J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, qui prend différentes facettes, dans une langue toujours affûtée et exigeante. Dans certains chapitres, l'auteur déploie une profondeur à partir de détails qui paraissent insignifiants au premier abord. La beauté d'un paysage de montagne dépréciée par la cuve de fuel sur son socle, des poubelles à roulettes, des chaises en plastique moulé… « Est-ce ma faute si je suis plus sensible aux laideur proches qu'aux beautés lointaines ? »
L'art de contenir tout une vie (ou tout un âge, l'enfance, l'adolescence…) dans quelques situations types, des images clés, des répliques définitives… « Les chagrins sont insupportables, on est en enfer. C'est cela l'enfance. L'enfance vraie, pas celle qu'on raconte ».
« Incroyable… On est là, gentille petite fille, à collectionner les images d'animaux sur les plaques de chocolat, à s'attendrir sur le sort des bébés phoques ; à bien tenir ses classeurs d'école, à souligner les titres, à coller des oeillets sur les perforations pour éviter que les pages ne s'arrachent. Et puis subitement, on suce une bite. »
Des inventaires à la précision Houellebecquienne, sans le cynisme, mais avec une ironie très fine, à peine amère… Oui, il y a une profondeur qui vous happe.
Et puis dans d'autres chapitres, on est dans un roman « ordinaire », qui raconte tout simplement une histoire. Mais il y court toujours un humour distancié, une lucidité qui nous place devant les mensonges que nous faisons à nous-mêmes. Par exemple sur le journal intime : « Que fallait-il écrire ? Ce qui était vécu ou ce qui ne l'était pas ? » Dans les passages qui parlent de la dépression que traverse la narratrice (l'auteur masculin fait usage d'un « je » féminin), c'est par des détails infimes que l'on prend conscience de la détresse et du désarroi du personnage. Plus efficace que les tirades lyriques !
La fin du livre nous ramène au début, la boucle est bouclée, l'ironie du sort ramène la narratrice à son point de départ : pareil, et pourtant si différent. Pareille et pourtant si différente. Faut-il revenir sur soi-même pour pouvoir enfin prendre ensuite une autre route ?... Pour vivre debout, faut-il d'abord connaître la chute ?
Un roman aigu, qui pique, qui fait mouche…
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Découvert grâce à La Masse Critique de Babelio.
L'histoire d'Alix, jeune doctorante en histoire médiévale à l'humour caustique, lucide sur son époque et sur sa propre condition mais prise d'une inquiétude, une sorte de mal-être qui finit par l'embarquer dans une quête étrange, à la recherche d'un être disparu.
J'ai beaucoup aimé l'humour d'Alix et ses délicieuses descriptions du quotidien, son piquant, l'écriture très affûtée d'Olivier Rey.
J'ai été émue devant sa dépression, j'ai été intriguée de la suivre pendant son "évasion" vers la montagne.
Mais je dois avouer que je suis restée sur ma faim. Je ne voulais pas forcément plus de "réponses" à la fin du livre ...les "mystères" restent entiers mais nous voyons le boucle bouclé pour Alix. Ceci dit, m il me manquait quelque chose pour vraiment apprécier pleinement cette lecture.
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Une sympathique tranche de vie dans laquelle se retrouveront beaucoup de lecteurs, de nombreux bons mots (certains sont jubilatoires, de ceux que l'on note sur un petit carnet pour plus tard), une belle intrigue.
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage ; une montée en puissance (peut-être un peu trop puissante, justement) jusqu'à son dénouement qui m'a déçue, que j'ai trouvé trop facile, pas assez torturé pour cette héroïne qui, tout au long du roman, ose oser.
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C’est triste à dire : la parole sert surtout à exprimer ce qui ne va pas, ou ce qui allait quand cela ne va plus. Quand tout va bien, quand on est au comble du bonheur, on est transporté. Transporté où ? Hors du langage probablement.
Chez Vincent, tout me va. (...). Un garçon harmonieusement développé tel qu'on s'applique maintenant les faire s'épanouir dans les milieux éclairés, protégés dès le plus jeune âge des méfaits du soleil par une casquette, de la crème d'indice élevé, des lunettes et l'interdiction de s'exposer aux heures les plus chaudes de la journée, préservés plus tard des ravages de l'acné, au besoin par des comprimés de Roaccutane, nourris avec les bonnes vitamines, les acides gras polyinsaturés, les produits laitiers, légumes verts et fruits en nombre suffisant, des dents bien alignées et brossées avec application, non pas de grosses mains ballantes aux ongles épais et noirs mais des doigts fins et des ongles réguliers, pieds idem, grandis dans des chaussures souples aux pointures adaptées, un entraînement physique avec des méthodes efficaces et bien dosées tenant compte des nouveaux savoirs sur le corps, ce qui fait qu'en bout de chaîne on obtient quelques spécimens très réussis, grands, forts et au teint de pêche.
C'est triste à dire : la parole sert surtout à exprimer ce qui ne va pas, ou ce qui allait quand ça ne va plus. Quand tout va bien, quand on est au comble du bonheur, on est transporté. Transporté où ? Hors du langage, probablement.
Au Paradis, Adam maîtrisait parfaitement ses érections. En voyant passer Ève il se disait parfois : ne serait-il pas temps que je fasse usage de cet appendice dont Dieu m'a pourvu pour m'unir à elle ? Et l'appendice se dressait, avec la même docilité que le bras se tend pour prendre un objet. Jamais de panne, jamais d'excitation hors de propos... Ensuite, il y eut la Chute. Et la désobéissance de l'homme a été punie par la désobéissance de sa bite. Ça tracasse pas mal les hommes, ce manque de contrôle.
Mes parents, ma victoire ne les a pas vraiment intéressé. Ah, c'est bien... Tu es une championne. Mais non, je ne suis pas une championne ! Ca m'exaspère, cette façon de s'envoyer des félicitations outrancières à la tête. Soi-disant pour faire plaisir. En fait pour dissuader d'aller plus haut, pour saper l'ambition et maintenir dans la médiocrité.
Ce que la Piétà d'Avignon donne à voir et à entendre.