Mais souviens-toi aussi que chacun ne vit que le moment présent, et que ce moment ne dure qu’un instant ; le reste, il a été vécu ou est dans l’incertain.
Elle se demandait si elle devait interroger son époux bien-aimé ou s'approcher de lui et l'embrasser.
Pour Emilio Comici
Des lacs de stupeur s'ouvrent en grand
le soir dans tes yeux
entre sons et lumières :
de lentes fleurs de folie s'ouvrent
sur l'eau de l'âme, réfléchissant
la grande cime couronnée de nuages...
Ton sang qui rêve de pierres
est dans la pièce
un fabuleux silence.
Per Emilio Comici
Si spalancano laghi di stupore
a sera nei tuoi occhi
fra lumi e suoni :
s’aprono lenti fiori di follia
sull’acqua dell’anima, a specchio
della gran cima coronata di nuvole…
Il tuo sangue che sogna le pietre
è nella stanza
un favoloso silenzio.
Misurina, 7 agosto 1938
Traduit de l'italien par Thierry Gillyboeuf | pp. 258-9
N’estime jamais comme utile à toi-même ce qui t’obligera un jour à transgresser ta foi, à quitter la pudeur, à concevoir de la haine pour quelqu’un, à suspecter, à maudire
"Le Reichstag brûle" .....
Bien sûr que cet incendie est terriblement bête et grossier ... Mais tout ce qu'ils ont fait jusqu'à présent est bête et grossier et malgré tout, ils ne se sont jamais trompés dans leurs calculs. Ils ont spéculé sur la sottise des masses avec une logique effroyable ; c'est sans détour que le Führer lui-même, dès les premières éditions de son livre, a défini cette spéculation comme le principe de base de son action politique : alors, pourquoi ne pas continuer ? Là où le Grand Quartier général a dû s'arrêter de mentir à la fin de la guerre, ils ont repris le flambeau avec une implacable détermination. Et les paysans et les petits-bourgeois ont cru chacun de leurs mensonges. Pourquoi n'avaleraient-ils pas aussi celui-ci ? Le principe de ces gars-là est affreusement simple : que ton oui soit non et que ton non soit oui. Ils ne s'embarrassent pas de finesses inutiles. Ce sont de gigantesques Machiavel petits-bourgeois, affreusement caricaturaux. C'est à cette roublardise primitive qu'ils doivent justement leurs succès : parce que les autres supposent à chaque fois que personne ne tombera dans un piège aussi grossier. Or, à chaque fois, tout le monde tombe dedans. .... Cette revendication radicale, fondamentale du mensonge comme principe politique supérieur est assurément d'un intérêt capital.
p. 224
Implacable amour, à quoi ne forces-tu pas le cœur des mortels !
Parle peu, et ne t’ingère point dans de multiples affaires.
Nous n’avons pas peur. Nous venons de manger du loup.
Il y a en nous une bête sauvage. Comme elle, nous avons les dents
acérées, les griffes prêtes à déchirer. Ah! qu’on essaye de jouer
avec nous au plus faim… ce soir, nous sommes invincibles.
— Tu sais, Lola, dans un film, aucun doute qu’il aurait le personnage du bûcheron psychopathe. Et ça ne serait pas un rôle de composition, crois-moi.
— Tu es dure ! Moi, j’aime bien son côté brut. Très viril, répond-elle en l’observant avec un air rêveur. Non, nous ne parlons décidément pas du même homme ou bien elle est devenue folle. Je dois la recadrer au plus vite.
— Viril ne veut pas dire plein de poils partout. Tu voulais dire hirsute et touffu, n’est-ce pas ?
— Tu exagères.
— Si peu. Sa barbe est si drue qu’on pourrait y semer des radis. Je ne serais qu’à moitié étonnée qu’il ait du lierre qui pousse sous ses bras et de la mousse dans ses oreilles.
Des polars et des thrillers. Mamie Margarete aimait donc le suspense.
Les gens qui n’apprécient pas ce genre de littérature s’imaginent que ceux qui en lisent sont des êtres assoiffés de sang, ou totalement insensibles.
Ils se trompent. Ils ne comprennent pas que, dans ce monde où la réalité déborde déjà d’horreur, on puisse avoir envie d’occuper son temps libre en se plongeant dans une violence fictive.
Dans le monde réel, les atrocités sont souvent d’autant plus effarantes que les entrefilets des journaux ou les brefs reportages télévisés ne leur fournissent guère d’explication. Les polars et les thrillers , eux, se préoccupent des mobiles et essaient d’expliciter l’inconcevable.
