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Henry-Luc Planchat (Traducteur)
EAN : 9782221094013
390 pages
Robert Laffont (12/10/2000)
4.21/5   493 notes
Résumé :
Sur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération.
Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose.

Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (70) Voir plus Ajouter une critique
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Première incursion dans l'univers d'Ursula le Guin et je peux vous dire d'emblée que ce ne sera pas la dernière. Qu'est-ce qui m'a tant plu dans les dépossédés ? Je vais essayer d'être concise, sans rien oublier, mais ce n'est pas gagné. Déjà le style : impeccable et une histoire qui aborde une tonne de sujets tout aussi essentiels que passionnants dans un questionnement permanent.

Urras et Annares sont deux planètes qui se font face (chacune étant la lune de l'autre). La seconde, aride et inhospitalière, a accueilli les bannis et autres parias d'Urras qui ont instauré une société égalitaire où l'intérêt général est la suprême préoccupation de chacun, où le bonheur et le bien-être de l'un sont conditionnés au bonheur et au bien-être de l'autre. Les conditions de vie matérielles sont difficiles, mais chacun a, de par sa seule volonté ou prédisposition naturelle, la possibilité de devenir ce qu'il est ou souhaite. Étiquette accolée : « meilleures des sociétés possibles».

Pour Annares, c'est un peu comme sur terre : si la cuillère qui te nourrit est d'argent, grandes sont tes chances qu'elle le reste en vieillissant, peu importe que tu sois intelligent, débile profond, âme pourrie ou gentil Samaritain : le monde t'appartiendra et tu pourras joué dans la cour des rois. Par contre si ton berceau est de misère, espère que de dons ou de neurones tu n'aies point, tu pourras au moins croire que ton pauvre sort, tu mérites… Étiquette décollée : « Liberté-Egalité-Fraternité » à remplacer par ce que vous voulez, ça ne manque pas…

Et comme un pont faisant la liaison entre ces deux mondes : Shevek ! Un physicien surdoué d'Annares qui a mis au point une théorie scientifique, invité à en débattre et la partager sur Urras.

"Il n'avait pas eu d'égaux. Ici, au pays de l'inégalité, il les rencontrait enfin."

Mais voilà, les certitudes de Shevek vont petit à petit s'émousser et le fol enthousiasme du début va laisser place à une déconstruction des bases de chaque monde et de ces sacro-saints idéaux qui les tiennent à bout de bras.

On ne peut pas briser les idées en les réprimant. On ne peut les briser qu'en les ignorant. en refusant de penser, refusant de changer.

Le meilleur des mondes n'est pas forcément exempt d'inégalités et entre l'enfer et le paradis d'Urras se dessine malgré tout un entre deux… Sous le mot de liberté, utilisé par chacun de ces deux peuples, émergent deux visions différentes de société possible. La comparaison entre un communautarisme totalitaire passé et un libéralisme effréné actuel serait trop simple : Ursula le Guin me semble dépasser cette dichotomie pour nous inciter à penser autrement. Au-delà...

"Prouver notre droit par des actes, si nous ne le pouvons par des mots."
Lien : http://page39.eklablog.com/l..
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Le sous-titre anglais des Dépossédés est : "Une Utopie Ambiguë", et c'est bien ce que nous offre Le Guin dans ce énième chef d'oeuvre. À vrai dire, c'est la meilleure fiction que j'ai lue (et j'en ai lu pas mal) sur l'anarchisme.

Elle a pris le sujet assez au sérieux pour créer une "vraie" société anarchiste, pratique, vivante et loin des clichés hollywoodiens des amoureux du chaos et autres foutaises.

Mais elle a aussi pris le sujet assez au sérieux pour éviter d'écrire un pamphlet, contrairement à beaucoup d'autres (je pense par exemple au Pays de Fantômes de Margaret Killjoy). On n'a pas nécessairement envie de vivre dans cette société qui est aussi l'une des meilleures critiques de l'anarchisme que j'ai lues, qui montre les dérives possibles du modèle et ses limitations.

Le roman :
Urras est une planète un peu comme la nôtre. Il y règne un capitalisme plutôt globalisé. Certains pays sont sauvagement capitalistes, d'autres ont adopté la social-démocratie et d'autres encore un capitalisme d'État autoritaire rappellant l'URSS ou la Chine.

