L'éclat d'un paysage printanier détend le coeur et l'esprit. Pourtant il n'a pas la beauté de l'automne. C'est alors que la légèreté des nuages et du vent, le parfum des orchidées et des camélias, le ciel et l'eau qui se renvoient leur lumière purifient le corps et l'esprit.
(II-46, p.112)
Le cœur humain est inconstant, les routes du monde sont escarpées. Quand on est arrêté par un obstacle, il faut connaître l'art de reculer d'un pas. Quand on avance sans obstacle, il faut avoir le mérite de ne pas occuper toute la place.
(I-35, p.32)
Le déclin s'annonce à l'apogée du succès.
Un tour favorable du sort s'amorce au fond de la détresse.
Aussi, lorsqu'il jouit de la tranquillité, l'honnête homme doit-il garder une pensée pour les malheurs qui peuvent survenir, et lorsqu'il est dans l'adversité, endurer les tourments pour se préparer au succès.
Les adeptes du chan disent : "Mange quand tu as faim, dors quand tu es faigué*." Les maîtres de poésie disent : "Utilisez les mots de tous les jours pour décrire ce que vous avez sous les yeux."
En effet, les plus subtils mystères s'expriment par les choses les plus ordinaires, le plus inaccessible apparaît à travers le plus accessible. Ceux qui sont mus par une intention s'éloignent de la Voie, ceux qui sont sans dessein précis s'en approchent.
(II- 35, p.108)
*Il s'agit en fait d'un vers du philosophe "intuitionniste" Wang Yangming. Mais l'idée est souvent exprimée par les maîtres chan.
Les tempéraments impatients sont un feu qui brûle tout ce qu'il touche. Les cœurs secs sont une glace qui gèle tout ce qu'elle touche.
Les gens qui se figent dans leur obstination sont comme de l'eau stagnante ou du bois mort. La vie est tarie en eux, il peuvent difficilement faire œuvre qui vaille ou apporter du bonheur autour d'eux.
(I-69, p.43)
C'est dans la vacuité du coeur que notre vraie nature se révèle. Si notre coeur ne cesse d'être agité, il est aussi vain de chercher à y voir notre vraie nature que de vouloir pêcher la lune dans l'eau.
C'est dans la pureté des intentions que le coeur est vraiment limpide. Si nous ne sommes pas transparents, il est aussi vain de vouloir avoir le coeur limpide que de chercher son image dans un miroir empoussiéré.
Déguiser son habileté en inaptitude, exercer sa sagesse sous des dehors obtus, abriter son intégrité derrière quelques compromis, se courber parfois pour mieux se redresser : voilà la planche de salut qui permet de naviguer dans le monde, voilà le triple refuge* où se mettre en lieu sûr.
(Livre I - n°116, p.58)
*Allusion au proverbe : "Le lièvre malin a trois terriers." L'apparence maladroite ou stupide est un thème taoïste (cf. note I, 55).
Lorsque l'univers est silencieux, on écoute avec une délectation particulière un oiseau qu'on entend soudain chanter. Lorsque la végétation est morte, on comprend la puissance de l'élan vital en voyant soudain une fleur éclose.
Cela montre que ce qui vient du ciel ne meurt jamais tout à fait, que l'éternel mouvement peut toujours repartir.
[...] Il faut avoir gardé le silence pour savoir qu'on s'épuise à trop parler.
(Livre I - n°32, p.31)
Lorsque la lampe faiblit et que les voix de l'univers se taisent, c'est le moment pour nous de trouver le calme.
Lorsque les rêves de l'aube se dissipent et que le monde ne s'agite pas encore, c'est le moment de sortir de la torpeur.
Si nous profitons de ces instants pour entrevoir notre nature réelle et ouvrir notre cœur à la lumière*, nous comprenons alors que nos sens sont des carcans qui nous emprisonnent et nos passions des machines qui nous commandent.
(Livre I - n°146, p.68)
* Expression bouddhique qui signifie "réfléchir la lumière en soi". Cf 'Entretiens de Lin-tsi' : "retourner sa vision vers soi-même" (l’œil étant conçu comme lumière) (trad. P. Demiéville, Fayard, 1972).