de familles chinoises. Il montre la société chinoise, son histoire et sa culture de façon simple et authentique, la Chine profonde au quotidien à travers une famille ordinaire. [...] Garder l'espoir face aux problèmes et aux temps difficiles. Voilà de quoi il s'agit quand il s'agit de vivre... " (ZHANG Yimou)
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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Vivre !

Je suis depuis quelque temps à la recherche de lecture nippone.

J'ai rencontré ou entraperçu sur Babelio un de vous qui lisez ce genre de lecture (@osmanthe).

J'ai donc par indiscrétion parcourue ses romans préférés (les 5 étoiles) et je suis tombé sur ce petit ouvrage chinois. (oui, il m'arrive de regarder vos lectures « sur une île déserte » ou vos « 5 étoiles », je suis hyper curieuse…).



Je l'ai lu en une journée. J'ai adoré même si je suis troublée ou plutôt triste ou plutôt abasourdie sur cette vie si mouvementée.



Alors, je dirais merci à @Osmanthe de m'avoir fait découvrir ce livre… Je fouillerai encore…

Il restera longtemps gravé dans ma tête.



Un auteur que je continuerai de découvrir !



Bonne lecture !


Lien : https://angelscath.blogspot...
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