Or sur Urras, il y a un peu moins de 200 ans, il y a eu une révolution anarchiste qui a eu un certain succès. Assez pour faire trembler les Gouvernements, mais pas assez pour que ces derniers perdent la capacité de les massacrer s'ils le décidaient. Un marché a donc été conclu : les anarchistes seraient transférés sur la lune (habitable mais au climat difficile) de la planète, renommée Annare. Ils y seraient complètement souverains, mais les échanges entre Urras et Annare seraient maintenus au stricte minimum.

L'histoire : Shevek est un physicien d'Annare qui travaille sur une théorie qui révolutionnera la science. Un genre de Einstein neurodivergent avec des tendances un peu asociales selon les critères anarchistes. En introduction, on découvre qu'il est le premier anarchiste à quitter Annare pour se rendre sur Urras depuis la révolution. Une foule tente de le lapider alors qu'il se dirige vers le vaisseau. le reste du roman alterne entre 1- sa vie sur Annare l'ayant mené à ce point et 2- sa vie sur Urras après ce point.

1- Il est mal vu sur Annare d'avoir un "lieu à soi". le travail pour rendre la lune habitable demande à ce que les gens se déplacent constamment là où il y a à faire. Les couples monogames doivent parfois se séparer pendant quelque temps pour des travaux d'urgence lors de sécheresses. Il serait étrange de laisser un logis habitable vide que quelqu'un pourrait habiter derrière soi.

Mais Shevek est spécialisé en physique fondamentale. Il a besoin d'un espace calme pour travailler, faire ses calculs. Écrire des idées qui n'amènent rien d'utile à une société qui en arrache pour survivre. Bien sûr, il va régulièrement aider aux travaux manuels, pour faire sa part pour la collectivité. Il n'y est pas obligé, il n'y a pas de gouvernement pour le forcer. Mais c'est la bonne chose à faire.

Mais Annare est une société sans argent, sans réel moyens pour expérimenter ses théories. C'est aussi une société qui n'est pas si populeuse et qui ne vit pas assez confortablement pour avoir une horde de physiciens avec qui échanger, débattre de ses idées. Même s'il les publie, qui les comprendra? Il commence donc sa correspondance avec les physiciens d'Urras.

Un autre problème d'Anarre est que, en l'absence de bureaucratie, les corps de métiers sont constitués de syndicats donc les membres sont les travailleurs. Or, le syndicat des physiciens a pour membres les chercheurs que les théories de Shevek cherchent à réfuter. Vous voyez venir les conflits d'intérêt?

2- Shevek arrive sur Urras ou l'attendent un appartement luxueux, un emploi d'enseignant, et les prix en argent que ses publications ont gagnés en son absence. Il découvre le luxe, le confort et l'abondance. (Et pas de discours larmoyant ou de passages où le personnage est choqué en voyant la pauvreté sous le capitalisme. Le Guin est meilleure que ça.)

On y explore les conventions et les tensions sociales qui sont le fruit du capitalisme. Sexisme, classisme, nationalisme, mais aussi le flirt sous le patriarcat, le viol, la guerre...

Et pour arriver à ses fins (qui sont plus compliquées qu'il n'y paraît), Shevek devra naviguer à travers tout ça.
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Après être tombée sous le charme de l'écriture d'Ursula le Guin avec Terremer, j'ai décidé de continuer ma découverte de cette auteur.
le seul exemplaire que possède la mediatheque ( ou je me fourni principalement en bandes dessinées) etait les Dépossédés.
Je l'ai donc emprunté et c'est seulement à l'issue de ma lecture que j'ai réalisé qu'en réalité ce livre est le cinquième tome du cycle de Hain !!! Rhaaa !! Moi qui déteste lire des cycles dans le désordre !!! C'est vrai que je n'avais pas vérifié...Et il est vrai aussi qu'on peut lire ce tome sans avoir lu les précédents...
Cependant, ce petit ecart par rapport à mes habitudes de lectrice ne m'a nullement empeché d'avoir etée à nouveau envoutée par le talent d'Ursula.
Quelle imagination ! quel talent !
Je trouve qu'il est difficile de restituer un avis sur cette histoire tellement elle est riche et complexe.
je vais déjà essayer de planter le décor.
Imaginez un monde composé de deux planètes. L'une est la lune de l'autre. Une est un monde aride, âpre ou la survie de l'individu est difficile sans la collectivité , où les gens se proclament libres et sans rapport de pouvoir. Ce monde se nomme Anarres...
L'autre est une planète regorgeant de ressources, où le capitalisme fait loi. Ce monde se nomme Urras...
Shevek, brillant physicien, va faire le choix de quitter Anarres pour Urras afin de pouvoir mettre en application ses théories.
Pendant toute la lecture de ce livre, on va suivre l'évolution de Shevek, ses choix, ses découvertes, ses réflexions....
Cette lecture , pas toujours facile, je dois le reconnaitre ( les parties consacrées aux théories très scientifiques de Shevek étaient la pour me rappeler que je n'étais pas toujours très douée dans ce domaine du temps de ma scolarité ) a cependant été un très beau voyage.
J'ai beaucoup aimé ce livre, les réflexions qu'amènent inévitablement cette lecture prouvent s'il en est encore besoin qu'Ursula le Guin est à classer dans la catégorie des grands auteurs...

