CHAMBRE MEUBLEE
(...)
en suivant la lumière dorée
nous montons trois marches
on voit un carré de jardin
à travers la porte entrouverte
les feuilles respirent la lumière
les oiseaux soutiennent la douceur du jour
un monde irréel
chaud comme du pain
doré comme une pomme
les tentures défraîchies
les meubles non apprivoisés
la cataracte des miroirs aux murs
voici des intérieurs réels
dans ma chambre
celle des trois valises
le jour se dissout
dans la flaque du rêve
La rose noire
elle apparaît
noire
aux yeux aveuglés
par la chaux
elle effleure l’air
et se fige
diamant
rose noire
dans le chaos des planètes
jouant
du pipeau de l’imagination
fais sortir
les couleurs
de la rose
noire
comme un souvenir
de la ville calcinée
le violet – pour le poison et la cathédrale
le rouge – pour le bifteck et le roi
l’azur – pour l’horloge
le jaune – pour l’os et l’océan
le vert – pour la jeune fille changée en arbre
le blanc – pour le blanc
ô rose noire
dans la rose noire
que caches-tu
parmi les moucherons morts des électrons
L'ACROPOLE
Aucun autre édifice au monde n'occupa autant mon imagination. Les photos, les dessins, les descriptions étaient un aliment liquide, dépourvu d'odeur, de couleur et de profondeur. Je connaissais plutôt bine la topographie, les dimensions et les contours des principaux temples. Leur ensemble pourtant était couleur de chaux, posé immuablement sur le une surface plane, il ne respirait pas la lumière, et le ciel au-dessus était de papier.
Les objets
Les objets inanimés sont toujours comme il faut, et on ne peut malheureusement rien leur reprocher. Je n'ai jamais réussi à voir une chaise se balancer d'un pied sur l'autre, ni un lit se bercer. Aussi les tables, même quand elles sont fatiguées, n'osent pas plier. Je crois que les objets font cela pour nous éduquer, afin de nous reprocher notre inconstance.
On nage toujours vers la source, à contre-courant ; les détritus nagent avec le courant
Les élus des étoiles
Ce n'est pas un ange
c'est un poète
il n'a pas d'ailes
seulement la paume droite
emplumée
il bat l'air de cette paume
s'envole à trois pouces
et retombe de suite
quand il est tout en bas
il donne un coup de pied
reste suspendu en l'air un instant
agitant sa paume emplumée
ah s'il arrivait à s'arracher à l'attraction de la glaise
il pourrait habiter le nid des étoiles
il pourrait sauter de rayon en rayon
il pourrait -
mais les étoiles
à la seule pensée
d'être sa terre
tombent effrayées
le poète se couvre les yeux
d'une paume emplumée
il ne rêve plus de vol
mais d'une chute
qui dessine comme l'éclair
le profil de l'éternité
Peut-être ne vivais-je pas - ne faisant que durer - jeté malgré moi
dans quelque chose - qu'on ne peut maîtriser et qu'on ne saurait comprendre
Comme une ombre sur un mur
Ce n'était donc pas une vie
Une vie de plénitude
Des vestiges d’empire, de puissants châteaux et de capitales ne nous émeuvent pas autant que les ruines des palais minoens. Il semble que la morgue des grandes civilisations ait été étrangère aux habitants de la Crète antique. Ils ne défiaient pas le sort. Ils tentaient de durer dans leur singularité, avec leur sentiment illusoire de sécurité. Le déchaînement des éléments fut trop grand et bien trop cruel, au regard de ce qu’il détruisit. Leurs ruines sont les ruines d’un berceau, les ruines d’une chambre d’enfant.
Nous allons un peu boire
un peu philosopher
peut-être que tous deux
faits de sang et d'illusion
nous pourrons nous libérer
de la pesante légèreté de l'apparence.
La forêt
Le chemin court pieds nus jusqu'à la forêt. Dans la forêt il y a beaucoup d'arbres, un coucou, Jeannot et Margot et d'autres petits animaux. Il n'y a que les petits nains qui manquent parce qu'ils sont sortis. Quand le soir tombe, la chouette ferme la forêt avec une grosse clé, car si le chat venait à y entrer, il en ferait des dégâts.