Don Delillo - Underworld Outremonde
J'étais plongée dans Underworld, et je me suis vue à un dîner, dire tout le bien que je pensais de MON Don Delillo, comme si je voulais convaincre mes camarades de le lire.
C'était crétin. Et pas vraiment mon but d'ailleurs, mais ça y ressemblait.
C'était crétin, parce que c'est MON Don Delillo. Comme si tu pouvais convaincre des gens, non de faire un enfant, mais de faire TON enfant.
C'était crétin, parce que Don Delillo, ce n'est pas une lecture, c'est une action. C'est une action de plonger dans un livre tel que Underworld/Outremonde (je n'arrive pas à choisir). C'est une action d'y nager, de sortir de l'eau, d'y replonger ensuite. On ne lit pas un Don Delillo, on vit avec. On peut prendre son temps à l'infini, comme un film d'Hitchcock qu'on passerait au ralenti à deux images/seconde. On peut le reprendre dès qu'on a tourné la dernière page, et le relire, le relire. On peut passer sa vie avec. Ou carrément déménager dedans. Ça m'arrive souvent de rêver que je découvre des pièces abandonnées dans mon logement, c'est des rêves géniaux, ça existait et je l'ignorais, et maintenant mon habitation s'agrandit, s'agrandit, c'est là c'est gratuit c'est à moi. Je déteste me réveiller de ces rêves-là. Peut-être que grâce à Don, ces pièces secrètes sont maintenant à ma disposition.
Don, merci pour cette grâce, merci pour ce don. Don a le don, au moins de ME donner ces ouvertures. Et j'ai la grâce de savoir les recueillir, ces dons de Don.
"Are you experienced ?" Le délire sous héro de Jimi Hendrix. Yes sir, now I am. Cette expérience de lire un Don Delillo, je sais qu'elle est rare, qu'elle est incroyable, qu'elle n'est pas destructrice mais remplissante, qu'elle n'est pas simple à atteindre c'est vrai, d'où l'envie de regarder avec une douce condescendance ceux-celles qui ne l'ont pas vécue, poverini.
Mais parce que certains se sont lancés et n'ont pas adoré le voyage, j'avoue humblement que… que j'ai de la chance. La chance que plein de choses résonnent en mes appartements, avec cette lecture. Résonance. Je vais répéter ce mot, tant j'ai baigné dans ces résonances, tant mon voyage à moi dans Underworld en était plein. J'ajoute qu'il me semble que Delillo marche comme ça aussi. Résonance, ces boules de billards qui rebondissent dans sa tête puis dans sa plume, je le sens comme ça, mon Don. Tiens, par exemple.
Delillo a déclaré : "l'assassinat de Kennedy m'a fait". "…m'a inventé comme auteur". "Je ne serais pas cet écrivain si cet assassinat n'avait pas eu lieu".
Il a expliqué dans une autre interview qu'il a appris que Lee Harvey Oswald avait vécu dans le Bronx, comme lui, jeune ado. Et que soudain, en résonance, cette vaste histoire du mystère Kennedy pouvait lui être accessible, humainement, quasi dans sa chair, parce que ce qu'il voyait de sa fenêtre dans sa jeunesse, le petit Oswald l'avait sans doute vu aussi, à quelques années près.
Et c'est cette simple constatation qui l'avait mis dans le train qui arriverait à Libra, son livre sur Oswald, qui a fasciné James Ellroy et l'a décidé à se lancer dans American Tabloïd.
Etrange, cette confidence. Je la capte à 100%, juste ravie et étonnée. Je suis moi-même en plein 22 novembre 63. Je connais chaque cm2 de Dealey Plaza, chaque rue qui y accède, chaque angle de tir, l'emplacement de chaque témoin… Ça fait des années que je m'y plonge, dans l'univers Kennedy, mais là quand je lisais Outremonde, j'y passais (j'y passe encore) plusieurs heures par jour - par nuit. Un puits sans fond de découvertes.
Á la toute fin de Americana (ouvrage de jeunesse de Don Delillo), le héros passe par Dealey Plaza avant de rentrer à New York. Il nomme les rues Elm, Houston, Main Street qui résonnent à l'oreille de tout kennedophile. Ça n'occupe qu'un petit paragraphe, ça n'a rien à voir avec l'espèce d'histoire du livre, mais c'est là, au chaud, inscrit.