Bon, entre temps, j'ai comblé mes lacunes : j'ai les 4 premeirs tomes de ce cycle sur ma table de nuit .

Challenge Poul Anderson / Ursula le Guin
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C'est une lecture intéressante, difficile et ardue que je fais avec mon binôme Nadou. Une chance qu'elle m'y accompagne car je ne suis pas certaine, que je me serais rendue, jusqu'au bout. C'est ainsi, qu'avec ma copilote, nous faisons toute une plongée, dans tout un univers, que je ne soupçonne même pas. Je reconnais que ça fait un très bon moment, que je ne lis pas mes livres, de mon auteure fétiche d'Ursula le Guin. Encore une fois, je redécouvre et je suis conquise à nouveau par sa magnifique plume.

Captivant, Désarmant, Attendrissant

Dès les premières pages, on voyage avec le héros principal qui est Shevek. Il veut explorer une autre planète, pour faire lui-même sa propre idée. Qu'est-ce qu'il va découvrir? Est-ce qu'il pourra prendre sa place? Il est venu tout seul comme voyageur sans rien mais seulement lui-même. Il nous amène vraiment à voyager avec lui et il fait des prises de conscience.

L'auteure Ursula le Guin gagne vraiment des prix avec cet ouvrage : Hugo 1975, Nebula 1974 et Locus 1975. C'est écrit en 1974 et il est publié en 1975 puis c'est encore de l'actualité même aujourd'hui. Son livre «Les dépossédés» porte très bien son titre, elle aborde des thèmes qui lui tiennent à coeur et ce chef-d'oeuvre est considéré comme un grand classique de la science-fiction.
C'est difficile vraiment à vous décrire ce qu'est «Les dépossédés», je crois qu'il faut vraiment le lire. Ce que je ne trouve pas facile, c'est que les chapitres sont très concentrés, elle utilise du vocabulaire technique et on ne saisit vraiment pas tout. Il ne faut pas oublier que Shevek est avant tout un physicien.

«Pourquoi devrais-je faire don de l'oeuvre de ma vie à Sabul, à tous les Sabul, aux egos mesquins, avides et intrigants d'une seule planète? J'aimerais la partager. Je travaille sur un sujet important. Il doit être répandu, distribué…»

Dans l'ensemble, je suis satisfaite, on découvre les portraits de nos personnages et on doit se laisser porter par eux. L'auteure Ursula le Guin y excelle et elle nous fait voyager. La curiosité est vraiment plus forte que nous et on s'attache également à Shevek. Tu es aussi émotive car il traverse toutes sortes d'épreuves et il vient te toucher en plein coeur. C'est aussi rempli de nostalgie, de nature et surtout de poésie, au coeur de son destin.

Pour terminer, je le recommande aux adeptes de la science-fiction et je remercie mon amie pour ce vrai partage autour de ce livre, très spécial à mes yeux. Je ne m'attendais vraiment pas à cela et je suis heureuse, de me rendre à la fin, comme Shevek lui-même. Je souhaite à tous un aussi beau voyage, que fut le mien car il faut le lire, pour comprendre ce qu'est «Les dépossédés».

J'invite donc à aller voir sa très belle critique et je la remercie pour nos beaux échanges.

Siabelle
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Il ne suffit pas de supprimer la tyrannie pour être libre .

Dans l'univers de l'Ekumen ( un cycle dont tous les romans se lisent séparément ) deux planètes voisines .

Sur Urras des opposants rejettent en bloc une société basée selon eux sur l'injustice ... la contrainte .. la violence .
Ils partent sur Anarres et fondent une utopie ou l'argent n'a plus court et ou tous sont sensés s'épanouir et prospérer dans le respect mutuel .
Mais Annares n'est pas une planète facile , il y a un écosystème aride , beaucoup de travail prioritaire qui prend le pas sur le superflu .