Et ils ont souvent un happy end, leur différence
Oh non, pas encore, songea Hannah. Pas encore un cadavre !
L'ANCRE
Je suis restée seule dans la nuit :
j'ai sur le visage la saveur de tes larmes,
autour de mon être
le silence – qui sur le bruit sourd
de la porte refermée, en larges cercles
s'aplanit.
Lente dans l'eau obscure
du cœur –
lente et sûre,
entre les algues profondes
les échos des tempêtes les longs courants
les molles guirlandes des flots
autours d'écueils
engloutis –
lente et sûre,
jusqu'aux sables secrets gisant
au fond de l'être –
fidèle tenace, avec ses trois bras
luisants
pénètre l'ancre
de tes trois mots :
« Toi, attends-moi. »
L'ÀNCORA
Sono rimasta sola nella notte :
ho sul volto il sapore del tuo pianto,
intorno alla persona
il silenzio – che sul tonfo
della porta richiusa, a larghi cerchi
si riappiana.
Lenta nell’acqua oscura
del cuore –
lenta e sicura,
tra le alghe profonde
gli echi delle tempeste le lunghe correnti
le molli ghirlande di onde
intorno a inabissati
scogli –
lenta e sicura,
fino alle sabbie segrete giacenti
sul fondo dell’essere –
fida tenace, con i suoi tre bracci
lucenti
penetra l’àncora
delle tue parole:
– Tu aspetta me –.
16 dicembre 1934
Traduit de l'italien par Thierry Gillyboeuf | pp. 116-9
Il n’est pas facile de voir un homme malheureux pour n’avoir point arrêté sa pensée sur ce qui passe dans l’âme d’un autre
Sa situation venait de passer de désespérée à quelque chose de pire encore.
C’est la Hinckley Face , pensa -t-elle, horrifiée. Cette expression portait le nom de John Hinckley, qui avait tiré un jour sur le président américain Ronald Reagan. La recherche en décryptage d’expressions faciales la considérait comme la mimique caractéristique du terroriste.
— Tu ne crois donc pas qu’elle ait tué sa famille ?
— Non, pas du tout.
— Comment peux-tu en être si sûr ?
— Ça ne colle pas. Je la connais .
Ah, c'en était bien fini du cocon protecteur de son cher pâté de maisons de la Friedrich-Karl-Strasse. "My home is my castle" n'était plus qu'une pure réminiscence scolaire, sans signification concrète. Certes, les deux cent soixante-dix appartements se ressemblaient toujours comme autant de boîtes de sardines, mais en ce qui concernait M. Wolfsohn, il s'était produit un changement incompréhensible. Voilà à peine six semaines, à peine quatre semaines, il était l'un de ces deux cent soixante-dix chefs de famille, il avait les mêmes devoirs que les autres, les mêmes opinions, les mêmes joies, les mêmes soucis, les mêmes droits, il était un paisible contribuable ne demandant rien à personne et auquel personne ne voulait de mal. Aujourd'hui, les autres étaient restés tels quels, alors que lui, à en croire ce qu'il lisait à tous les coins de rue et ce qu'il entendait dire partout, voilà qu'il était devenu soudain un loup féroce, qu'il avait mené la patrie à sa perte. Comment ? pourquoi ? Il se creusait la tête dans son fauteuil, il ne comprenait pas.
p. 178
Et si tout cela était une conspiration ? Si personne n’avait intérêt à ce qu’elle recouvre la mémoire ? Elle commençait même à douter que celle-ci lui revienne vraiment un jour. Mais peut-être avait-on fait d’elle un bouc émissaire, sans plus rechercher le véritable coupable ?
Elle était experte en décryptage d’expressions faciales, parfois appelé résonance expressive ou mimicologie, elle guettait les plus infimes changements dans la musculature d’un visage , les mouvements des lèvres et du menton, des yeux et du nez, des sourcils et du front.
- Tais-toi, femme impudente, et ne t'élève pas au au-dessus de ta condition.
- Va donc, espèce de chochotte épaisse du bulbe, avec tes grands airs ! Toi, le bâtard minable qui joue les brutes, tu me parles de ma condition ? Tu mériterais un bon coup de surin, mais je vais pas salir ma lame sur toi. Viens donc un peu me le répéter en face. Je suis une fille de Londres, moi, oublie pas ça, vieille betterave, sinon je m'en vais te débarbouiller à la potasse jusqu'à Brixton, aller-retour, espèce de fils de pute.