Marie-Laure Santos-Banant

Laura éprouve une réelle satisfaction, un contentement qui la remplit
de chaleur, de douceur. Elle comprend à quel point son
engagement est important. C'est un combat quotidien difficile
mais tellement salvateur. La joie des enfants est communicative
et efface toutes les désillusions.

« — J'ai longuement réfléchi hier et cette nuit. Comment te dire ? Je crois que je suis en marche vers une sorte d'acceptation de ce qu'a été ma vie jusqu'à maintenant. J'ai envie de renouer avec mes souvenirs, d'endosser les responsabilités de mes choix et surtout, de regarder vers un nouvel horizon hédoniste dans lequel nous serons ensemble. Et même si j'ai conscience que je ne suis pas une fée qui peut tout changer d'un coup de baguette magique, je ne vais plus me contenter d'essayer, je vais réussir. Tout cela est nouveau pour moi et je ne sais absolument pas comment je vais m'y prendre. Je sais que je ne retournerai pas en mission humanitaire et je n'irai pas non plus travailler avec toi à l'hôpital, mais pour le reste, c'est le flou total. Une dernière chose, je ne suis pas capable d'être la mère de nos enfants, pas maintenant. Je peux simplement être moi, avec mes défauts, mes qualités, mes doutes et ma volonté. Est-ce que c'est trop d'un coup ? Est-ce que tu peux vivre avec ça ?
Bob se frotte le menton, il sourit. C'est ce qu'il fait quand il est heureux. Ses yeux, bleu océan, pétillent et illuminent son visage. Il avance vers Laura et lui caresse la joue :
— Tu es indomptable et inflexible et alors ? Je crois que je vais pouvoir survivre…
— Comment peux-tu en rire ? As-tu compris ce que je t'ai dit ? Je suis très sérieuse.
— Je t'aime et je ne demande pas plus que de partager ta vie. Ne t'inquiète pas pour le reste, nous avons le temps. »

— C'est parce que tu m'aimes si fort que tu as si mal. L'amour ne devrait pas avoir cet effet. Moi aussi, j'ai aimé au point de tout accepter, au point que l'amour devienne un réel sacrifice. Regarde où cela m'a conduit. Avant de partir en Haïti, j'étais cloîtrée dans un foyer pour femmes battues après avoir subi le débordement d'un animal, les coups et l'humiliation, la séquestration, le viol conjugal, la peur, le désespoir jusqu'à la fuite de la vie. Jamais je n'aurais cru possible de survivre, mais j'y suis presque arrivée. Pourtant, les fantômes de ce passé sont bien plus cruels et frénétiques que je ne pouvais imaginer. C'est ce contre quoi je dois lut- ter aujourd'hui. Et bien que la force et la sincérité de ton amour me portent, je suis terrorisée par mes sentiments et je ne peux surmonter mes angoisses. Je n'ai pas d'autre choix si je veux espérer me libérer de l'asservissement de cet homme qui m'a brisé…

— Laura…
— Je n'en ai pas fini. Tu vois, je te parle, je te confie ce que je m'étais jurée de taire à jamais pour ne pas ternir la pureté de notre histoire. J'ai échoué une fois de plus. Tu crois m'aimer, mais tu détestes la part obscure qui est en moi. Je n'aurai jamais dû partir d'Haïti. C'était trop tôt ou trop tard. À présent, je t'en conjure, ne dis rien, pas maintenant. Il n'y a rien à dire, rien à regretter. Je veux essayer pour toi, pour nous, mais je dois le faire à ma façon. Je comprendrais si tu ne veux pas attendre. C'est tout ce que je peux t'offrir même si de toute évidence, je t'aime.

« Laura pense à tout ce qu'elle aurait pu ou aurait du faire comme si sa dernière heure était arrivée. Elle se cramponne à la fenêtre sans pleurer parce qu'elle est dépouillée de tout, asthénique et brisée par toutes ces épreuves qui la poussent dans ses plus grands retranchements.
Les heures passent au rythme d'un goutte à goutte imbuvable. Le cyclone tomas perd peu à peu de sa puissance. Il s'éloigne enfin d'Haïti. Laura soupire, tout est fini se dit-elle.

Elle est sauvée mais combien auront péri ?  »

Je contemple le monde des vivants, éblouissant, incroyable et parfois consternant. L’être humain se met en danger, oubliant l’essentiel, la quintessence de la vie qui offre avec pudeur et simplicité toute sa magnificence, fragile et profonde.

Elle lui conte ses aventures depuis son
départ : le choléra, l'ouragan, les émeutes, la fatigue, ses espoirs
et déceptions ; bref tout ce qui illustre son quotidien.

La vie est une pièce de théâtre, ce qui compte ce n’est pas qu’elle dure longtemps, mais qu’elle soit bien jouée.