L'utopie survivra-t-elle ? A-t-elle survécu d'ailleurs le jour où le lecteur la découvre ?

Il ne faudrait pas croire que ce roman est un manifeste politique .
C'est une superbe histoire avec beaucoup d'émotions et des personnages prégnants de réalités .
Il y a dans cette oeuvre de la vie .. de la violence politique .. des drames ... de la souffrance ... de l'espoir et des réussites et des échecs .

Ce monde est une anarchie et l'auteur s'est donnée la peine de la poser comme une anarchie fonctionnelle .
Il n'est donc pas question de communisme .....
Ce monde serra bouleversé de l'extérieur .
Un début de transition tumultueux nimbé de persécutions subtiles , de fuites , d'espérances et de de cruelles ( et risquées ) désillusions mais aussi d'espoir et de réussites .

Un roman vivant , qui va bien au-delà de son occasionnelle et infondée réputation de roman politicard .
Il n'y a pas de guerre froide entre Urras et Anarres : de la superbe indifférence et une revendication de contre modèle pour la deuxième .
Pas d'union Soviétique et pas plus les États Unis ( pas l'ombre ) ..
C'est un roman de SF authentique , nous sommes loin de la terre et de la SF prétexte .
...................................................................................................................
Pas l'ombre du moindre manichéisme à la place des personnes complexes et actives qui cherchent à vivre et à se repérer dans leur existences malmenées , qui cherchent à vivre et créer tout simplement .

