Que voilà un curieux livre ! Entre l’autobiographie fictive, conseils d’écriture et récit de SF. Le narrateur est auteur de romans d’anticipation. Il habite en France, dans une Europe où le pouvoir semble avoir oublié la liberté des peuples au profit de ses propres intérêts. Dans une de ses œuvres, il a créé un symbole repris par des résistants. Et le voilà associé à la révolte, bien malgré lui. Sa chute était inévitable.
L’avenir qui apparaît en filigrane dans ce roman n’est pas rose. C’est le moins que l’on puisse dire. L’Europe semble avoir durci le ton et s’être engagée dans la voie de l’autorité sans opposition. On n’est pas dans le même ton que chez John King et son fantasque et dérangeant Anarchy in the U.S.E., mais le fond est le même. Une clique a pris le pouvoir et est prête à tout pour ne pas le perdre ni même le partager. Laurent Queyssi ne nous en dit pas beaucoup plus à travers les réflexions de son auteur de papier. On comprend simplement qu’il ne fait pas bon être dans son collimateur. En effet, bien que connu et en principe intouchable, le narrateur subit une descente aux enfers rapide et douloureuse : prison secrète et isolement. Pendant de longues années. Sans vraiment expliquer quoi que ce soit. Ce qui le laisse gamberger sur les raisons exactes de cette arrestation. Et sur le déclencheur. Qui en est à l’origine ? Une personne qu’il aurait pu froisser. Ce qui est possible, car il s’est comporté, au faite de sa gloire, comme un imbécile égoïste, souvent dirigé par les drogues qu’il ingérait en quantités phénoménales. Ou est-ce son propre frère, bien placé dans le système qui voudrait se protéger de tout rapprochement avec un possible révolutionnaire ?
Malgré cette oppression sans limite, une résistance s’élabore. Des individus, isolés au départ, se rejoignent et forment des mouvements de résistance. Et choisissent pour signe de reconnaissance ce dessin qui apparaît sur la couverture, proche du symbole infini, en plus droit. Le mal est fait pour le narrateur. Mais peut-être est-ce une porte de sortie pour l’Europe et ses citoyens. Cependant, comment faire pour se réunir, échanger des idées sans se faire repérer dans une société où l’électronique est partout ? Y compris dans les têtes. Car chacun peut désormais porter un Aug, version améliorée de notre smartphone. On est directement connecté avec le monde, en permanence si l’on veut. Et même si l’on ne veut pas. En effet, qui empêche des dirigeants peu scrupuleux d’utiliser l’Aug de ses concitoyens comme une caméra et un micro espions ? Difficile, n’est-ce pas, de résister ?
Mais je viens de faire, volontairement, comme le texte de la quatrième de couverture. J’ai insisté sur le contexte et sur le récit qui, en fait, ne sert que de bruit de fond, de contexte légèrement abordé, mais très peu développé. Car Trystero n’est pas un récit comme les autres. Il ressemble même, la plupart du temps, à autre chose. À un de ces livres destinés à donner des conseils d’écriture aux écrivains en herbe, comme en trouve beaucoup. D’ailleurs, le narrateur ne cesse de parler de son apprenti potentiel qu’il est censé guider ainsi.
On a un narrateur qui est auteur, comme celui de Reus, 2066 de Pablo Martín Sánchez. Et qui écrit non pas un journal, mais un texte à destination d’un potentiel lecteur. Mais dans les deux cas, la profession d’auteur crée nécessairement des résonances avec l’auteur de chair et de sang. Laurent Queyssi, en l’occurrence. Il faudrait connaître mieux que moi la vie et l’œuvre de celui dont j’avais lu des traductions exclusivement (comme je le dis dans l’article sur les premières lignes que j’ai consacré à ce roman : je ne vais donc pas me répéter). D’autant que l’essentiel du texte consiste en des conseils d’écriture. Or de tout. Bon, pas tout à fait, car le narrateur s’appuie, pour ses exemples, sur ses propres ouvrages, qui évidemment n’existent pas puisque l’auteur lui-même n’existe pas. Mais il est impossible de ne pas tenter de trouver des correspondances avec certains textes de Laurent Queyssi lui-même. Jeu des miroirs où je ne pouvais gagner, ignorant par trop sa carrière.
Mais l’abus de conflits, d’obstacles peut aussi devenir destructeur pour le récit s’il est mal maîtrisé. Accumuler les emmerdements ne rend pas un personnage digne d’intérêt. C’est l’amalgame entre ses agissements et son intériorité qui en font un être fictif assez crédible pour qu’un véritable humain éprouve des émotions à son sujet. La frontière entre le suspense et le désintérêt est fine.
Tout au long de Trystero, Laurent Queyssi joue sur plusieurs tableaux, avec finesse, mais au risque de dérouter son lecteur. Si on veut y prendre du plaisir, il ne faut pas trop se fier à la quatrième de couverture et donc ne pas s’attendre à un récit classique, mais à une plongée dans l’esprit d’un écrivain dont toute la vie a été balayée par les évènements comme on dit pudiquement et qui nous offre une sorte de testament. Des conseils agrémentés de réflexions sur la société qui l’enferme. Une belle œuvre, touchante mais, je l’espère, pas prémonitoire.
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