Je ne parle pas de Libra bien sûr, qui commence dans le métro du Bronx enveloppant le jeune Lee Oswald de sensations kaléidoscopiques. Mais dans Point Omega, le 4ème livre de Delillo que j'ai lu pour l'instant, le Psychose d'Hitchcock passe donc à deux images/seconde… Peut-on y trouver une résonance avec le film de 26 secondes montrant l'assassinat de Kennedy tourné par un amateur, Abe Zapruder ? Ce film a été scruté image par image, à l'infini, la balle qui arrive, le cerveau de Kennedy qui explose, Jackie qui part sur le capot arrière pour récupérer ces morceaux de la chair tiède de son mari, la réaction des gens, la voiture qui repart…
Dans Underworld, sautant du coq à l'âne, on découvre cette scène où des arties new yorkais, en 1974, ont mis la main sur une captation houleuse du film de Zapruder, et diffusent ça en boucle dans un appartement-galerie underground. Les 26 secondes ensanglantées ne seront diffusées à la télé qu'un an plus tard en 1975. Et nos artistes arties désabusés regardent ces incroyables images et se retrouvent en slip. Un homme meurt sous nos yeux. Un vrai homme meurt vraiment. Son crâne explose, bien rouge, en vrai. Je venais d'en parler la veille, de ce film du siècle, et voilà que sans prévenir, débarque cette scène étrange du livre. Je me suis sentie un peu distendue entre littérature, réalité et mythe, entre présent (ma lecture au lit), passé réel de l'assassinat et passé de fiction, entre Dallas (la mort de JFK), New York (les arties sidérés) et Paris (mon lit douillet).
Don Delillo parle aussi, dans un chapitre différent, d'une autre video. Vers 1985, une petite fille dans la voiture familiale qui part en vacances, s'amuse à filmer une voiture roulant près d'eux, sur l'autoroute. Il ne se passe rien, l'homme esquisse même un léger signe vers la gamine. Puis il se fait tuer d'une balle. Le tueur de l'autoroute du Texas à l'oeuvre, sans doute dans la voiture suivante que la gamine n'a pas filmée. Un serial killer de fiction. Dans le livre, ce film passe en boucle à la télé plusieurs fois par jour, et les gens sont fascinés de voir sur une video amateur un homme qui meurt, en direct. Je n'ajoute rien !
Quoi d'autre, comme incroyable hasard de résonance entre ma vie et le livre ?
Ce petit tricotage joli :
Un des personnages du livre est une bonne soeur. Une observatrice pointue de la vie de son quartier, le Bronx. Delillo l'a appelée Soeur Edgar - au moins un gros clin d'oeil à Hoover, bien sûr. Mais il n'y a pas que JFK dans la vie.
La Soeur Edgar qui fait la classe aux élèves du Bronx, se lance pendant les vacances à apprendre par coeur Le Corbeau. Don D. ne cite pas l'auteur, c'est Le Corbeau, voilà. Petit indice cependant, il dit juste que la soeur Edgar se sent très edgarienne avec ce texte.
Il s'agit du poème le plus célèbre de Edgar Allan Poe, The Raven, et justement…
Je l'ai appris par coeur, il y a bien trente ans. En anglais. Du genre j'adore me le réciter à l'occasion, c'est assez hypnotique comme litanie.
And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting…
C'est pas fini, il est taquin, Don D., il écrit que soeur Edgar apprend à ses élèves à ne jamais commencer un texte ou une phrase par "Et".
Le début du poème : "Et le corbeau, jamais en train de voler, toujours assis, toujours assis"…
Delillo, lui, a commencé son livre de jeunesse, Americana, par "Puis".
Mais il y a peut-être que JFK dans la vie delillesque, car la fin de ce poème dit :
"Et mon âme, prise dans cette ombre qui ment en flottant sur le sol… Ne se relèvera… Plus jamais."
Et moi, en immersion jihaifkaïenne, j'y vois une résonance avec ce qu'a déclaré Don, cité plus haut : "le 22 novembre m'a fait". Comme si son âme, prisonnière de cet acte, de ce meurtre, de ce film, et de tous les mensonges qui flottent autour, ne se relevait pas. Ne s'en relèverait jamais.
Never more.
Quoi, ça ne vous épate pas ? Vous êtes difficiles, mais j'en ai d'autres sous la semelle.