Un roman solide et très soigné , ( mon préféré dans ce cycle : Planète d'exil ) .
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Citations et extraits (135) Voir plus Ajouter une citation
- La souffrance est un malentendu, dit Shevek, se penchant en avant, les yeux larges et clairs.
-Cela existe, dit Shevek en écartant les mains. C'est réel. Je peux l'appeler un malentendu, mais je ne peux pas prétendre qu'elle n'existe pas, ou cessera jamais d'exister. La souffrance est la condition de notre vie. Et quand elle arrive on le sait. On reconnaît que c'est la vérité. Évidement, il est bon de soigner les maladies, d'empêcher la faim et l'injustice, comme le fait l'organisme social. Mais aucune société ne peut changer la nature de l'existence. Nous ne pouvons pas empêcher la souffrance. Telle ou telle douleur, oui, mais pas la Douleur. Une société peut seulement supprimer la souffrance sociale, la souffrance inutile. Le reste demeure. La racine, la réalité. Nous tous ici allons connaître le chagrin ; si nous vivons 50 ans, nous aurons connu la douleur durant 50 ans. J'ai peur de la vie ! Il y a des fois où je suis... où je suis très effrayé; Tout bonheur semble futile. Et pourtant, je me demande si tout cela n'est pas un malentendu - cette recherche du bonheur, cette crainte de la douleur... Si au lieu de la craindre et de la fuir, on pouvait... la traverser, la dépasser. Il y a quelque chose au delà d'elle. C'est le moi qui souffre, et il y a un endroit où le moi... s'arrête. Je ne sais pas comment le dire. Mais je crois que la réalité-la vérité que je reconnais en souffrant et non pas dans le confort et le bonheur-que la réalité de la douleur n'est pas la douleur. Si on peut la dépasser. Si on peut l'endurer jusqu'au bout.
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- C'est notre souffrance qui nous réunit. Ce n'est pas l'amour. L'amour n'obéit pas à l'esprit, et se transforme en haine quand on le force. Le lien qui nous attache est au-delà du choix. Nous sommes frères. Nous sommes frères dans ce que nous partageons. Dans la douleur, que chacun d'entre nous doit supporter seul, dans la faim, dans la pauvreté, dans l'espoir, nous connaissons notre fraternité. Nous la connaissons parce que nous avons dû l'apprendre. Nous savons u'il n'y a pas d'autre aide pour nous que l'aide mutuelle, qu'aucune main ne nous sauvera si nous ne tendons pas la main nous-mêmes. Et la main que vous tendez est vide, comme la mienne. Vous n'avez rien. Vous ne possédez rien. Vous êtes libre. Vous n'avez que ce que vous êtes, et ce que vous donnez. Je suis ici parce que vous voyez en moi la promesse , la promesse que nous avons faites il y a deux cents ans dans cette ville - la promesse tenue. Car nous l'avons tenue, sur Anarres. Nous n'avons que notre liberté. Nous n'avons rien à vous donner que votre propre liberté. Nous n'avons comme loi que le principe de l'aide entre les individus. Nous n'avons comme gouvernement que le principe de l'association libre. Nous n'avons pas d'états, pas de nations, pas de présidents, pas de dirigeants, pas de chefs, pas de généraux, pas de patrons, pas de banquiers, pas de seigneurs, pas de salaires, pas d'aumônes, pas de police, pas de soldats, pas de guerres. Et nous avons peu d'autres choses. Nous partageons, nous ne possédons pas. Nous ne sommes pas prospères. Aucun d'entre nous n'est riche. Aucun d'entre nous n'est puissant. Si c'est Anarres que vous voulez, Si c'est vers le futur que vous vous tournez, alors je vous dis qu'il faut aller vers lui les mains vides. Vous devez y aller seul, et nu, comme l'enfant qui vient au monde, qui entre dans son propre futur, sans aucun passé, sans rien posséder, dont la vie dépend entièrement des autres gens. Vous ne pouvez pas prendre ce que vous n'avez pas donné, et c'est vous-même que vous devez donner. Vous ne pouvez pas acheter la Révolution. Vous ne pouvez pas faire la Révolution. Vous pouvez seulement être la Révolution. Elle est dans votre esprit, ou bien elle n'est nulle part.
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Cette expérience lui avait été si pénible qu'il essaya de l'oublier le plus vite possible, mais pendant plusieurs mois il continua à en rêver, à faire des cauchemars. Le Boulevard Saemtenevia faisait trois kilomètres de long, et c'était une masse solide de gens, d'échanges, de choses: des choses à vendre et à acheter. Des manteaux, des robes, des tuniques, des jupes, des pantalons, des culottes, des chemises, des corsages, des chapeaux, des chaussures, des bas, des écharpes, des châles, des vestes, des capes, des parapluies, des habits à porter en dormant, en nageant, en jouant à certains jeux, pour une réception dans l'après-midi, pour une soirée, pour une réception à la campagne, en voyageant, en allant au théâtre, en montant à cheval, en jardinant, en recevant des invités, en faisant du bateau, en mangeant, en chassant... tous différents, tous dans des centaines de coupes, de styles, de couleurs, de tissus différents. Des parfums, des montres, des lampes, des statuettes, des cosmétiques, des chandelles, des photos, des caméras, des jeux, des vases, des canapés, des bouilloires, des jeux de patience, des oreillers, des poupées, des passoires, des coussins, des bijoux, des tapis, des cure-dents, des calendriers, un hochet de bébé en platine avec une poignée en cristal de roche, un appareil électrique pour tailler des crayons, une montre de poignet avec des chiffres en diamant; des figurines et des souvenirs, des plats fins et des agendas, des colifichets, un incroyable bric-à-brac, tout étant soit simplement inutile, soit décoré au point de cacher son utilité; des acres d'objets de luxe, des acres d'excréments. Au premier bloc, Shevek s'était arrêté pour regarder un manteau tacheté à longs poils, l'article placé au centre d'une vitrine scintillante de vêtements et de bijoux. « Ce manteau coûte 8 400 unités ? » avait-il demandé stupéfait, car il avait lu récemment dans un journal que le « salaire de base » était d'environ 2 000 unités par an. « Oh, oui, c'est de la vraie fourrure, c'est très rare maintenant que les animaux sont protégés », avait répondu Pae. « C'est joli, n'est-ce pas ? Les femmes adorent les fourrures », et ils continuèrent leur chemin. Au bout d'un autre bloc, Shevek se sentait particulièrement fatigué. Il ne pouvait plus regarder. Il aurait voulu se cacher les yeux.
Et le plus étrange à propos de cette rue cauchemardesque était qu'aucune des millions de choses qui y étaient à vendre n'était fabriquée là. Elles y étaient seulement vendues. Où se trouvaient les ateliers, les usines, où étaient les fermiers, les artisans, les mineurs, les tisserands, les chimistes, les sculpteurs, les teinturiers, les dessinateurs, les machinistes, où étaient les mains, les gens qui créaient ? Hors de vue, ailleurs. Derrière des murs. Tous les gens, dans toutes les boutiques, étaient soit des acheteurs, soit des vendeurs. Ils n'avaient d'autre relation avec les choses que celle de la possession.
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Il fut épouvanté par le système des examens, quand on le lui expliqua ; il ne pouvait pas imaginer de plus grand obstacle au désir naturel d'apprendre que cette façon de se gaver d'informations pour les dégorger à la demande. Au début, il refusa de faire passer des tests et des examens, mais cela ennuya tellement les administrateurs de l'Université qu'il finit par accepter, ne voulant pas se montrer discourtois envers ses hôtes. Il demanda à ses étudiants d'écrire un essai sur la question de physique qui les intéressait le plus et leur dit qu'il leur donnerait à tous la plus haute note, afin que les bureaucrates aient quelque chose à mettre sur leurs formulaires et leurs listes. A sa grande surprise, un bon nombre d'étudiants vint le voir pour se plaindre de cette méthode. Ils voulaient qu'il leur donne des problèmes, qu'il les interroge ; ils ne voulaient pas penser eux-mêmes à des questions, mais écrire les réponses qu'ils avaient apprises. Et certains d'entre eux s'élevaient vivement contre le fait d'attribuer la même note à tous. Comment les bons étudiants pourraient-ils être distingués des paresseux ? A quoi bon travailler avec application ? Si aucune distinction compétitive n'était faite, autant se tourner les pouces.
(chap. V)
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- Mais parlez-nous d’Anarres, dit Vea. Comment est-ce réellement ? Est-ce vraiment si merveilleux là-haut ?