Nouveau jeu de hasard entre DDL et moi : Lenny Bruce. Lenny, nous les adoratrices de Dustin Hoffman, on l'avait vu, ce film de Bob Hope, il y a fort longtemps - au moins je savais qui était ce gars, roi torturé du stand-up et provocateur traqué par le puritain FBI de Hoover pour obscénité. Jusque là dans ma tête, Lenny Bruce avait la tête de Dustin Hoffman, quand soudain je découvre sur une parution d'une amie-facebook la vraie tête du gars, que j'ai trouvé incroyablement sexy. Lourde paupière, au bord de l'abîme, bouche acerbe, joue boudeuse, rhâââââaaa lovely…
Et pof, DDL me le sert tel qu'en lui-même sur de longues pages, dans la folle angoisse d'une guerre nucléaire évitée de peu (grâce aux Kennedy's brothers, pour le coup). Un Lenny sur-angoissé qui transforme ça en délire au long des scènes qu'il vient hanter.
Pour le hasard suivant, ce n'est qu'un détail, mais ça m'a amusée. Le logo de Lucky Strikes représente-t-il une cible ? s'interroge DDL qui décrit ces cercles de différentes couleurs. Moi pour vérifier, je ne vais pas voir sur internet à quoi ressemble ce logo, non, je vais voir mon produit vaisselle. Le truc con : j'ai collé sur le distributeur de savon une pochette Lucky Strikes (de tabac) gardée depuis des siècles, quand on voyait encore la marque sur les paquets de tabac ou de clopes. Ça m'amuse de lier du produit vaisselle avec du tabagique, comme ça, comme un non-sens.
Non, ça ne ressemble pas à une cible, moi je dis. Sacré Don.
Et dites-moi, Lucky Strikes, traduit en français, ça ne veut pas dire "grèves chanceuses" ? Encore un non-sens… Mais euh non suis-je bête, il y a du strike au bowling, et aussi au baseball.
Et le livre commence par la description du "coup chanceux", du lucky strike de folie lors du match d'anthologie au Polo Grounds de New York le 3 octobre 1951 (l'équivalent dans la mémoire américaine de "notre" finale du Mondial le 12 juillet 1998). Celui où Don D. place, dans le public, Hoover et Sinatra.
La "balle magique" de 1951, tirée ce jour par Bobby Thomson en un inoubliable home-run, la balle qui a fait le tour de la terre tellement le tir a été puissant, est tombée derrière les gradins. Et toute la trame du livre est là, la balle de Thomson, qui va s'en emparer, quel est l'unique chanceux qui va réussir ce coup-là… "Where is the ball" est en quelque sorte le leitmotiv du livre. Elle passe de main en main, la balle historique, on suit ces mains, l'histoire de ces gens, les propriétaires successifs.
Dont un type, qui a construit dans sa cave un vrai musée du baseball, et dont "la" balle est le plus grand trésor. Il s'appelle Lundy, dans le livre.
La "balle magique" de 1963 (rendue célèbre par Oliver Stone dans son film JFK) est censée être la deuxième balle tirée par Lee Oswald à Dallas. Elle n'est pas passée de main en main mais de muscle en muscle, traversant Kennedy à l'épaule près du cou puis enchainant sur Connally assis devant lui dans la Lincoln décapotable. Le gouverneur a été touché à l'épaule, à la cuisse, au poignet… La balle a disparu dans l'espace-temps, puis a été retrouvée sur le brancard de Connally à l'hôpital, quasi-intacte.
DDL ne pouvait pas deviner, en écrivant ce livre en 1997, que 16 ans plus tard, le possesseur de la balle Monsieur Lundy, non pardon, Monsieur Landis, allait faire des révélations.
Paul Landis, alors un des agents de sécurité autour de Kennedy à Dallas, a foiré sa mission puisque Kennedy est mort. Il a démissionné des Secret'Services six mois après, morfondu de culpabilité. Et là en 2023, il a fini par raconter que quand la décapotable a été vidée de ses occupants à l'hôpital Parkland, il est venu voir la voiture et a vu une balle, à l'endroit des pieds de Kennedy. Il dit l'avoir prise, et posée sur le brancard de Kennedy dans l'hôpital à l'attention des médecins. Sauf que ça faisait quatre balles retrouvées, or la version officielle veut qu'il n'y en ait eu que trois, tirées par Oswald. Et cette balle, celle dont parle Landis, s'est perdue dans le marasme du 22 novembre fatal.