Il était assis sur le bras du fauteuil, et Vea était installée sur un coussin, à ses genoux, droite et souple, ses seins délicats le fixant de leurs pointes aveugles, souriante, contente, rougissante.
Quelque chose de sombre se mit à tourner dans l’esprit de Shevek, obscurcissant tout. Sa bouche était sèche. Il vida le verre que le serviteur venait de lui remplir.

- Je ne sais pas, dit-il ; sa langue était à moitié paralysée. Non. Ce n’est pas merveilleux. C’est un monde laid. Pas comme celui-ci. Sur Anarres, il n’y a que de la poussière et des collines desséchées. Tout est maigre, tout est sec. Et les gens ne sont pas beaux. Ils ont de grosses mains et de grands pieds, comme moi et ce serveur qui est ici. Mais pas de gros ventre. Ils se salissent beaucoup, et prennent leurs bains ensemble, personne ne fait cela ici. Les villes sont ternes, et très petites, elles sont lugubres. Il n’y a pas de palais. La vie est morne, et le travail est dur. On ne peut pas toujours obtenir ce qu’on veut, ni ce dont on a besoin, parce qu’il n’y en a pas assez. Vous autres Urrastis, vous en avez suffisamment. Vous avez assez d’air, assez de pluie, d’herbe, d’océans, de nourriture, de musique, de maisons, d’usines, de machines, de livres, de vêtements, d’histoire. Vous êtes riches, vous possédez. Nous sommes pauvres, il nous manque beaucoup. Vous avez, nous n’avons pas. Tout est beau ici. Sauf les visages. Sur Anarres, rien n’est beau, rien, sauf les visages. Les autres visages, les hommes et les femmes. Nous n’avons que cela, que nous autres. Ici on regarde les bijoux, là-haut, on regarde les yeux. Et dans les yeux, on voit la splendeur, la splendeur de l’esprit humain. Parce que nos hommes et nos femmes sont libres. Et vous les possédants, vous êtes possédés. Vous êtes tous en prison. Chacun est seul, solitaire, avec un tas de choses qu’il possède. Vous vivez en prison, et vous mourrez en prison. C’est tout ce que je peux voir dans vos yeux – le mur, le mur !

Tous le regardaient.
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Vidéo de Ursula K. Le Guin
De "La Main Gauche de la Nuit", au "Nom du monde est forêt" en passant par "Les Dépossédés", l'autrice américaine de science-fiction Ursula le Guin, disparue en 2018, a tissé une toile narrative complexe d'une grande beauté littéraire et d'une actualité thématique brûlante.
Réflexion sur le genre et féminisme, écologie, inégalités sociales, ce sont autant de préoccupations qui se dessinent subtilement dans l'oeuvre monde de cette touche-à-tout
En compagnie de ses invités, Catherine Dufour, écrivaine de science-fiction et Jérôme Vincent, directeur éditorial des éditions ActuSF, Antoine Beauchamp vous propose de découvrir cette immense autrice qui fut un temps pressentie pour le prix Nobel de littérature.
Photo de la vignette : Dan Tuffs/Getty Images
#sciencefiction #scifi #littérature __________ Retrouvez d'autres grands entretiens scientifiques par ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDrr_Kd-8Hzj20Jo6qwhHOKI7
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