Where is the ball ?
Tiens, DDL a écrit, trente ans avant Underworld, un texte nommé "Spaghetti and meatballs", en bon enfant de parents italiens du Bronx (Scorcese a fait un mini doc sur les fameuses boulettes à la tomate de sa mamma - apparemment c'est marquant !). Juste pour dire que les "meatballs", en français, ça se dit "boulettes" (de viande) et qu'en anglais, une balle est une boulette, pardon, a bullet.
Where is the ball ?
Mais Kennedy n'est en rien le sujet central du livre. Il y a deux thèmes, dirais-je. La balle, son parcours, l'histoire de chacun de ses propriétaires.
Et quasiment une étude, qui court tout le long du livre : les déchets, les déchets laissés par les humains.
Eh, dans la nature hors humains, il n'y a pas de déchets ? Ah oui, non. Même les crottes des animaux viennent nourrir la terre, sans parler des os laissés aux charognards nettoyeurs, les branches et feuilles mortes alimentent la terre aussi, les coquillages vides deviennent du sable, bref, rien ne se perd, vous connaissez le truc.
Les humains, eux, laissent des souvenirs encombrants. Ça va des matières fécales… aux déchets nucléaires.
- Texte d'anthologie sur un coin perdu du Kazakhstan. Désert rocailleux, le livre en est plein d'ailleurs. Désert rocailleux, et un business ahurissant - et pourtant nécessaire : se débarrasser des déchets nucléaires en les compactant, en les enterrant profond dans ce désert, et en les faisant exploser.
Avec, c'est vrai, quelques dégâts constatés sur les rares populations alentours.
- Texte d'anthologie aussi, ce récit du "bateau de merde". C'est délirant. D'en écrire des pages, des vraies pages de vraie littérature. Des pages pleines d'humains aussi, ce n'est pas technique, c'est bien nous. Ça ne parle pas d'autre chose que de merde, pourtant, mais c'est tellement étudié, écrit, balancé, que ça en devient fascinant. Le lent voyage jusqu'en Union Soviétique, les viscères qui s'en ressentent et sentent, l'odeur du bateau comme une réminiscence hypnotique pour le personnage. Une hallucination, ce passage, Don a le don, nomdedieu quel grand écrivain, cet homme.
Les déchets, ce n'est pas fini :
- Les déchets qui deviennent des constructions architecturales, ces pyramides d'ordures new-yorkaises s'élevant au bord de l'Hudson en périphérie, monuments pleins, grandissant, envahissant le ciel…
- Et les déchets qu'on transforme en art ? Découverte des Watts Towers, l'oeuvre d'un modeste Italien immigré, Simon Rodia, qu'on appelle le facteur Cheval de L.A., à vous de farfouiller. L'art du déchet, aaah là bien sûr que ça me cause, à moi la factrice Jument, la reine des poubelles, de la récup, de la transformation, jusqu'à en écrire un petit livre. Vos emplettes sont nos emplois, disait la pub ? Vos déchets sont mes sujets, dirais-je. Vos déchets propres, ce qui reste sur le trottoir après un déménagement, après des travaux, après vous… J'adoooore, j'adore faire ça, j'adore l'art modeste des frères Di Rosa, j'adore ces matériaux gratuits qu'il n'y a qu'à piocher au hasard des rues pour les transformer en oeuvre d'aaaaart. Encore une vraie résonance, et pas la moindre, avec le cher Don.
- Et voir plus grand, en mettant de la couleur sur le cimetière des B-52 dans le désert, méga récup artie de méga déchets. Ça c'est un des personnages du livre qui nous présente le concept. De la couleur sur ces engins de mort morts, qui croupissent dans le désert, inoffensifs, et qui jadis répandaient du napalm au Vietnam. Le cauchemar orange de l'époque, le cauchemar du napalm, et des gens qui pilotaient ces B-52. Des gens qui noient l'horreur de leurs actes en s'imposant l'horreur des déchets humains voguant sur la grande bleue…
- Et pousser très loin le concept de l'art de la récup, taquin Delillo, taquins artistes engagés. En venant faire les poubelles de Hoover le roi des poubelles des autres (incroyable comme ces sacs bien fermés renferment d'informations, disait-il en envoyant ses sbires fouiller tout ça pour découvrir des preuves). Faire les poubelles de Hoover, à son grand effroi. En garder ce qui est comestible, le cuisiner, le digérer, le chier et lui envoyer cette oeuvre, considérez ça comme un hommage monseigneur.
On le croise ainsi plusieurs fois dans le livre, J. Edgar Hoover. Tout n'est pas noir ou blanc, ni dans la vie ni dans le mystère Kennedy, tout n'est pas noir ou blanc, sauf cette fête new-yorkaise organisée par Truman Capote et restée culte, toute en tenues et masques noir&blanc. Hoover n'était pas invité, mais a décidé d'y aller quand même, avec son homme. Et un masque ouvragé qui le dissimulait à peine. C'était en 1966, Capote triomphait avec son livre "De sang froid".
Hoover n'était pas invité au meurtre de sang froid de Kennedy, mais derrière son masque, ayant toutes les infos sur la préparation du coup, il a laissé faire.
Non, c'est pas une obsession ! C'est des résonances, la madame vous a prévenus… Oui parce qu'apparemment, durant cette célèbre fête qui a vraiment existé, il n'y avait ni Hoover ni son homme, Colson. C'est Don Delillo qui les a invités, alors, a-t-il fait le lien lui aussi ? Même chose pour le match du prologue du livre, "Le triomphe de la mort".
Petit tricotage fiction/réalité : Sinatra (alors avec Mia Farrow) a vraiment été invité à la fête de Truman Capote, mais Don n'en parle pas. Il le situe par contre dans le public du match du prologue. Ce qui semble être inventé.
Sinatra, vous savez, le super-pote de JFK… jusqu'à ce que celui-ci soit élu. Bon d'accord je ne dis plus rien.
Petit gag pour finir : il y a longtemps, avec un pote né le 9 novembre, on avait dressé la liste des évènements qui ont eu lieu à cette date. Une sérieuse liste, célébration de cette période de l'année qu'on peut appeler "le triomphe de la mort", chère aux sorciers, où la nature commence à s'éteindre et la "survie" des êtres doit piocher dans des sous-sols mystiques pour tenir bon en entrant dans le long tunnel de l'hiver. On y meurt, et on patiente jusqu'à la résurrection. La vie des sous-sols, beaux moments effilés du livre, le métro en long tunnel rassurant, la création qui y vibre, anonyme et pourtant signée. Ceci dit en passant.
Et dans la liste de la journée du chaos, il y avait, mais ça m'était sorti de la tête, la nuit du fameux black-out du 9 novembre 1965 sur toute la côte Est des Etats-Unis. Dont Delillo fait encore d'atmosphériques pages en ce livre. Give me five, Don.
Relisant cette liste sur le net, rayon naissance, je vois le nom de Robert Frank (né le 9 novembre 1924), et il me semble que ce nom est évoqué quelque part dans le livre Underworld… Tiens tiens, DDL n'a pas fini de faire oeuvrer les liens. Quel bonheur.
Recherche de la madame sur ce monsieur.
Eh ben Robert Frank a réalisé le doc "Cocksuker blues" qui est le nom du 4ème chapitre de Underworld. Joli, non, de passer du black-out de 1965 aux Rolling Stones. Car c'est le groupe qui a demandé au photographe suisse Robert Frank, de réaliser le film durant leur tournée. Ce film montre des trucs tellement délirants que même les Rolling Stones ont interdit sa diffusion… Est-ce que la pellicule existe encore, je ne sais pas, en tous cas ça n'a jamais été vu, sinon par les intéressés… Voilà le lien.
Et je crois que c'est ce que je préfère. Etre "cultivé", drôle de mot, quel plaisir peut-on avoir à se remplir de cerveau de choses pas indispensables ? J'ai trouvé ma réponse : c'est le lien. Faire du lien entre les arts, faire du lien entre les histoires, recomposer des mystères en suivant ces liens, faire du lien entre art et humains, faire rebondir ce qu'on sait de ci sur le mur de ça. Trouver des ressemblances, ça aussi c'est faire du lien. Et avec tous ces fils, tricoter son cocon, que le monde nous devienne familier grâce à ça…
Et comme personne n'a exactement les mêmes liens, en parler, échanger, s'interconstruire et faire un monde à chaque fois.
Comme Delillo et moi.
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